Le non-alignement de Cuba : une politique étrangère de paix et de socialisme

Les peuples du monde s’opposent aux tactiques coercitives des États-Unis, qui tentent d’isoler les pays qui ne se soumettent pas à la volonté de Washington. La préparation du sommet de l’Organisation des États américains de juin 2022 a été particulièrement révélatrice à ce sujet. Des pays comme la Bolivie et le Mexique ont en effet menacé de boycotter le sommet de Los Angeles si Cuba, le Nicaragua et le Venezuela n’étaient pas autorisés à y participer.

Par ailleurs, le People’s Summit for Democracy, qui se tiendra du 8 au 10 juin 2022 à Los Angeles, en Californie, poursuivra l’héritage de Bandung et de La Havane en rassemblant les voix des exclus.

Alors que Bandung en Indonésie et La Havane à Cuba ne pourraient être plus éloignées géographiquement – les deux villes étant situées sur deux îles distantes de plus de 17 000 km – elles sont toujours restées idéologiquement proches dans l’imaginaire de nombreux habitants du Sud. Le projet du tiers-monde, né de la coopération permanente entre les nouveaux États indépendants et leur lutte pour la libération nationale, a façonné et continue de façonner l’histoire des mouvements de paix et de non-alignement.

Lors de l’ouverture de la conférence de Bandung, le 18 avril 1955, Fidel Castro était encore un prisonnier politique sur ce qu’on appelait alors l’île des Pins, située juste au sud de La Havane, où il purgeait une peine de 15 ans pour une tentative d’attentat contre la caserne de Moncada deux ans plus tôt. Au cours de ces années de prison, pendant lesquelles le jeune Fidel ne cessait de dévorer des textes, il a commencé à appuyer ses idées sur les concepts de souveraineté et d’indépendance et sur la manière dont ceux-ci devaient être redéfinis pendant la guerre froide, alors que l’impérialisme développait de nouvelles stratégies visant à assujettir des continents entiers.

Fidel et ses camarades de prison traçaient une nouvelle voie pour Cuba et il était clair que leur cause de libération nationale devait être étroitement liée à un projet plus large visant à assurer le développement et à œuvrer en faveur d’un non-alignement actif des peuples du tiers-monde. À partir de la table ronde de Bandung, en Indonésie, les dirigeants du tiers-monde ont déclenché une lutte internationale pour restructurer le système mondial dominant de l’époque.

La conférence a été le témoin de la convergence des pays socialistes et du tiers monde et d’une cohésion croissante entre ces nations dans la lutte pour poursuivre le processus de décolonisation. Lors de la conférence de Bandung, les gouvernements indépendants d’Asie et d’Afrique ont souligné l’urgence de relancer la lutte anti-impérialiste et anti-coloniale et la nécessité d’unir progressivement les intérêts et les aspirations de leurs peuples.

La grande majorité des gouvernements d’Amérique latine, quant à eux, sont allés à l’encontre des intérêts et des aspirations communs de leurs peuples, en se soumettant davantage à l’impérialisme étasunien sous le couvert de l’Organisation des États américains (OEA), qui fonctionnait déjà comme le « ministère des colonies » du ministère des Affaires étrangères des États-Unis, comme Fidel l’appellera plus tard. 1959 a vu le triomphe de la révolution cubaine, qui a marqué un tournant pour l’Amérique latine et ses relations avec les États-Unis, dont le gouvernement décidera plus tard de ne pas reconnaître le processus révolutionnaire de l’île. En 1961, Cuba est devenu le point de mire de l’agression étasunienne dans la région, ce qui a entraîné un embargo qui dure depuis maintenant six décennies. Pour la première fois dans l’histoire, un mouvement de guérilla avait déclenché une révolution et défié l’impérialisme étasunien juste sous son nez, déclenchant de profonds changements dans la structure socio-économique du pays, à l’encontre des intérêts néocoloniaux des États-Unis.

Peu après, Cuba a été le seul pays d’Amérique latine à rejoindre le Mouvement des non-alignés (MNA), fondé en Yougoslavie en 1961. Fidel et la révolution cubaine allaient jouer un rôle stratégique dans la solidarité internationaliste avec la lutte de libération anti-impérialiste et anti-coloniale des peuples du tiers-monde. La Révolution cubaine était pleinement consciente que son destin ne faisait qu’un avec celui des peuples d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique.

Comme Fidel l’a déclaré en 1962 : « Qu’est-ce que l’histoire de Cuba sinon celle de l’Amérique latine ? Et qu’est-ce que l’histoire de l’Amérique latine sinon celle de l’Asie, de l’Afrique et de l’Océanie ? Et qu’est-ce que l’histoire de tous ces peuples sinon celle de l’exploitation impérialiste la plus impitoyable et la plus cruelle dans le monde entier ? »

Lorsque Cuba a rejoint le MNA en 1961, sa politique étrangère en était au stade de définition stratégique. L’engagement de Cuba dans le tiers-monde est devenu un pilier de sa stratégie internationaliste, que ce soit par le biais du MNA, de la Conférence tricontinentale ou encore de la plus tardive Organisation de solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (OSPAAAL).

Au cours des décennies suivantes, bon nombre des mouvements de libération nationale s’étant réunis à La Havane en janvier 1966 – lors de la première conférence de l’OSPAAAL – feront partie des nouveaux États qui ont rejoint le MNA, formant ainsi le nouveau paradigme du tiers-monde. Lors de la réunion fondatrice du MNA à Belgrade – alors capitale de la Yougoslavie socialiste – en 1961, le président cubain Osvaldo Dorticos Torrado a déclaré que le non-alignement « ne signifie pas que nous ne sommes pas des pays engagés. Nous nous engageons à respecter nos propres principes.

Et nous, peuples épris de paix, qui luttons pour affirmer notre souveraineté et pour atteindre la plénitude du développement national, sommes en définitive obligés de répondre à ces aspirations transcendantes et de ne pas trahir ces principes. »À une époque où beaucoup critiquaient « l’alignement » manifeste de Cuba sur l’Union soviétique et attaquaient le principe de libération nationale associée à un projet socialiste, Dorticos a tenté de définir plus précisément le non-alignement en déclarant que l’actualité « exigeait plus que des formulations générales, [et que] les problèmes concrets devaient être pris en considération ». Cette définition active du non-alignement a été importante pour la politique étrangère de Cuba dans ses relations avec les forces les plus progressistes du tiers-monde.À partir de 1973, la pensée du MNA semblait avoir abandonné les idées de « neutralité » qui avaient marqué le mouvement depuis ses débuts et se concentrait de façon bien plus conséquente sur les relations économiques internationales, en défendant la nécessité d’un nouvel ordre économique international.

Depuis la chute de l’URSS et l’accession des États-Unis à une position de quasi-hégémonie, le MNA a peiné à s’adapter aux nouvelles réalités et est parti à la dérive. Toutefois, ces dernières années, avec la résurgence du régionalisme en Amérique latine et l’émergence de l’intégration eurasienne, l’importance du non-alignement et du MNA est progressivement reprise en considération.​​​​​​​Cet article a été produit par le Morning Star et le Globetrotter. Manolo De Los Santos est le co-directeur exécutif du People’s Forum et chercheur au Tricontinental : Institut de Recherche Sociale. Il est co-éditeur, dernièrement, de Viviremos : Venezuela vs. Hybrid War (LeftWord Books/1804 Books, 2020) et de Comrade of the Revolution : Selected Speeches of Fidel Castro (LeftWord Books/1804 Books, 2021). Il est co-coordinateur du People’s Summit for Democracy.

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