Cuba traverse actuellement une période extrêmement difficile. Comment cette île parvient-elle à tenir bon malgré tout ? Quels sont les défis sur le terrain et comment sont-ils relevés ? Nous avons posé nos questions à Rogelio Polanco, chef du Département idéologie du Parti communiste cubain. Ceci constitue la première partie de l’interview. Tous ceux qui suivent un peu ce qui se passe à Cuba savent que l’île traverse actuellement une période très difficile. Depuis plus de six décennies, le pays souffre de l’effet cumulatif d’un blocus économique et financier. Sous Trump, ce blocus a été renforcé de façon extrême.
L’île a en outre été frappée de plein fouet par le Covid, et le tourisme, l’une de ses principales sources de revenus, s’est arrêté. Et cela alors que Cuba doit faire face aux coûts élevés liés à la lutte contre la pandémie. Depuis lors, la crise économique qui s’est installée au niveau mondial est encore exacerbée par le conflit en Ukraine. De plus, la nature a frappé sans pitié. L’été dernier, à Matanzas, la foudre a provoqué la destruction massive de l’un des plus grands dépôts de carburant du pays et l’ouragan Ian a fait un passage dévastateur dans la province de Pinar del Rio.
Nous aimerions savoir comment cette île socialiste parvient malgré tout à maintenir un esprit combatif chez ses habitants. Quels sont les défis dans ce domaine et comment sont-ils relevés ? Nous avons posé nos questions à Rogelio Polanco, chef du Département idéologie du Parti communiste cubain.
Le rôle du blocusCuba traverse une période très difficile. C’est l’un des rares pays socialistes qui tient bon. Quels sont les principaux problèmes et défis auxquels la société cubaine est confrontée sur le plan idéologique ?
Le monde traverse en effet une période exceptionnelle. L’impérialisme poursuit son combat contre le bien-être et la prospérité de la grande majorité de la planète. Ses politiques de droite soutenant l’exploitation, la guerre et la xénophobie continuent d’engendrer de lourds conflits.
Nous sommes témoins de contradictions criantes qui font peser de graves risques sur l’humanité. Nous vivons une époque où les idées fascistes, de droite et néolibérales gagnent du terrain et sont activement diffusées par les grandes multinationales de l’information. Et cela a également un impact ici à Cuba.
Le gouvernement Trump a identifié toutes les manières par lesquelles notre pays reçoit des moyens financiers. Son objectif était d’empêcher ce financement par des mesures véritablement génocidaires et étouffantes.
Certaines d’entre elles visaient à rendre plus difficile l’approvisionnement de notre pays en carburant. Récemment, l’ancien secrétaire américain à la Défense a révélé qu’ils avaient envisagé des actions militaires pour empêcher les navires de carburant d’atteindre notre pays. C’est presque un acte de piraterie du 21e siècle.
De plus, quelques jours avant le départ de Trump, ils ont remis Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme. Un véritable acte de revanchisme. Pendant 30 ans, Cuba a figuré injustement sur cette liste cynique. Alors que Cuba est elle-même victime du terrorisme.
L’île n’a jamais attaqué de pays, et encore moins le peuple ou le gouvernement des États-Unis. Au cours du dernier mandat du président Obama, Cuba avait été retirée de cette liste. Le fait de nous remettre sur cette liste restreint la capacité des banques, des gouvernements et des entreprises à effectuer des transactions.
Comme nous le savons tous, le système financier international est entièrement dominé par les États-Unis et les pays occidentaux. Forcément, Cuba ne peut donc pas effectuer de transactions en dollars américains, la principale devise internationale. Les banques interdisent toute transaction ayant Cuba comme destination ou comme source, ou même portant la mention « Cuba ».
Par conséquent, Cuba ne peut effectuer aucune transaction par le biais du système financier international. Toutes les banques essaient de se conformer aux règles du département du US Treasury (Trésor des États-Unis). C’est une preuve de la nature extraterritoriale du blocus.
Pouvez-vous expliquer pourquoi vous l’appelez extraterritoriale ?
Extraterritorial, c’est quand un pays prend des décisions qui affectent un autre pays ou des entités en dehors de son territoire. C’est totalement illégal. Mais les banques sont très prudentes en raison des sanctions. Certaines banques européennes ont déjà payé des millions de dollars de sanctions imposées par le département du Trésor des États-Unis pour avoir effectué des transactions avec Cuba. BNP Paribas a payé une amende de presque 9 millards, entre autres à cause de transactions avec Cuba.
Le gouvernement Trump, et le gouvernement Biden qui ne fait que poursuivre l’essentiel des mesures coercitives à l’encontre de Cuba, ont tout fait pour lui couper les vivres. Cela a entraîné notamment une campagne contre le tourisme à Cuba ainsi qu’une campagne perverse contre les médecins cubains qui dispensent des services dans d’autres pays.
Ils ont prétendu que ces médecins étaient contraints de le faire, et ils ont fait pression sur certains pays pour qu’ils cessent de coopérer avec Cuba. À cause de cela, nous avons perdu d’importantes recettes provenant de notre secteur de la santé.
En d’autres termes, au cours des cinq années sous le gouvernement de Trump et jusqu’à aujourd’hui avec le gouvernement de Biden, le blocus contre Cuba n’a fait que se renforcer. Pendant la pandémie, ces politiques se sont avérées plus opportunistes et cruelles que jamais, car elles nous ont empêchés d’accéder aux médicaments, aux respirateurs et aux autres fournitures de base nécessaires pour alléger les effets de la pandémie. Impact de la pandémieComment Cuba a-t-elle fait face à la pandémie de Covid-19 dans ces conditions ?
Nous avons dû compter sur nos propres capacités pour combattre la pandémie. Cela n’a pu se faire qu’en concentrant tous les efforts du pays sur cet objectif. Grâce à l’idée visionnaire de Fidel de développer nos propres forces, nous avons réussi à fabriquer nos propres vaccins. Seuls les efforts remarquables de notre peuple ont permis de maîtriser la pandémie. La qualité des vaccins cubaines contre le Covid est reconnue au niveau mondialPour de nombreux pays aujourd’hui, cela reste un vœu pieux. Car pendant la pandémie, les injustices du système capitaliste international se sont accentuées. Certains pays ont, à plusieurs reprises, accumulé plus de vaccins que nécessaire, ce qui a entraîné la perte de vaccins en raison de l’expiration de leur durée de conservation. Jusqu’à aujourd’hui, la distribution des vaccins pour faire face à la pandémie mondiale a été inégale. Continuité contre déstabilisationTout cela a-t-il causé ou exacerbé des problèmes internes du pays ?
En interne, les défis sont considérables. Cuba est dans une période de transfert progressif et ordonné des postes clés et des responsabilités des dirigeants politiques de la révolution. Une nouvelle génération a été formée. L’impérialisme a longtemps attendu ce moment pour réussir son coup.
Dans les premières années de la révolution, les ennemis de Cuba ont essayé à plusieurs reprises d’éliminer physiquement nos principaux dirigeants. Des centaines de tentatives d’assassinat contre Fidel Castro et d’autres dirigeants de la révolution ont échoué.
Puis ils ont opté pour ce qu’ils ont appelé cyniquement la « solution biologique » : attendre la mort de nos leaders historiques. Ils comptaient sur l’idée que la continuité ne serait plus possible. Pourtant, aujourd’hui, de nouvelles générations de Cubains continuent la lutte.
Cela montre ce que notre peuple continue de défendre depuis des décennies. Cela montre également que notre révolution répond à une nécessité historique. Bien sûr, le rôle de nos dirigeants a été essentiel pour approfondir et faire progresser la révolution, mais celle-ci est en même temps le produit de la participation consciente et active de tout un peuple. Autrement, on ne pourrait pas expliquer sa pérennité.
Aujourd’hui, nous sommes effectivement confrontés à de graves problèmes économiques. Ils sont le résultat de la situation économique internationale et du renforcement du blocus, mais aussi des problèmes qui découlent des transformations économiques que nous effectuons au sein de notre société.
Cuba dispose aujourd’hui de ressources financières très limitées pour son développement futur. Nous n’avons accès à aucun crédit, quel qu’il soit, que ce soit celui des organisations internationales ou le crédit commercial.
Aucun pays ne peut se développer s’il n’a pas accès à des ressources financières. Le blocus a également rendu de plus en plus difficile l’accès au commerce, aux investissements étrangers et au tourisme international.
Dans ce cadre, les États-Unis mènent une campagne de communication politique massive de plusieurs milliards de dollars pour déstabiliser notre pays. Ils ont monopolisé les sociétés transnationales de l’information et notamment les grandes plateformes algorithmiques dans l’espace public numérique.
Aujourd’hui, celles-ci contrôlent la quasi-totalité du flux d’informations généré dans le monde. Par l’intoxication médiatique et les opérations de communication high-tech, elles tentent de déstabiliser notre société. Le 11 juillet 2021, des émeutes et des actes de vandalisme se sont produits dans quelques villes cubaines, suite à une campagne sur les réseaux sociaux, dirigée de l’extérieur. Leur objectif est ce qu’elles appellent une « explosion sociale ». En fait, il s’agit de générer le chaos et la violence. Elles veulent monter une partie de notre peuple contre les autorités et les forces de l’ordre pour pouvoir ensuite mener des campagnes sur les violations des droits de l’homme et de la démocratie.
Plusieurs théoriciens décrivent cette méthode comme faisant partie d’une guerre hybride, qui utilise différents éléments de nature politique, communicationnelle, numérique et diplomatique pour parvenir à un changement de régime.
Par le biais d’actions prétendument non violentes ou citoyennes, elles cherchent à provoquer le chaos, puis à provoquer une intervention étrangère. C’est ainsi qu’elles s’y prennent pour renverser les gouvernements qui ne leur conviennent pas.
Parce que tel est leur objectif lorsqu’elles essaient de susciter la subversion politique contre Cuba et contre d’autres pays amis qui tentent de développer des processus alternatifs, opposés ou contre-hégémoniques aux actions de l’impérialisme.
Dans ce contexte, quels sont, selon vous, les principaux défis pour Cuba ?
Les principaux défis d’un point de vue idéologique concernent la capacité de notre peuple à faire face à ces actions subversives. Nous devons renforcer l’éducation politique à tous les niveaux afin que la population comprenne les actions de notre gouvernement.
C’est une condition préalable pour soutenir le processus de développement et la poursuite de la construction socialiste de notre pays. Tous nos efforts visent à renforcer nos valeurs, notre identité nationale, notre culture et les fondements de notre idéologie. Celle-ci a comme base les idées de José Martí, de Fidel Castro, le marxisme et le léninisme.
Depuis les États-Unis, on tente de mettre en place un processus de colonisation culturelle. On essaie constamment de présenter le rêve étasunien ou le capitalisme comme la seule voie de développement. Ces actions subversives sont dirigées contre nos symboles, nos dirigeants et notre histoire.
L’impérialisme tente de semer la division parmi notre peuple en diffusant des fake news ou en faisant croire que Cuba ou le socialisme ne sont pas viables. Pour cela, des groupes de réflexion, des universités et d’importantes écoles de pensée dans les domaines culturel, philosophique et idéologique sont mis en œuvre.
C’est ainsi qu’on tente d’influencer l’esprit et le cœur de nos concitoyens de diverses manières. La cible principale de cette action subversive est notre jeunesse.
C’était leur cible depuis le début. Les leaders historiques devaient être anéantis, par destruction physique ou morale. On supposait que les nouvelles générations, qui n’avaient pas participé au processus révolutionnaire, ne seraient pas en mesure de poursuivre ce processus.
Elles seraient affaiblies ou corrompues et ne seraient donc pas assez fermes dans leurs convictions pour soutenir la révolution. Elles finiraient par succomber sous la pression des pénuries et des contraintes matérielles, face à l’avalanche de subjectivité et aux symboles de l’idéologie capitaliste.
C’est pourquoi les gouvernements étasuniens et leurs agences sont si intéressés à influencer les jeunes. Fidel Castro, avec en arrière plan José Martí, qui s’est battu pour l’indépendance de Cuba à la fin du 19e siècle Ceci constitue la première partie de cette interview. La deuxième partie aborde de façon plus approfondie la question des jeunes.
Katrien Demuynck est experte de Cuba et autrice