Une vague de gauche déferle à nouveau sur l’Amérique latine. Au Pérou, en Bolivie, au Brésil et au Guatemala, notamment, il y a eu des mouvements de protestation de masse et dans plusieurs autres pays, la gauche a remporté des élections. Dans le même temps, Cuba et le Venezuela ont été durement mis à l’épreuve, mais ils ont tenu bon malgré des tentatives de déstabilisation persistantes. Un regard sur l’année écoulée et sur l’année 2022.
Des mouvements de protestation de grande ampleur secouent le continentDepuis 2018, des mouvements de protestation d’une ampleur sans précédent secouent l’Amérique latine. Souvenez-vous des grandes manifestations anti-corruption au Pérou. Ou encore des manifestations en Équateur contre la hausse des prix et le soulèvement massif au Chili, avec des manifestations rassemblant plusieurs millions de militants.
En Bolivie et au Brésil également, les gens ne cessent de descendre dans la rue pour défendre leurs acquis sociaux et la démocratie. Protestations au ChiliL’ombre menaçante des guerres hybrides plane sur le continentLa guerre traditionnelle ne semble pas (ou plus) très présente sur le continent, mais les tentatives de déstabilisation par le biais de guerres hybrides le sont d’autant plus. On entend par guerre hybride les tactiques utilisées pour influencer ou saper un régime de gauche.
Pensez à la Bolivie, où après un coup d’État en 2019, une présidente d’extrême droite a pris le pouvoir avec le soutien d’une partie de l’armée et de la police. Ou prenez la récente tentative de la droite au Pérou de destituer le président Pedro Castillo, élu démocratiquement.
Les soi-disant manifestations pour la démocratie à Cuba étaient une tentative savamment orchestrée. Des dizaines de milliers de faux comptes de médias sociaux ont inondé les Cubains de tweets et de messages Facebook fabriqués de toutes pièces.
Le 11 juillet, quelques manifestations de moindre envergure ont ainsi été organisées, accueillies par un écho gigantesque dans les grandes agences de presse occidentales. Ces magnats des médias ont même réussi à présenter des images de manifestations de soutien à la révolution cubaine comme des protestations de personnes qui voulaient mettre fin à la révolution.
Depuis le début de la pandémie, les Cubains ont été empêchés d’importer de nombreux médicaments et équipements de protection.
Même une cargaison de respirateurs en provenance de Chine a été bloquée et n’a pas été livrée. En effet, la société suisse auprès de laquelle ces appareils avaient été commandés avait été rachetée entretemps par une société américaine. La combinaison de la pandémie et du blocus économique a eu un impact énorme sur Cuba et sa population. La pandémie et le changement climatique engendrent une augmentation de l’insécurité alimentaire et de la pauvretéLa pandémie a touché les économies du continent avec une intensité inédite. Des millions de Latinos se sont retrouvés au chômage et dans la pauvreté qui l’accompagne, voire dans une grave insécurité alimentaire. Comme chez nous, de nombreux secteurs économiques ont été mis à l’arrêt. Le tourisme n’a pas pu reprendre pendant longtemps.
Les chiffres en matière de pauvreté parlent d’eux-mêmes. Un Latino-Américain sur trois vit dans une extrême pauvreté et autant sont menacés par la pauvreté, alors que la région reste une importante zone de profit pour diverses multinationales. Le continent regorge par exemple de matières premières nécessaires à la production de voitures électriques.
Au lendemain du coup d’État en Bolivie, Elon Musk (patron et milliardaire de Tesla) n’a pu s’empêcher de préciser qu’il pouvait organiser un coup d’État n’importe où et contre n’importe qui. La réponse de la classe travailleuse en Amérique latine sera fondamentale, pour répondre aux Elon Musk de ce monde.
Passons en revue quelques-uns de ces pays, en commençant par les plus grands. Élections au Brésil – quelle est la position de Lula ?
Le Brésil se trouve à la veille d’élections cruciales : le 2 octobre 2022, les Brésiliens éliront un nouveau président. Lula est invariablement en tête dans les sondages et dans bon nombre d’entre eux, l’écart avec Bolsonaro est déjà supérieur à 30 %.
Il jouit d’une grande popularité auprès des couches pauvres de la population et d’une grande notoriété auprès de la classe travailleuse de ce vaste pays.
La gestion désastreuse de la pandémie de Covid-19 a laissé des stigmates profondes chez de nombreux Brésiliens. La menace d’un coup d’État reste présente. Les forces de droite sont prêtes à tout pour se maintenir au pouvoir.
Au Brésil aussi, d’aucuns remettent en cause les élections avant même qu’elles n’aient eu lieu, une méthode éprouvée par Donald Trump. MexiqueAu Mexique, le président de gauche Lopez Obrador se maintient solidement le pouvoir. Plus de 65 % des Mexicains soutiennent sa politique.À titre de comparaison, le président américain Biden n’obtient plus la confiance que de 43 % de ses concitoyens. Obrador a mis en place plusieurs mesures pour lutter contre l’extrême pauvreté et les inégalités qui vont de pair. ArgentineEn Argentine, malgré un gouvernement de centre-gauche, il y a également beaucoup de mécontentement social. Le président Fernández ne parvient pas à rompre avec la politique néolibérale de son prédécesseur, Mauricio Macri.
Le Covid-19 a également semé la désolation dans ce pays situé à l’extrême sud du continent latino-américain. Les dommages économiques dans le pays se chiffrent en milliards.
Ces derniers mois, la population est descendue dans la rue pour réclamer qu’on mette un terme à l’extrême pauvreté et à la faim qui en découle. Lors des récentes élections locales, le bloc de gauche a subi une lourde défaite. Les candidats de droite ont pu tirer quelque profit du mécontentement qui régnait parmi la population. Chili : défaite du pinochetisme et du néolibéralismeLes actions de masse au Chili ont débouché en juillet sur un processus de réécriture de la constitution. Cette dernière datait encore de l’ère Pinochet. Lors des élections pour la composition de cette Assemblée constituante, les partis politiques traditionnels ont été quasiment rayés de la carte.
L’Assemblée constituante veut maintenant inclure les droits des femmes et des minorités dans une nouvelle constitution. Là aussi, la gauche a pu s’assurer une nouvelle victoire lors des élections présidentielles du 19 décembre.
Boric, le candidat de gauche, l’a emporté haut la main. À 35 ans, l’ancien leader étudiant est le plus jeune président que le Chili ait jamais eu. Il a promis de mettre en œuvre les réformes proposées par l’Assemblée constituante nouvellement élue.
Au Chili aussi, sous la pression soutenue du mouvement de protestation et d’un président de gauche, la voie est désormais ouverte vers de véritables réformes pour un renforcement de la santé publique et de l’éducation. VenezuelaAu Venezuela, le PSUV de Maduro a pu remporter une nouvelle victoire lors des élections des nouveaux conseils municipaux et des gouverneurs. L’opposition politique a été pratiquement anéantie.
Entre-temps, le dialogue avec la majeure partie de l’opposition s’est poursuivi avec succès. Toutefois, le pays continue de souffrir des conséquences de la pandémie, conjuguées aux lourdes sanctions des États-Unis. Pedro Castillo pourra-t-il tenir ses promesses au Pérou ?
Le Pérou traverse une période de turbulences. Contre toute attente, Pedro Castillo, un enseignant d’obédience de gauche, y a été élu président. Il doit faire face à un parlement où il n’a pas la majorité.
Les accusations infondées de corruption et de népotisme y sont monnaie courante. Certains de ses ministres progressistes ont déjà dû démissionner sous la forte pression des élites économiques.
En novembre de cette année on a assisté à une nouvelle tentative de destitution du président démocratiquement élu. Celle-ci s’est également soldée par un échec. La reprise du tourisme à Cuba ?
Outre le blocus étasunien en cours, Cuba a subi un coup dur sur le plan économique, avec la pandémie qui a gravement touché l’île des Caraïbes en 2021.
Le tourisme est pratiquement à l’arrêt depuis 2020. Un désastre majeur quand on sait que l’économie cubaine dépend à plus de 40 % des touristes étrangers.
Un nouvel atout sur lequel les Cubains misent actuellement est la distribution des vaccins qu’ils ont eux-mêmes développés : Abdala et Soberana. Cuba est en train de chercher des pays tiers pour en organiser la production.
Actuellement, il existe déjà des accords de production avec l’Iran et le Venezuela. Des pourparlers sont en cours avec des pays comme le Canada. Un parcours indépendant pour le Honduras ?
Lors des élections de fin novembre, Xiomara Castro est devenue la nouvelle présidente du pays. La gauche revient au pouvoir dans ce pays d’Amérique centrale après de nombreuses années de gouvernement très à droite.
La nouvelle présidente a déjà laissé entendre qu’elle souhaitait mettre fin à la politique stricte en matière d’avortement (le Honduras possède l’une des lois anti-avortement les plus strictes au monde). Elle souhaite également abandonner les relations internationales exclusives avec les États-Unis. NicaraguaÀ l’instar du Venezuela, ce pays d’Amérique centrale a subi de fortes attaques, prenant la forme d’une campagne internationale pour les droits humains et des élections équitables.
Le président Ortega et le FSLN ont remporté les élections de novembre 2021, ce qui a suscité une grande colère des États-Unis. Ces derniers parlent invariablement du « triangle de la tyrannie », en désignant Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. Guatemala, Colombie et ÉquateurEn Équateur, l’ex-banquier Lasso a battu l’homme de gauche Arauz, malgré l’ avance convaincante de celui-ci au premier tour. La droite est également sortie victorieuse au Guatemala en 2019.
La Colombie, où l’accord de paix avec la guérilla de gauche semble être resté lettre morte, se rendra aux urnes au printemps 2022. L’issue est incertaine. La résistance sociale a été très forte en Colombie aussi ces dernières années.
Dans le même temps, les militants et les syndicalistes sont toujours victimes des groupes paramilitaires. En 2021, plusieurs dizaines de défenseurs des droits de l’homme ont encore été tués par ces groupes. Un espoir pour 2022 ?
Il n’y a, bien sûr, aucune recette pour une victoire durable de la gauche. Mais la mobilisation et l’organisation du peuple – avant, pendant et surtout après une victoire électorale – jouent un rôle décisif.
Si les responsables politiques tiennent leurs promesses et continuent de compter sur la participation et le soutien de la population, un changement réel et durable est possible.
Il s’agit d’une lutte complexe, contre une superpuissance étrangère agressive et ses alliés (en l’occurrence les États-Unis et l’Union européenne) – qui utilisent tout un arsenal médiatique pour classer les pays et les gouvernements en « bons » ou « méchants » – et contre une élite locale qui ne renoncera pas facilement à son pouvoir.
L’année qui vient sera sans nul doute mouvementée pour le continent, mais les premiers signes sont encourageants.