Wim Leysen, porte-parole de la Coordination pour la levée du blocus de Cuba, vient tout juste de rentrer d’un voyage sur l’île, où il a notamment eu une rencontre passionnante avec la vice-ministre de l’Économie et a également recueilli quelques réflexions d’autres Cubains.
Ces dernières années, Cuba a apporté des changements majeurs à son économie nationale. L’ancien président des États-Unis Donald Trump a frappé l’économie cubaine en plein cœur. Il a imposé d’importantes restrictions au tourisme en provenance des États-Unis, les croisières internationales n’étaient plus autorisées à accoster dans les ports cubains. Trump a interdit aux pétroliers internationaux de livrer du pétrole à La Havane. En 2019 et 2020, Cuba a connu d’importantes pénuries d’énergie. Depuis, la situation s’est quelque peu améliorée, grâce à la coopération avec la Turquie, qui a fourni une centrale électrique flottante. Mais les conséquences perdurent.À cela s’est encore ajoutée la pandémie de coronavirus, qui a complètement paralysé la vie économique. Le gouvernement cubain n’avait jamais imaginé que le pays retomberait à un niveau de vie minimal. Cette situation complexe entrave gravement le plan économique 2020-2030, qui s’appuie sur la relance économique des années 2015-18.
Cuba est une économie ouverte, extrêmement dépendante des importations. Le grand défi consiste à équilibrer la balance nationale des paiements. Suite à la perte de la quasi-totalité des recettes, les résultats escomptés des réformes économiques ne peuvent se réaliser à brève échéance.
Il y a une dizaine d’années, le gouvernement a abandonné l’idée de pouvoir employer tous les citoyens dans les entreprises et services publics. Il a créé la possibilité de travailler pour son propre compte. Au départ, seules quelque 200 professions ont été ouvertes à ces indépendants ou « cuentapropistas ». Beaucoup de choses ont changé depuis lors ; certains cuentapropistas ont réussi à monter une entreprise avec des employés, d’autres sont restés simples indépendants.
Le gouvernement reconnaît de plus en plus que ces indépendants – 600 000 personnes au total – constituent un moteur potentiel puissant pour l’économie locale. C’est pourquoi le gouvernement a décidé d’ouvrir la quasi-totalité des professions aux indépendants. Dans le même temps s’est avérée la nécessité de mieux organiser ce secteur. Une entreprise de 80 employés nécessite des réglementations différentes de celles pour un petit travailleur indépendant. La loi Micro Pequeña Y Mediana Empresa (MIPYME), approuvée en septembre 2021, établit une distinction entre les microentreprises (jusqu’à 3 personnes), les petites entreprises (entre 4 et 20 personnes) et les moyennes entreprises (21 à 100 personnes), en fonction du nombre de personnes employées.
La loi n’autorise pas d’entreprises privées de plus de 100 employés, sauf si celles-ci se transforment en coopératives où chaque membre bénéficie de droits égaux. L’entreprise de carrosserie Autochapt à La Havane, par exemple, compte environ 180 « socios » ; ils ne reçoivent pas de « salaire », mais une avance mensuelle sur les bénéfices. À la fin de l’année, le bilan final est établi et discuté, et une prime de fin d’année est partagée. Actuellement le nombre de Mipymes reconnues est encore limité à 1 759 entreprises, mais de nouvelles reconnaissances sont accordées chaque mois. Victor Cortina est dans ce dernier cas. Après avoir pris sa retraite de l’enseignement, il a entrepris la production de meubles de jardin et de décorations en béton. À 77 ans, il emploie désormais 28 travailleurs.
Le gouvernement cubain considère les Mipymes comme un complément important aux entreprises d’État. Celles-ci détiennent les principaux secteurs économiques susceptibles de générer beaucoup de revenus (étrangers). La production de nickel et de sucre, le tourisme et la biotechnologie, les services médicaux internationaux restent aux mains de l’État, tout comme, évidemment, les secteurs sociaux tels que l’éducation, la santé, les sports et la culture.
Le plan économique 2020-2030 accorde une plus grande autonomie et responsabilité aux entreprises publiques. Toutes les entreprises doivent clôturer l’année avec un solde final positif. Il n’est plus question de compensations automatiques des pertes éventuelles par le gouvernement national.
Des entreprises rentables, cela semble aller de soi. Mais les longues années de coexistence de deux monnaies à Cuba ont donné lieu à une situation chaotique. Le CUC fort, d’une valeur équivalente au dollar, était noté dans la comptabilité comme un CUP ou peso nacional. Toutefois, 1 CUC à la banque était échangeable contre 24 pesos nacional. Dès lors, les entreprises pouvaient facilement importer des matières premières et des machines, puisque, à des fins comptables, un achat de 1 000 dollars était enregistré comme 1 000 pesos nacional.
C’était au gouvernement national à combler la différence. Avec la nouvelle réglementation, le gouvernement veut s’assurer que les entreprises d’État s’approvisionnent davantage sur le marché national et importent uniquement si elles génèrent elles-mêmes suffisamment de devises fortes. Les entreprises qui réalisent davantage de bénéfices sont également libres de payer des salaires plus élevés.
Depuis des années déjà, le gouvernement avait pris conscience de la nécessité d’unifier la monnaie, mais il n’était jamais arrivé à une décision. À partir du 1er janvier 2021, le CUC a finalement été supprimé et tous les achats et paiements sont désormais effectués en peso nacional. Le taux de change a été fixé à 24 pesos pour un dollar et 27 pesos pour un euro.
Dans la rue cependant, des commentaires critiques se font entendre, affirmant que l’unification de la monnaie n’aurait pas dû se faire dans les circonstances actuelles, alors que le gouvernement est confronté à un énorme manque de revenus. La faible production intérieure et le manque de devises pour garantir les importations ont provoqué une grave pénurie de produits essentiels. Les prix atteignent des sommets sans précédent.
Pour compenser le manque de devises fortes, le gouvernement a créé les magasins MLC, où les Cubains ne peuvent payer qu’en devises fortes et uniquement avec leur carte bancaire. Dès lors, quiconque n’a pas de revenus en devises fortes ne peut acheter dans ces magasins. Des Cubains « malins » disposant de devises étrangères exploitent la situation : ils achètent les produits dans les magasins MLC et les revendent en pesos avec une marge bénéficiaire considérable. Le prix d’une bouteille de limonade dans la rue peut facilement atteindre 200 pesos ou 8 dollars. Quand on sait que le salaire moyen tourne autour de 4 400 pesos et le salaire minimum autour de 2 200, il ne fait aucun doute que les temps sont durs pour de nombreux Cubains.
Moins d’importations, plus d’exportations et des investissements dans des secteurs clés forment les lignes directrices du plan 2020-2030. Une croissance considérable de la production agricole est nécessaire afin de réduire la forte dépendance des importations alimentaires. Les investissements se concentrent dans la biotechnologie et le développement de médicaments, un secteur fort de Cuba qui offre des perspectives d’exportation. La transition énergétique constitue également un point important : la part actuelle de 2 à 3 % d’énergies renouvelables doit être augmentée afin de réduire la dépendance au pétrole.
Entre 2020 et septembre 2021, le produit intérieur brut a diminué de 13 %. L’objectif de Cuba pour 2022 est d’atteindre une croissance de 4 %, dans l’espoir d’un début de croissance régulière de l’économie. Rappelons que Cuba a dépensé beaucoup d’argent ces deux dernières années pour lutter contre la pandémie de coronavirus. Les personnes à risque ont été placées dans des centres de quarantaine, où elles ont bénéficié de repas gratuits. Rien qu’en 2021, Cuba a dépensé 754 millions de dollars en tests PCR. En outre, des millions ont été investis dans le développement de ses propres vaccins. Ces investissements ont porté leurs fruits. Toute la population dès l’âge de deux ans a été vaccinée et la vie normale reprend son cours.
Cuba ne peut pas faire face à ces plans économiques par ses propres moyens et est donc fortement en quête d’investissements étrangers. Malheureusement, ceux-ci restent en dessous des espérances, car Cuba occupe un rang CC au niveau international. Pour les investissements étrangers, Cuba est un pays à risque, incapable d’équilibrer sa balance des paiements. Mais une entrave plus importante encore provient du fait que Trump a inscrit Cuba sur la liste des pays qui soutiennent le terrorisme. Depuis lors, de nombreuses banques ont mis fin à leur coopération avec Cuba. Le président Biden dispose de tous les moyens nécessaires pour sortir Cuba de ce carcan économique et financier. C’est en cela qu’on voit que Biden et Trump se valent. Ce dernier a fait beaucoup de bruit en paroles, alors que Biden poursuit en silence l’étranglement de Cuba.source : https://www.mep.gob.cu/es/node/3