Le Parlement cubain a récemment adopté un nouveau code pénal. Certains médias le réduisent sans hésitation à une répression accrue contre les journalistes et les manifestants. En fait, ce nouveau droit pénal s’aligne, conformément à la nouvelle Constitution, sur les évolutions qui ont lieu à Cuba et dans le monde et offre aux citoyens une plus grande sécurité juridique.
Large consultation et débatLe code pénal précédent datait de 1987 et, compte tenu de l’évolution sociale et en outre – et surtout – de la nouvelle constitution, il avait besoin d’être renouvelé. Le projet de texte était prêt en février 2022, alors que dès 2011 et 2017, le parlement avait recommandé une révision globale du droit pénal. À cet effet a été mis sur pied en 2012 un groupe de travail qui s’est également penché sur les expériences des pays étrangers et a examiné la compatibilité avec divers traités internationaux.
Les projets de textes ont été soumis à plus de 800 magistrats, avocats, juges, procureurs, experts et bien sûr aux représentants du peuple. Le reste de la population a également pu lire et commenter les textes sur le site web du Parlement et de la Cour suprême. Plus de 600 commentaires ont été reçus, dont 67 % ont été acceptés. Lors de la session parlementaire-même, des dizaines de modifications ont encore été apportées au projet de texte.
La demande introduite par Mariella Castro, membre du Parlement et célèbre militante de l’égalité des sexes, de mentionner explicitement le concept de féminicide n’a pas été retenue, avec l’argument que les actes commis dans ce contexte avaient été pénalisés. En effet, une section entière du nouveau code pénal (Titre XVI) traite des agressions, abus, harcèlements et insultes sexuels, du viol et de l’inceste.
Quel est l’objectif d’une loi pénale ?
Le droit pénal doit protéger la société, les personnes et l’ordre social, économique et politique établi par la Constitution, sauvegarder les formes juridiques (constitutionnelles) de la propriété et contribuer à ce que le citoyen se conforme à la légalité socialiste. Ses objectifs sont aussi bien d‘ordre préventif et éducatif que répressif.
Le droit pénal définit les actes qui nuisent à l’ordre constitutionnel, aux personnes, aux biens ou services, ou les mettent en danger. Sont ainsi concernés des crimes tels que l’homicide involontaire, les coups et blessures, le vol, le viol, la corruption, les troubles à l’ordre public, les dégradations, le trafic de drogue… pour lesquels des sanctions sont prévues.
La fonction essentielle du droit pénal, selon la professeure de droit cubaine Mayda Goite Pierre est l’éducation et la prévention (dissuasion), en plus de la punition (répression), mais aussi la réintégration des personnes sanctionnées. La sanction doit également tenir compte de la culpabilité, de la proportionnalité et de l’humanité de la peine, ainsi que de la gravité des faits, du concours de circonstances et des motifs.
NouveautésTout d’abord, la nouvelle loi rassemble les sanctions prévues par d’autres lois (par exemple concernant les technologies de communication, les infractions militaires, l’antiterrorisme etc.). Elle contient en outre de dispositions et formes pénales.
En plus des centaines d’articles, le Code contient également en annexe un glossaire complet afin que le texte soit également accessible aux non-juristes.
De nouvelles dispositions pénales sont introduites, dans le domaine des télécommunications et des médias sociaux, de l’environnement et du patrimoine naturel, de la discrimination et d’actes de violence liés à la famille ainsi que d’infractions contre les mineurs ou les personnes handicapées. Les mesures contre la corruption administrative et économique ainsi que la spéculation seront traitées plus sévèrement, tout comme l’abus des droits constitutionnels, la participation à des activités subversives et les attaques contre les moyens de communication. Les fonctionnaires portent également une plus lourde responsabilité pour leurs actions.
L’âge de la responsabilité pénale reste fixé à 16 ans, avec une approche différenciée pour les jeunes entre 16 et 18 ans. Des peines de prison allant jusqu’à 30 ans ou à vie sont prévues. La peine de mort – non appliquée depuis plus de 20 ans – est maintenue pour 23 crimes d’une extrême gravité.
Le Fonds d’indemnisation sera également réformé, afin que les victimes soient indemnisées plus rapidement et plus efficacement.
Le nouveau code pénal prévoit des peines principales, secondaires et mixtes. Le code pénal cubain prévoit pour la première fois des peines alternatives, avec notamment l’assignation à résidence, une interdiction de contact, des travaux d’intérêt général, des peines réparatrices, etc. Les victimes sont également impliquées.
Le droit pénal sert-il à museler les journalistes et les manifestants ?
La diffusion de l’information, notamment par la liberté d’expression et la liberté de la presse et par le débat public (y compris par des manifestations) est d’une grande importance pour le développement démocratique d’une société. Il en va de même dans une société socialiste comme Cuba. Les nombreuses consultations qui précèdent les lois et les prises de décision démontrent les réels efforts du gouvernement en se sens. Les plus hauts dirigeants appellent constamment à émettre des critiques sur ce qui ne va pas, à une discussion libre et franche. Et ils admettent volontiers qu’en ce domaine beaucoup de choses sont encore à améliorer.
Toutefois, en dehors des contraintes économiques et technologiques, Cuba est confrontée à un autre problème : elle est en état de guerre permanent avec les États-Unis, une puissance mondiale qui par un blocus, condamné à maintes reprises dans le monde entier, entrave le développement économique de l’île dans l’espoir que le peuple cubain abandonnera son système socialiste. Et cette lutte inégale n’est pas seulement d’ordre économique. Le gouvernement étasunien paie des millions de dollars par an (plus de 5 millions en 2020) à des personnes de Cuba pour diffuser de la désinformation ou pour s’engager dans l’opposition (y compris des manifestations non autorisées comme celles de juillet 2022), c’est ce qu’on peut lire sur le site web étasunien People’s World. Contexte rarement, voire jamais mentionné par les médias grand public.
La constitution cubaine reconnaît le droit à une presse libre, à la liberté de rassemblement, de manifestation et d’association à des fins légales et pacifiques. Toutefois, elle précise aussi que l’exercice de ces droits est limité par les droits d’autrui, la sécurité collective, le bien commun, le respect de l’ordre public, de la constitution et des lois.
Si vous comparez cela avec la constitution belge (art. 19) : « La liberté d’exprimer son opinion dans tous les domaines est garantie, sous réserve de la répression des infractions commises à l’occasion de l’exercice de ces libertés ». Ou avec l’article 26 : « Les Belges ont le droit de se réunir pacifiquement et sans armes, à condition de se comporter conformément aux lois, qui peuvent réglementer l’exercice de ce droit sans toutefois le soumettre à une autorisation préalable. Cette disposition ne s’applique pas aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux réglementations de police ». Pensez à cet égard aux amendes pour le SAC contre les protestations de rue, ou aux mesures contre les manifestations et à la loi pandémie pendant la crise du corona.
Il est vrai que Cuba adopte une attitude ferme à l’égard de la propagande ou des organisations qui attaquent ou sapent l’ordre étatique socialiste, en particulier lorsque celles-ci sont soutenues par des forces ennemies étrangères. (deux à cinq ans d’emprisonnement). Mais même cela, ce n’est pas l’apanage de Cuba. Je me réfère à nouveau à notre propre Constitution (art. 135bis) : « Celui qui, directement ou indirectement, reçoit d’une personne étrangère ou d’une organisation étrangère des dons, gratifications, prêts ou autres avantages sous quelque forme que ce soit, dans l’intention de les destiner ou de les utiliser en tout ou en partie à l’exercice ou à la rémunération, en Belgique, d’une activité ou d’une propagande, qui peuvent porter atteinte à l’intégrité, à la souveraineté ou à l’indépendance du Royaume ou qui peuvent ébranler la fidélité des citoyens à l’État et aux institutions du peuple belge, sera puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de mille [euros] à vingt mille [euros]. »
Dans le monde occidental, les principaux moyens de communication (presse et médias sociaux) sont entre les mains de quelques multinationales. En Flandre, cinq groupes de médias contrôlent 80 % de tous les médias ; en Belgique francophone, ils ne sont plus que deux groupes de médias à distribuer les cartes. À Cuba les médias sont entre les mains du gouvernement ou des organisations politiques, sociales ou de masse. Lorsque les grands médias parlent de « presse libre » ou de « journalistes indépendants », ce qu’ils veulent dire en fait, c’est qu’il s’agit d’une presse (éventuellement subventionnée) sur laquelle le gouvernement ou la communauté n’a aucun contrôle, et de « journalistes » qui peuvent diffuser des demi-vérités ou des mensonges complets sans la moindre entrave.
Dans l’ensemble, on peut donc considérer que le nouveau code pénal renforce l’État de droit socialiste cubain et offre une plus grande sécurité juridique aux citoyens et aux autorités. Il n’est dès lors pas surprenant qu’il soit dans la ligne de mire des forces qui depuis toujours s’opposent à la révolution cubaine.