Les dix commandements du nouveau président colombien (partie 1)

Ce 19 juin, le sénateur et ancien guérillero Gustavo Petro a été élu président de la Colombie. La nouvelle vice-présidente est Francia Márquez, une jeune afro-colombienne qui milite en faveur de l’écologie et des droits humains. Une Colombie progressiste est particulièrement porteuse d’espoir pour l’ensemble du continent, notamment pour des pays comme le Venezuela et Cuba. Lisez (des extraits de) son discours d’inauguration prometteur.

Voici quelques extraits de son discours d’investiture (les intertitres ont été rédigés par la rédaction) S’appuyer sur le peupleIci, comme toujours au cours de mon existence, je vois le peuple. Je vois les mains humbles du travailleur, les agricultrices et ceux et celles qui balaient les rues. Je vois le cœur des travailleurs, les idéaux de ceux qui souffrent, les travailleuses qui m’ont pris dans leurs bras que je tombais, quand je me sentais faible. Je vois l’amour du peuple et de tous ceux qui ont mal et sont exclus. C’est ce qui me pousse à rester ici pour rassembler et bâtir une nation.

Nous l’avons gagné. Nous l’avons mérité. Votre effort n’a pas été vain et il ne le sera jamais. L’heure du changement est venue. Notre avenir n’est pas tout tracé. Nous pouvons l’écrire ensemble, dans la paix et l’unité.

Aujourd’hui, la Colombie entame un nouveau chapitre : celui du possible. Nous sommes ici contre toute attente, contre une histoire qui prétendait que nous ne gouvernerions jamais, contre ceux qui ont toujours gouverné et qui refusaient d’abandonner les rênes du pouvoir. Mais nous avons réussi. Nous avons rendu l’impossible possible. À force de travail, de déplacements et d’écoute, d’idées, d’amour et d’efforts. À partir d’aujourd’hui, nous allons tout mettre en œuvre pour rendre plus de choses impossibles possibles en Colombie. Nous avons réussi et nous continuerons sur cette voie.

PaixNous allons faire en sorte que la paix soit possible. Nous devons mettre un terme définitif à six décennies de violence et de conflits armés. C’est possible.

Nous respecterons l’accord de paix, nous suivrons à la lettre les recommandations du rapport de la Commission de la vérité et nous travaillerons sans relâche pour que la paix et la tranquillité règnent partout en Colombie. C’est le gouvernement de la vie, de la paix, et on s’en souviendra comme tel.

La paix est possible si nous favorisons le dialogue social partout en Colombie, pour se rencontrer au milieu des différences, pour s’exprimer et être entendu, pour chercher, à travers la voie de la raison, les sentiers communs de la coexistence. C’est la société tout entière qui doit engager un dialogue afin de déterminer comment ne pas s’entre-tuer et aller de l’avant. Dans le cadre des dialogues régionaux contraignants, nous appelons toutes les personnes non armées à trouver des moyens de coexister sur le territoire. Quels que soient les conflits, il est essentiel de les mettre en évidence par des mots, pour essayer de les résoudre par la raison. Pour mettre fin à la violence, je propose plus de démocratie et plus de participation.

Mais nous appelons également tous les groupes armés à déposer leurs armes dans les brumes du passé. A accepter des avantages juridiques en échange de la paix, de la fin définitive de la violence, à devenir les propriétaires d’une économie prospère mais légale qui met fin à l’arriération des régions.

Pour que la paix soit possible en Colombie, nous avons besoin dialoguer abondamment, afin de nous comprendre, de chercher des voies communes et d’apporter du changement.

DroguesBien sûr que la paix est possible si, par exemple, la politique de lutte contre la drogue, qui est perçue comme une guerre, est remplacée par une politique de prévention efficace de la consommation de drogue dans les sociétés développées.

Il est temps d’adopter une nouvelle convention internationale qui reconnaisse que la guerre contre la drogue a échoué, qu’elle a tué un million de Latino-Américains au cours des 40 dernières années et que 70 000 Nord-Américains meurent chaque année d’overdose. Que la guerre contre la drogue a renforcé les mafias et affaibli les États.

Que la guerre contre la drogue a amené les États à commettre des crimes et a fait disparaître l’horizon de la démocratie. Allons-nous attendre qu’un autre million de Latino-Américains soient assassinés et que 200 000 personnes décèdent chaque année d’overdose aux États-Unis ? Ou allons-nous troquer l’échec contre la réussite, afin que la Colombie et l’Amérique latine puissent vivre en paix ?

Nous devons rendre l’égalité possible. 10 % de la population colombienne possède 70 % des richesses. C’est insensé et amoral. Ne normalisons pas l’inégalité et la pauvreté. Ne détournons pas le regard, ne soyons pas complices. Avec de la volonté, une politique de redistribution et un programme en faveur de la justice, nous rendrons la Colombie plus égalitaire, avec plus d’opportunités pour tous.ÉgalitéL’égalité est possible si nous sommes capables de créer de la richesse pour tous et si nous sommes en mesure de la distribuer plus équitablement. C’est pourquoi nous proposons une économie basée sur la production, le travail et la connaissance. C’est pourquoi nous proposons une réforme fiscale qui permettra d’obtenir cette équité. Utiliser une partie de la richesse de ceux qui possèdent et gagnent le plus pour ouvrir les portes de l’éducation à tous les enfants et les jeunes ne doit pas être considéré comme une punition ou un sacrifice. Il s’agit simplement du paiement solidaire qu’une personne fortunée fait à une société qui permet et garantit sa fortune. Si nous sommes capables d’apporter une partie de la richesse créée à des enfants souffrant de malnutrition grâce à quelque chose d’aussi simple que le paiement légal des impôts, notre société sera plus juste et nous vivrons davantage en paix. Ce n’est pas qu’une question de charité, c’est une question de solidarité humaine. La solidarité est ce qui a permis aux individus de survivre et de réaliser les plus grandes avancées en termes de culture et de civilisation.

Collaborer au lieu de rivaliserNous n’avons pas progressé en tant qu’humanité en nous faisant concurrence, mais en collaborant. C’est la raison pour laquelle nous vivons sur cette planète. Nous serons égaux lorsque ceux qui possèdent le plus paieront leurs impôts avec plaisir et fierté, sachant qu’ils aideront leurs prochains, enfants, bébés, jeunes, femmes, à grandir en bonne santé, à penser, à vivre avec la plénitude qu’offre la nourriture et l’éducation du cerveau et de l’âme.

Solidarité, impôts et dépenses socialesLa solidarité réside dans les impôts payés par ceux qui en ont les moyens et dans les dépenses publiques destinées à ceux qui en ont besoin pour leur enfance, leur jeunesse et leurs vieux jours.

C’est pourquoi nous avons proposé une réforme fiscale, une réforme de la santé et des pensions, une réforme des contrats de travail et une réforme de l’éducation. C’est pourquoi dans le budget, nous avons donné la priorité aux infrastructures de l’éducation, des soins de santé, de l’eau potable, des districts d’irrigation et des routes locales.

Le temps est venu de rembourser la dette que nous avons envers notre enseignement public, afin qu’il soit accessible à tous et de haute qualité.

Le temps est venu de prendre conscience que la faim progresse. Elle progresse dans le monde entier, car l’idée d’une sécurité alimentaire reposant uniquement sur le commerce international s’est effondrée. Le commerce international n’est ni positif ni négatif en soi, mais s’il n’est pas géré intelligemment et de manière planifiée, il peut détruire des économies et des vies.

Le monde d’aujourd’hui apprend l’importance de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est la garantie dont chaque société doit bénéficier pour pouvoir consommer ses aliments essentiels. La Colombie est un pays qui doit et peut atteindre de la souveraineté alimentaire pour atteindre la faim zéro. Une mission d’État, avec l’ensemble du secteur privé prêt à se joindre à lui, devrait garantir une alimentation saine et complète à l’ensemble de la société colombienne et réaliser des excédents d’exportation. Là où l’humanité a découvert le maïs, nous devons à nouveau en produire. L’État devra fournir l’irrigation, les crédits, les techniques, les semences améliorées, la protection ; la paysannerie et les entreprises privées peuvent fournir le travail et l’engagement quotidien pour que nos champs produisent à nouveau la nourriture dont notre peuple a besoin.

Une armée au service du peupleL’armée, la société et la production peuvent être unies dans une nouvelle éthique sociale inébranlable. Les hélicoptères, les avions, les frégates, ne servent pas seulement à bombarder et à tirer des munitions, mais ils peuvent aussi être utilisés pour créer la première infrastructure pour la santé préventive du peuple colombien.

Ce n’est qu’en produisant que nous deviendrons une société riche et prospère. La richesse trouve sa source dans le travail, et le travail est de plus en plus une question d’intelligence.

Par conséquent, à partir d’aujourd’hui, tous les biens expropriés de la SAE serviront de base à une nouvelle économie productive gérée par des organisations paysannes, des coopératives urbaines de jeunes productifs et des mouvements populaires de femmes.Égalité des genresL’égalité de genres doit être rendue possible. Nous ne pouvons pas continuer à accepter que les femmes aient moins d’opportunités sur le marché du travail, des revenus inférieurs à ceux des hommes ; qu’elles doivent consacrer trois ou quatre fois plus d’heures aux tâches domestiques ; et qu’elle soient sous-représentées dans nos institutions. Il est temps de combattre toutes ces inégalités et d’équilibrer la balance.

ClimatFaisons en sorte qu’un avenir écologique soit possible. Le changement climatique est une réalité. Et il y a urgence. Ce n’est pas la gauche ou la droite qui le disent, mais bien la science. Nous avons et nous pouvons trouver un modèle qui soit économiquement, socialement et écologiquement durable.

Il n’y aura d’avenir que si nous trouvons l’équilibre entre d’une part, nos vies et l’économie mondiale, et d’autre part, la nature. La science a annoncé la possible extinction de l’espèce humaine dans un ou deux siècles seulement, en conséquence des effets sanitaires de la crise climatique. Le coronavirus a été un avertissement réel et vivant de cette possibilité.

La science ne semble pas s’être trompée. C’est pourquoi, depuis la Colombie, nous demandons au monde d’agir et de cesser toute hypocrisie.

Nous sommes prêts à passer à une économie sans charbon ni pétrole, mais nous ne pourrons pas faire grand-chose pour aider l’humanité. Ce n’est pas nous qui émettons des gaz à effet de serre. Ce sont les riches de ce monde qui le font, rapprochant de ce fait l’humanité de l’extinction. Toutefois, nous avons la plus grande éponge capable d’absorber ces gaz, après les océans : la forêt amazonienne.

L’un des piliers de l’équilibre climatique et de la vie sur la planète est la forêt amazonienne. Allons-nous permettre que cette forêt tropicale soit détruite au point que l’humanité atteigne un point de non-retour et s’éteigne ? Ou allons-nous la sauver avec l’humanité qui veut continuer à vivre sur cette terre ?

Où se trouve le fonds mondial pour sauver la forêt amazonienne ? Les discours ne suffiront pas. Nous pouvons faire en sorte que l’ensemble de la population qui vit aujourd’hui dans l’Amazonie colombienne joue un rôle de préservation forestière, mais pour cela, nous avons besoin des ressources du monde entier. S’il est si difficile d’obtenir l’argent que les taxes sur le carbone et les fonds climatiques devraient fournir pour sauver quelque chose d’aussi essentiel, je suggère alors à l’humanité d’échanger la dette extérieure contre des dépenses intérieures pour sauver et restaurer nos jungles, nos forêts et nos marais. Réduisez cette dette extérieure, et nous dépenserons les fonds ainsi libérés pour sauver des vies humaines.

Si le FMI participe à échanger des dettes contre des mesures concrètes contre la crise climatique, une nouvelle économie prospère s’ouvrira à nous, de même qu’une nouvelle vie pour l’humanité.

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