Les 17 et 18 juillet, un sommet de l’Union européenne a été organisé avec les présidents d’Amérique latine et des Caraïbes, dans le but de donner un nouveau souffle aux relations avec la région. Cependant, l’excès d’arrogance et le manque de poids économique qui ont caractérisé ce sommet n’étaient pas une bonne combinaison pour que celui-ci soit couronné de succès. En revanche, le Sommet des Peuples qui s’est tenu à l’ombre de la « Cumbre » officielle, était une réussite.
Le président de Cuba (à gauche) et le président de la Bolivie (deuxième à droite) au Sommet des Peuples, 17 juillet 2023. Crédit photo : Bruno BauwensL’IMPORTANCE DU SOMMET OFFICIELLes 17 et 18 juillet, un sommet a réuni les présidents d’Amérique latine et les chefs de gouvernement de l’Union européenne à Bruxelles. Il s’agissait de la première Cumbre (sommet en espagnol) rassemblant l’UE et la CELAC depuis huit ans. La CELAC est la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes, et regroupe trente-trois États.
Pour l’Europe, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes revêtent une grande importance. La région abrite en effet un quart des forêts et des terres arables de la planète, mais aussi plus de la moitié des réserves de lithium (nécessaire à la fabrication des batteries des voitures électriques) et 40 % de l’ensemble du cuivre.
Toutefois, ces ressources en intéressent plus d’un. Au cours des vingt dernières années, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Amérique latine ont été multipliés par 26 : passant de 12 à 310 milliards de dollars. En conséquence, la Chine est aujourd’hui le principal partenaire commercial de l’Amérique du Sud ; elle achète plus de marchandises à ce continent que l’UE et les États-Unis réunis.
La Chine et les États-Unis se livrent une concurrence de plus en plus féroce pour le commerce, les investissements et l’influence dans la région. L’Europe risque d’être mise à l’écart.
Ce sommet constituait donc une occasion importante de prendre un nouveau départ. Il est essentiel d’améliorer les relations si l’UE veut se voir garantir un meilleur accès aux matières premières abondantes de la région, nécessaires aux technologies vertes.
Josep Borrell, responsable des affaires étrangères de l’UE, a déclaré : « Les Européens n’ont pas accordé suffisamment d’attention à l’Amérique latine dans le passé. Nous devons tenir compte d’un nouveau scénario géopolitique avec la montée en puissance de la Chine. »
L’ARROGANCE PREND LE DESSUSAvec ce sommet, Bruxelles espérait séduire les Latino-Américains en leur promettant des investissements dans les énergies vertes, les infrastructures et les projets sociaux. Une coopération plus étroite en matière de technologie numérique était également sur la table. Les fonctionnaires ont souligné les valeurs démocratiques que les deux régions partagent, ainsi que leur héritage culturel commun.
Mais il semble qu’à Bruxelles, ils n’aient pas encore remarqué que le monde est en train de changer. Dans une écrasante majorité de pays d’Amérique latine, la gauche est au pouvoir. Plus que jamais, ces pays sont unis et adoptent une position de plus en plus affirmée à l’égard des États-Unis et de l’Europe.
Session festive du Sommet des Peuples, 17 juillet 2023. Crédit photo : Bruno BauwensEn Amérique latine, d’aucuns s’étonnent du récent regain d’intérêt pour leur région. Ils savent que la convoitise de leurs ressources essentielles en est la principale raison, et non la prise en main des problèmes auxquels ils sont confrontés, tels que la pauvreté et les inégalités.« Cela a quelque chose de naïf et d’arrogant de dire : nous allons maintenant vous accorder de l’attention, parce que nous avons soudainement découvert que nous avions besoin d’amis et que nous voulions rayonner », a déclaré un diplomate de haut rang de la région.À l’approche du sommet UE-CELAC des 17 et 18 juillet, l’opposition s’est accrue en Amérique latine contre le fait que le continent soit considéré comme un fournisseur de matières premières bon marché pour l’UE. Le président argentin Fernández a souligné que : « Personne ne peut nous condamner à être des fournisseurs de matières premières, que d’autres transforment industriellement pour nous vendre ensuite des produits beaucoup trop chers ».
Au contraire, les pays d’Amérique latine demandent des réparations et des compensations pour ce qui s’est passé pendant la période coloniale.
Avant le sommet, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a fait savoir que les exigences environnementales supplémentaires imposées au Mercosur étaient « inacceptables », parce qu’elles imposeraient des sanctions aux pays du Mercosur qui ne respectent pas les accords sur le climat.
L’Amérique latine exige des réparations et des compensations pour ce qui s’est passé pendant la période coloniale.
Le Mercosur est une union douanière entre le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et le Venezuela. L’Argentine, autre pays clé de cette alliance commerciale, a soutenu la position exprimée par le président du Brésil. Aux yeux de l’Amérique latine, ces exigences environnementales s’apparentent à un protectionnisme agricole à peine déguisé.
Par ailleurs, de nombreux pays d’Amérique latine ont été contrariés par l’arrogance dont a fait preuve l’UE en invitant le président ukrainien Volodomyr Zelensky à participer au sommet. Finalement, la proposition a été rejetée et Zelensky n’a officiellement pas été invité.
UN SCEPTICISME BIEN PRÉSENTLes pays d’Amérique latine sont également sceptiques quant à la « générosité » de l’Union européenne. Malgré la volonté affichée de l’UE de renforcer ses relations, certaines de ses propositions manquent de poids en termes économiques. Pour certains projets annoncés, il manque encore un financement.
En préparation de ce sommet, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, s’était rendue en Amérique latine. Dans ce cadre, elle s’était engagée à verser 10 milliards d’euros sous forme de subventions et de prêts à la région pour la période 2021-2027. Toutefois, ce montant est dérisoire par rapport aux 150 milliards d’euros que l’UE a alloués à l’Afrique.
Et il ne représente qu’une fraction des 136 milliards de dollars de prêts accordés par la Chine à l’Amérique latine entre 2005 et 2022.
Par ailleurs, ce n’est pas seulement une question d’argent. L’approche de l’Union européenne fondée sur le marché suscite également des doutes. C’est ce qu’a souligné Gustavo Petro, président de la Colombie, au début du sommet.
Gustavo Petro, président de la Colombie. Crédit photo : Bruno BauwensÀ ses yeux, la Chine est un partenaire plus attrayant car elle a « une plus grande capacité de planification que l’Union européenne, qui a délégué la capacité de surmonter la crise climatique au marché et aux forces du marché. Cela conduit aux deux modèles dont l’humanité dépend actuellement. »« Des instruments tels que les taxes sur le carbone, les polices d’assurance et les critères de rentabilité peuvent-ils conduire efficacement à une économie à faible intensité de carbone à court terme ? Jusqu’à présent, la réponse est non. » Selon lui, la réponse au changement climatique nécessite un nouveau regard sur les solutions économiques « planifiées » autrefois décriées en Europe. « Là où il n’y a pas de profit, l’investissement public est nécessaire. »
MAIGRES RÉSULTATS ET SILENCE MÉDIATIQUELes chefs de gouvernement présents à ce sommet représentent un total d’un milliard de personnes, au milieu d’un monde confronté à des problèmes gigantesques, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, des problèmes d’eau ou des grandes inégalités sur le continent latino-américain. À quelques détails près, aucun véritable accord n’a été conclu lors de cette « Cumbre ».
En ce sens, on peut qualifier ce sommet de flop. Même l’accord UE-Mercosur, longtemps retardé, n’a pas été conclu. Il ne reste plus qu’à espérer qu’un terrain d’entente sera trouvé d’ici la fin de l’année.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, les parties se sont contentées d’exprimer leur « préoccupation » à l’égard du conflit. Il n’y a pas eu de condamnation de la Russie, comme l’avaient demandé avec véhémence les pays européens. C’est peut-être la raison pour laquelle les grands médias n’ont pratiquement pas parlé de ce sommet, qui était pourtant vraiment important.
Un point positif : les parties ont convenu de maintenir un contact plus régulier. Une nouvelle rencontre entre les chefs de gouvernement des deux continents aura lieu en 2025 en Colombie. Espérons que les chefs de gouvernement européens auront appris leur leçon d’ici là et qu’ils feront preuve d’un peu plus d’humilité qu’aujourd’hui.
SOMMET DES PEUPLESDans l’ombre du sommet officiel entre les chefs d’État, s’est déroulé également un Sommet des Peuples, organisé par plus de 160 mouvements et organisations sociaux de trente pays d’Amérique latine et d’Europe. Voici quelques points forts de ce sommet alternatif animé. Le sommet a été suivi d’une session au Parlement européen, au cours de laquelle plusieurs orateurs ont pris la parole, dont l’homme politique français de gauche Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon« Nous parlons d’un sommet qui représente un milliard de personnes. On peut donc s’attendre à ce que certaines questions urgentes soient abordées. Mais que voit-on ? Dans la déclaration finale, par exemple, il n’y a pas un mot sur la biodiversité.
Jean-Luc Mélenchon au Parlement européen, 18 juillet 2023. Crédit photo : Katrien DemuynckLes échanges de denrées alimentaires entre ces deux continents représentent 45 % du total mondial. Or, dans la déclaration finale, il n’y a pas un mot sur la façon dont les gens peuvent se nourrir, pas un mot sur la question de la faim, sur la lutte des gens contre l’agro-business, sur les tonnes de nourriture jetées à la poubelle.
Oui, le lithium, le commerce et le Mercosur ont été évoqués. Mais quel est l’intérêt d’un tel sommet si rien n’est dit sur la crise de l’eau ? D’ailleurs, le marché, dont on a tant parlé, résoudra-t-il quelque chose ? Non, il ne résoudra rien.
Un milliard de personnes sont concernées par ce sommet et aucune initiative n’a été prise en faveur de la paix. Quand les chefs d’État ont plié, c’est à nous, aux peuples, de prendre les choses en main. »“Quand les chefs d’État ont plié, c’est à nous, aux peuples, de prendre les choses en main. Extrait de la déclaration finale du Sommet des Peuples :« Ce Sommet des Peuples a compris que la rencontre entre la CELAC et l’UE était une occasion de progresser dans la création d’un monde multipolaire, où des relations multilatérales permettent à l’humanité d’avancer vers la paix et l’harmonie avec la Terre Mère.
Nous notons avec intérêt l’avancée des forces qui défendent un nouvel ordre international multipolaire et multicentrique, qui annonce l’avènement progressif d’une architecture mondiale fondée sur la solidarité et la coopération entre nations souveraines.
Lecture de la déclaration finale du Sommet des Peuples. Photo : Katrien DemuynckC’est ainsi que nous voyons avec optimisme et sympathie la nouvelle vague progressiste qui se dessine en Amérique latine et dans les Caraïbes. Nous rendons hommage à leur lutte héroïque pour la souveraineté, le bien-être social et la démocratie participative, qui aspire à améliorer les conditions de vie et l’existence des peuples, à promouvoir l’unité et l’intégration régionale dans la solidarité, et à réactiver avec plus de vigueur la CELAC et l’UNASUR.
Nous vivons une époque où l’impérialisme mène une offensive qui tente de diviser le monde en blocs d’États isolés et opposés les uns aux autres. Il intensifie toutes sortes de provocations, de blocus, de pressions et de mesures coercitives unilatérales contre les peuples qui ne se soumettent pas à l’impérialisme et ne servent pas ses intérêts. Cela engendre la destruction et la mort dans de nombreuses régions de la planète.
Nous vivons une époque où l’impérialisme mène une offensive qui tente de diviser le monde en blocs d’États.rejoignons la Déclaration adoptée lors de la 26e réunion du Forum de Sao Paulo, qui s’est tenue à Brasilia du 29 juin au 2 juillet 2023.
Celle-ci confirme que Cuba a résisté héroïquement à plus d’un demi-siècle de blocus injuste et criminel imposé par la puissance impérialiste des États-Unis. La dignité du peuple cubain est un exemple pour toutes les nations et tous les partis progressistes du monde, et nous apprécions que le Forum de Sao Paulo ait décidé de déclarer Cuba « Patrimoine universel de la Dignité ».
Nous rejetons l’utilisation de mécanismes juridiques et de fake news dans le but de démettre de leurs fonctions des dirigeants progressistes d’Amérique latine qui ont été démocratiquement élus. Nous rejetons la politique illégale de sanctions et de mesures coercitives unilatérales imposées par les États-Unis à la République bolivarienne du Venezuela et à la République du Nicaragua. Ces sanctions constituent un blocus inhumain et criminel des économies et des peuples de ces deux pays.
Nous rejetons également la politique de l’Union européenne qui approuve et, dans certains cas, copie les sanctions étasuniennes contre le Venezuela et le Nicaragua. » Miguel Díaz-Canel, président de Cuba :« Ce Sommet des Peuples est l’occasion d’exiger un monde plus juste et plus solidaire pour faire face à la profonde crise systémique du capitalisme, qui est inextricablement liée à l’injustice de l’ordre économique international en place. C’est ici que les participants approuvent la plus grande, la plus longue et la plus juste des revendications de notre peuple.
Miguel Díaz-Canel, président de Cuba. Crédit photo : Bruno BauwensLe blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par le gouvernement des États-Unis est amoral et inhumain, car il constitue une violation flagrante, massive et systématique des droits humains de tout un peuple : le peuple cubain.
On ne peut pas parler de droits humains et ignorer par ailleurs le caractère génocidaire d’une politique délibérément conçue et rigoureusement appliquée. Une politique qui fait en sorte que les besoins matériels et les pénuries font souffrir des millions de personnes et les conduisent au désespoir. Une politique qui conduit à l’asphyxie économique, au point de provoquer une explosion sociale, dans le but d’un changement de régime.
Face aux cercles de droite et d’extrême droite du Parlement européen, qui s’alignent sur les intérêts des secteurs terroristes et ultraconservateurs de Miami et du Congrès américain, qui cherchent à nous contrecarrer et à nous diviser, nous plaidons pour que les relations entre l’Europe et l’Amérique latine et les Caraïbes soient fondées sur la non-ingérence et le respect de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples. »
Nous sommes convaincus qu’il n’est pas possible d’imposer un blocus sur la solidarité comme il y en a sur les denrées alimentaires, les médicaments ou les équipements.« Nous sommes convaincus qu’il n’est pas possible d’imposer un blocus sur la solidarité comme il y en a sur les denrées alimentaires, les médicaments ou les équipements. La solidarité ne reconnaît que les besoins et les exigences des êtres humains, et place ceux qui la donnent et la reçoivent au plus haut niveau de notre espèce. La solidarité restera une arme de lutte indestructible, ainsi qu’un message de paix permanent et inépuisable, qui ne sera pas réduit au silence. »