Quid après la victoire de Xiomara au Honduras ?

Entretien avec Berthita Zúniga Cáceres, fille de Berta Cáceres (assassinée le 3 mars 2016) et qui lui succède à la tête de Copinh, une organisation populaire forte dans la résistance contre la dictature hondurienneJe suis Bertha Zúñiga Cáceres. Je suis la coordinatrice de Copinh, une organisation qui lutte pour défendre les droits territoriaux et démocratiques du peuple Lenca au Honduras.

Que signifie la victoire de Xiomara Castró à la présidence du Honduras ?

Je pense que la victoire électorale de Xiomara Castró à la présidence est très importante pour le peuple hondurien : symboliquement, stratégiquement et politiquement.

D’abord, parce que dans un pays aussi machiste que le Honduras, une femme a pour la première fois été élue présidente. En fait, peu d’années après la première participation des femmes aux élections. Une femme présidente est donc déjà un accomplissement important.

De plus, il ne s’agit pas de n’importe quelle femme, mais d’une femme qui s’est engagée en faveur des revendications des féministes et de nombreux secteurs féministes. C’est très important dans un pays où les agressions, les attaques, la diffamation et les insultes envers les femmes, les féminicides, l’absence de droits sexuels et reproductifs viennent en tête de tous les maux que connaît actuellement le Honduras.

Disons que cette élection clôt le cycle de la période d’après le coup d’État : 12 ans. Le coup d’État qui a maintenu au pouvoir le parti national, qui défend les positions les plus conservatrices. Et qui a mis un terme aux projets politiques et populaires défendus par les mouvements sociaux au Honduras avant juin 2009.

Cette période a aussi connu une recrudescence de la violence en général. Ainsi qu’une violation systématique des droits humains, le bradage des terres de diverses manières, des concessions sur les rivières et le sous-sol, la privatisation des zones boisées….

Cela touchait en premier lieu les communautés indigènes et paysannes : les Garifuna, le peuple Lenca et toutes les communautés indigènes souffrent de la mise en œuvre d’un modèle extractiviste (minier) très agressif et violent, un modèle de profit violent qui va de pair avec la militarisation du pays, une violence généralisée, l’utilisation sélective du système juridique afin de persécuter les plus démunis et, d’autre part, de disculper les structures de pouvoir qui ont bénéficié du coup d’État.

Le résultat est un pays extrêmement meurtri, sous la domination d’une logique destructrice. Toutes ces attaques cumulées ajoutées à la crise économique exacerbée par la pandémie mondiale et, en plus, la corruption ont conduit à une profonde misère sociale et aux caravanes de migrants : une manifestation de cette crise sociale, économique et politique.

Dans ce contexte, en 2017, les gens sont allés voter lors d’élections très frauduleuses, mais aujourd’hui, ils ne sont plus aussi naïfs qu’ils l’étaient en 2017. Cette fois-ci, ils se sont rendus en grand nombre aux urnes. Ce gouvernement ne sera certes pas la transition idéale et ne pourra répondre à toutes les revendications du peuple, mais il constitue un temps de répit dans toute cette situation de violences et de pillage au cours de laquelle le peuple a été privé de tous ses droits : accès à l’eau, à la santé, à l’enseignement… Nous avons donc bon espoir, parce que Xiomara a un discours plus proche des intérêts du peuple.

Nous savons qu’il nous faudra continuer le combat en tant qu’organisations et mouvements. Nous devrons continuer à faire comprendre que c’est nous, les organisations, les gens qui ont subi cela, cette injustice. Nous devrons engager les discussions visant à remettre le mouvement populaire sur la carte ainsi que le dialogue pour le changement structurel au Honduras, car sans cela, il n’y aura pas de changement substantiel ou important.

Je pense donc que cette victoire importante offre beaucoup d’espoir, apporte une bouffée d’air frais à nos organisations, qui pourra s’approfondir pour aborder les questions stratégiques dans un environnement économique et politique très défavorable. C’est ce pays meurtri qui sera mis entre les mains de ce nouveau gouvernement, et ce nouveau pays, c’est nous, les gens, les peuples qui devrons le construire.

Que pensez-vous des 30 points d’action pour les 100 premiers jours proposés par le parti Libre de Xiomara ?

Je pense qu’il y a actuellement au Honduras un débat qui est mené pour établir ce qui est le plus important, ce qui devrait être au centre de la vie politique et sociale du Honduras : est-ce que ce seront les avantages économiques de petits groupes qui ont bénéficié des politiques menées depuis le coup d’État, ou bien le droit à la vie, à la démocratie et à la justice sociale ?

Concernant ces 30 points pour les 100 premiers jours du gouvernement, je pense que deux éléments sont importants pour des organisations telles que Copinh : stopper les concessions pour les rivières, les mines à ciel ouvert et abolir les concessions déjà accordées lorsque celles-ci portent atteinte aux droits des communautés. C’est très important, parce que la plupart des conflits territoriaux que nous subissons au Honduras concernent précisément ces questions, avec les projets hydroélectriques et l’exploitation minière sur lesquels nous avons déjà mené tant de durs combats.

L’autre grande question est celle de la justice sociale et de la justice pour des martyrs tels que Berta Cáceres. L’assassinat de cette dirigeante du Copinh, qui est aussi ma mère, est une lutte très importante pour le Copinh, mais aussi pour tous les citoyens du Honduras, car c’est un exemple emblématique des violations des droits humains et de la lutte sur ces conflits territoriaux.

Outre cela, il existe de nombreux autres points, tels que la restauration des institutions de l’État, l’annulation de leur privatisation et la restitution des droits civils. C’est très important, et nous avons de grandes attentes à ce sujet.

L’installation d’une Assemblée nationale constituante est d’importance capitale, et réclamée depuis longtemps afin d’établir un cadre légal pour, notamment, les droits des peuples indigènes et les droits sexuels et reproductifs des femmes, ainsi que pour la démilitarisation de notre pays, la reconnaissance des droits des communautés LGTBI…, diverses propositions qui ont été avancées depuis de nombreuses années et qui intègrent les revendications sociales les plus progressistes. D’autre part, nous souhaitons le retrait des lois instaurées au cours des 12 dernières années, qui nuisent aux intérêts du peuple et ne profitent qu’à ces petits groupes économiques.

Quelles sont, pour des organisations telles que Copinh, les prochaines étapes pour pouvoir rétablir la démocratie ?

Nous pensons effectivement qu’il ne s’agit que d’un premier pas, car notre expérience au Honduras et d’autres expériences similaires en Amérique latine nous ont appris que les pouvoirs en place, les « pouvoirs de facto » – les groupes économiques et les groupes politiques qui leur sont associés – ne se laisseront pas faire.

La construction d’un pouvoir populaire est ce dont nous avons réellement besoin, une réelle mise application des idées sur le travail organisationnel, le développement de la lutte au Honduras et en dehors du Honduras.

Nous devrons nous battre pour l’indépendance des pouvoirs de l’État, car, malgré les dernières élections générales qui ont formé l’exécutif et le nouveau législatif, le pouvoir judiciaire a une composition distincte qui est également très importante. Nous avons vu quelle était la concentration du pouvoir à ce niveau qui a causé tant de dégâts à notre pays. Et cela au départ de schémas autoritaires militaristes comme lors des régimes dictatoriaux à d’autres époques de l’histoire de l’Amérique latine. Il nous faut des structures qui répondent aux besoins de la majorité de la population.

Les droits des femmes et le reste sont des questions fondamentales. Si ces points ne sont pas mis sur la table des négociations et défendus par des organisations sociales, il n’y aura pas de démocratie.

Oui, je pense que nous sommes soulagés de ne pas avoir à endurer quatre années supplémentaires d’une situation pareille : la logique de bradage du territoire, comme avec les zones franches (ZEDES), qui ont causé beaucoup de misère sociale.

Nous devons mettre sur pied des initiatives sur l’emploi, sur les problèmes des jeunes qui ont participé pleinement à ce processus électoral, mais aussi à la lutte dans les rues et qui ont également été victimes d’abus militaires et policiers, qui ont fait des morts.

C’est une bonne chose de rêver et de croire, car nous avons urgemment besoin d’un Honduras plus proche des droits et des revendications du peuple.

Regardez ici l’interview de Peoples Dispatch en espagnol (sous-titres en anglais)

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