L’émigration cubaine, une arme politique

Alors que Cuba, après plus de deux ans de pandémies et avec le renforcement du blocus imposé par les États-Unis, fait face à une véritable crise économique interne, l’émigration cubaine fait son retour dans l’actualité. Depuis la révolution de 1959, l’émigration est devenue une arme économique et politique.

Actuellement, 3,6 % de la population mondiale vit dans un pays autre que le sien. Les gens émigrent pour des raisons très diverses : pour échapper aux guerres, à l’oppression, à la pauvreté, à la famine, aux conséquences du changement climatique, pour trouver un nouvel emploi ou fuir des conditions économiques médiocres, ou encore pour rejoindre leur famille. Mais certains pays utilisent ou exploitent la migration comme une arme. C’est le cas des États-Unis vis-à-vis de Cuba. De plus, les États-Unis tirent profit de cette émigration au détriment des pays d’origine.

Migration de Cuba vers les États-UnisEntre 1950 et 1958, quelque 65 200 Cubains ont émigré aux États-Unis, ce qui, en comptant les résidents et leurs descendants, représente 100 000 Cubains vivant dans ce pays. En 1958, 72 000 autres Cubains les ont rejoints.

Depuis la victoire de la révolution en 1959 jusqu’à aujourd’hui, Washington a utilisé la migration comme instrument de déstabilisation, en accordant notamment un traitement spécial aux migrants cubains.

Le gouvernement étasunien a mis sur pied des programmes de migration spéciaux, exclusivement réservés aux Cubains, allant jusqu’à octroyer le statut de réfugié politique à toute personne quittant Cuba pour s’installer aux États-Unis.

Pour ce faire, le Congrès des États-Unis a adopté, le 2 novembre 1966, la « Act to Adjust the Status of Cuban Refugees to that of Lawful Permanent Residents of the United States, and for Other Purposes » (en abrégé la Cuban Adjustment Act, CAA).

Les Cubains qui sont admis ou libérés sur parole aux États-Unis et qui restent physiquement dans le pays pendant un an peuvent être « régularisés » par le procureur général en tant qu’étrangers légalement autorisé à résider de manière permanente aux États-Unis, cette régularisation s’étendant à leur conjoint ainsi qu’à leurs enfants. Les migrants qui arrivent aux États-Unis en provenance d’autres pays ne bénéficient pas de ce traitement de faveur.

Selon cette loi, toujours en vigueur, les Cubains arrivant aux États-Unis , qu’ils soient en situation régulière ou non, peuvent obtenir un permis de séjour permanent au bout d’un an et un jour, après quoi ils peuvent accéder à la citoyenneté étasunienne en moins de trois ans.

Les Cubains sont également les seuls migrants à pouvoir obtenir un permis de travail immédiatement et automatiquement, qu’ils soient ou non arrivés légalement. Ils n’ont pas besoin d’une « déclaration de prise en charge» pour résider légalement aux États-Unis, obtenir un numéro de sécurité sociale et bénéficier des aides publiques à l’alimentation et au logement.

Après une décennie au cours de laquelle relativement peu de Cubains sont arrivés aux États-Unis, leur nombre augmente à nouveau. Entre 2018 et 2021, quelque 2 000 Cubains ont émigré aux États-Unis. En janvier de cette année, ce sont par contre près de 15 000 Cubains qui ont franchi la frontière sud des États-Unis. En février, ils étaient chaque jour en moyenne 1 500. Selon le Washington Post, le nombre de gardes-frontières des États-Unis a été « multiplié par douze par rapport à 2020 ». En revanche, les autorités étasuniennes n’ont expulsé que 20 Cubains au cours des cinq derniers mois, et seulement 95 en 2021.

En janvier 2017, le président Obama avait abrogé un règlement administratif octroyant le droit de séjour aux migrants cubains entrés aux États-Unis via la mer, et renvoyé dans leur pays les Cubains appréhendés en mer. Les Cubains arrivant par cette voie n’étaient pas autorisés à rester. Les migrants ont réagi en empruntant la route terrestre d’Amérique centrale vers la frontière étasunienne, pourtant périlleuse.

Lorsque des migrants d’autres pays empruntent cet itinéraire, franchissent la frontière et sont appréhendés, ils sont soit rapidement expulsés, soit abandonnés au Mexique ou encore placés dans des centres de détention dans l’attente d’une décision en matière d’asile, soit encore libérés en attente d’un procès. Les Cubains qui franchissent la frontière bénéficient par contre généralement d’une « libération conditionnelle humanitaire » et sont relâchés, ou libérés après une courte période de détention en dans l’attente qu’un tribunal statue sur leur demande d’asile. Au bout d’un an de séjour, ils ont droit à la résidence permanente en vertu de la CAA.

L’octroi d’un permis de résidence permanente fourni par la CAA vise à inciter les Cubains à quitter leur pays.

Or paradoxalement, le gouvernement étasunien prétend aussi vouloir empêcher les Cubains de voyager aux États-Unis, comme s’il voulait les éloigner. Ainsi, en 2017 le gouvernement étasunien a rappelé le personnel de son ambassade à La Havane, en réaction à un syndrome neurologique toujours inexpliqué dont souffraient les diplomates en poste. Cela signifie que les Cubains n’ont plus accès aux services consulaires qui leur permettraient de se rendre légalement aux États-Unis.

Depuis, ils sont contraints de se rendre dans les ambassades étasuniennes d’autres pays pour obtenir des visas d’entrée vers les États-Unis. Cela entraîne des frais de voyage qui sont trop élevés pour la plupart des voyageurs. Washington a annoncé en mars que son ambassade à La Havane recommencera sous peu à délivrer des visas d’entrée pour les États-Unis, mais uniquement pour les parents de citoyens étasuniens.

Les États-Unis encouragent l’émigration illégale de CubainsLe blocus économique des États-Unis, les conséquences de la pandémie de coronavirus et les problèmes intérieurs non résolus, dont l’inflation, la corruption, la lourdeur de la mise en œuvre des réformes, les pénuries dans la production alimentaire nationale et les effets de la conversion de deux monnaies en une seule sont autant d’éléments qui expliquent cette augmentation de l’émigration.

Cependant, en parallèle, les médias sociaux et les sites web anti-cubains manipulent les émotions des gens en les inondant de fausses informations, d’appels à quitter le pays et de faux témoignages de Cubains désireux d’émigrer, etc. Les médias qui servent les intérêts de Washington continuent inlassablement à encourager et à lancer des appels aux départs illégaux vers les États-Unis.

Les États-Unis et Cuba ont convenu en 1994 d’un mécanisme d’émigration légale de Cubains vers les États-Unis. Le gouvernement étasunien devait permettre à au moins 20 000 Cubains tirés au sort de s’installer chaque année définitivement aux États-Unis. Mais le service d’immigration des États-Unis ne délivre presque jamais le nombre de visas d’entrée requis.

Les Cubains sans papiers qui veulent rejoindre la frontière des États-Unis par la route terrestre de l’Amérique centrale doivent entreprendre leur voyage via un pays qui ne requiert pas de visa d’entrée. Aujourd’hui, le Nicaragua reste le seul pays sans obligation de visa pour les Cubains. En effet, le Panama, la Colombie et le Costa Rica (peut-être sous la pression des États-Unis) entravent, voire interdisent presque totalement le transit des Cubains sur leur territoire en imposant des conditions très difficiles ou en refusant tout bonnement les visas et les permis.

Provoquer une crise migratoire pour justifier une invasion ?

L’arrivée possible d’un grand nombre de migrants cubains qui dépasserait leur capacité d’absorption préoccupe les États-Unis, où l’on se souvient des dizaines de milliers de Cubains, partis pour les États-Unis sur des radeaux en 1980 et en 1994, à l’appel depuis les USA. À chaque fois, cette crise a été gérée sans compromettre la sécurité de Cuba. Mais créer une « crise migratoire » reste une idée tentante pour justifier une intervention de Washington à Cuba, pour des raisons humanitaires ou non. Une migration bénéfique pour les États-UnisLe scientifique et observateur politique cubain Agustín Lage souligne « l’émigration des jeunes ayant une formation universitaire ».

Ce phénomène reflète selon lui « l’évolution des processus migratoires au cours du XXe siècle » qui affecte les économies et met en péril « les états dont le développement social et économique se dégrade ». Il fait référence aux sociétés sous-développées du Sud et, selon toute vraisemblance, aux légions de scientifiques et de médecins que Cuba a formés pendant de nombreuses années. Ils constituent le « capital humain » de l’île et sont une ressource importante pour l’économie cubaine.

Lage pointe le fait que le nombre d’immigrants hautement qualifiés entrant aux États-Unis est passé de 3 % en 1930 à 40 % aujourd’hui, et que la plupart d’entre eux ont fait leurs études en Asie et en Amérique latine. Un tiers de tous les scientifiques formés dans des pays en développement vivent aujourd’hui dans des pays développés. On notera, et c’est essentiel, que « la proportion de migrants ayant suivi une formation universitaire augmente plus rapidement que la proportion de migrants en général ».

Les États-Unis sont les « principaux bénéficiaires de ces flux migratoires ». Parmi tous les scientifiques qui ont émigré des pays en voie de développement, 76 % vivent aujourd’hui aux États-Unis. Pour Lage, la législation étasunienne en faveur des migrants avec un « diplôme universitaire » est un révélateur de l’objectif des États-Unis.« Les pays du Sud investissent dans la formation du capital humain. Or une partie de ce capital humain émigre. » Les économies du Nord bénéficient d’une « plus value », tandis que les pays en voie de développement sont doublement perdants. Ils paient le coût de la formation des personnes qualifiées qui s’en vont et paient aussi les « produits de haute technologie qu’ils doivent importer » et constituent « une contribution indéniable de ces mêmes migrants ».

Pour Lage, les États-Unis façonnent leur politique d’immigration en fonction de leurs intérêts économiques et n’hésitent pas à faire passer leurs propres exigences avant les besoins des pays moins développés. Il est clair que la manipulation étasunienne de la migration cubaine à des fins contre-révolutionnaires va dans le même sens.

Lage conclut : « Cela fait plus de soixante ans que nous sommes soumis à ne agression économique qui affecte les conditions de vie matérielles de la population. À chaque moment de l’histoire, aux quatre coins du globe, des difficultés économiques persistantes ont entraîné des pressions migratoires. Et Cuba se trouve aussi sur ce globe. Mais notre histoire et notre culture jouent en notre faveur. La conscience nationale cubaine est la base de notre capacité de résistance. Notre culture et notre histoire sont profondément ancrées ici et aussi dans la conscience des Cubains qui vivent ailleurs ». Toutefois, « notre projet de société socialiste, une société ‘avec tous et pour le bien de tous’ (selon les mots de José Martí), est en réel danger. Gardons-nous bien de le sous-estimer.

Pendant ce temps, le gouvernement cubain continue d’exhorter les États-Unis à accorder les visas convenus afin de garantir une émigration légale et ordonnée et de protéger les Cubains de l’insécurité et des abus liés à la traite des êtres humains. Basé sur un article de Raúl Capote, écrivain, professeur, chercheur et journaliste cubain, et de W.

T. Whitney Jr., pédiatre retraité et journaliste politique installé dans le Maine.

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