Des milliardaires financent des ONG pour manipuler la politique étrangère étasunienne : étude de l’exemple du Nicaragua

Au Nicaragua, il y aurait beaucoup à redire sur la présidence de Daniel Ortega, autrefois une figure de proue progressiste, acclamé internationalement. Cependant, si les États-Unis soutiennent l’opposition de droite, ce n’est nullement dans le but d’améliorer la démocratie et le respect des droits humains. Bien au contraire, ce soutien a pour seul objectif le retour au pouvoir d’un régime « à la Somoza », du nom du dictateur qui avait été soutenu par les États-Unis jusqu’en 1979. Un tel régime serait en effet très lucratif pour une petite élite. p { margin-bottom: 0.1in; direction: ltr; line-height: 115%; text-align: left; orphans: 2; widows: 2; background: transparent } La politique étrangère étasunienne est de plus en plus contrôlée par des associations fondées par des milliardaires. Sous l’ère néolibérale, une minorité d’individus se sont enrichis de façon inimaginable. Ceux-ci utilisent leurs fortunes sous couvert de « charité » pour exercer leur influence, tout en se donnant bonne conscience.

Si ces philanthropes adoptent des positions progressistes sur certaines questions, en général, ils s’avèrent de fervents partisans de la politique étrangère étasunienne, ainsi que du « libre marché ». Leur fortune étant bâtie sur des investissements et de la spéculation, la plupart d’entre eux ne veulent généralement pas entendre parler ni d’économie planifiée, ni de services sociaux en dehors du secteur privé, ni d’un contrôle accru de l’État.

Mike Pompeo : « Lève-toi d’entre les morts. Nous invoquons ta connaissance approfondie des dictatures brutales d’Amérique latine ! ». La réponse d’Elliott Abrams : « Soutenir, destituer ou installer ? » Cartoon : therealnews.comCes super-riches et les gestionnaires de leurs fondations sont souvent étroitement liés à l’establishment chargé de formuler la politique étrangère. Ils accordent des bourses pour des projets, des campagnes et des organisations qui sont en accord avec leurs propres objectifs à long terme.

Les think-tanks et les ONG soi-disant « indépendants » sont donc directement influencés, voire contrôlés par eux : « Celui qui paie les violons, choisit la musique », dit l’adage, à juste titre. Nicaragua indépendantLe Nicaragua est un bon exemple. L’hostilité de Washington envers le gouvernement du Nicaragua tient à la fois au passé et au présent. En 1979, le Frente Sandinista de Liberación Nacional, un mouvement socialiste (FSLN – Front sandiniste de libération nationale [1]) a renversé le dictateur Anastasio Somoza, qui jouissait du soutien des États-Unis, et était resté au pouvoir jusqu’en 1990.

Après dix ans de guerre des « Contras », parrainée par les États-Unis, et de sanctions économiques, les Sandinistes ont été chassés du pouvoir par les urnes. Seize années de politiques néolibérales ont néanmoins convaincu le peuple nicaraguayen de rendre les rênes aux Sandinistes en 2006. Depuis lors, le Front sandiniste a remporté deux élections consécutives, chaque fois avec plus de voix qu’auparavant : 62 % en 2011 et 73 % en 2016.

Les Sandinistes ont maintenu le système économique capitaliste, mais ils ont mis en place de nombreux services sociaux, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, ainsi qu’une police de proximité. Le pays subvient à 90 % de ses besoins alimentaires, ce qui constitue un résultat impressionnant. Il poursuit une politique étrangère autonome, qui s’aligne parfois sur celle de Cuba, du Venezuela et d’autres mouvements indépendants d’Amérique latine.

Le Nicaragua a ensuite élaboré un plan pour construire un nouveau canal entre l’Atlantique et le Pacifique, qui a été immédiatement rejeté par les États-Unis : un tel canal constituerait en effet un rival au canal de Panama, mais il serait extérieur à la sphère d’influence américaine.

Après qu’un investisseur chinois a fait faillite, le projet a été mis en veilleuse sans pour autant être abandonné. Qu’il soit mené à terme ou non, rien que le fait que le gouvernement nicaraguayen ait seulement osé proposer un tel plan a suffi pour qu’il devienne la cible de l’hostilité de l’establishment américain. Le Nicaragua dans le viseur des États-UnisDepuis lors, l’ingérence américaine se fait derrière un fin rideau, constitué de la « société civile » financée par les États-Unis, d’une « nouvelle génération de dirigeants démocratiques », et d’un « écosystème de médias indépendants ». achter deze dunne sluier speelt de Amerikaanse bemoeienis zich sindsdien af. En septembre 2016, Marcela X. Escobari, haut fonctionnaire de l’USAID [2], a déclaré devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants que 2 200 jeunes ont reçu une « formation au leadership ».

L’hypocrisie du gouvernement étasunien est tout à fait stupéfiante. Pourrait-on s’imaginer que le Nicaragua (ou la Russie ou tout autre pays) forme des milliers de militants américains afin de « promouvoir la démocratie » aux États-Unis ?

En décembre 2018, les États-Unis ont adopté le Nicaragua Human Rights and Anticorruption Act, qui impose des sanctions économiques et empêche le Nicaragua de recevoir des prêts, ou une quelconque assistance financière ou technique de la part d’institutions financières dominées par les États-Unis. p { margin-bottom: 0.1in; direction: ltr; line-height: 115%; text-align: left; orphans: 2; widows: 2; background: transparent } La page 4 de ce rapport de l’USAID évoque à diverses reprises la « transition vers la démocratie », expression consacrée pour désigner un « changement de régime ». Source : thegrayzone.comEn août 2020, Ben Norton, journaliste pour le site d’information indépendant The Grayzone, a publié les détails d’une nouvelle « mission » appelée « Responsive Assistance in Nicaragua » (RAIN). Ce document « expose les plans d’un changement de régime orchestré par les États-Unis, dirigé contre le gouvernement de gauche élu ». En somme, en plus de se montrer hostile à l’égard du régime en place, Washington prend activement part aux efforts visant à saper, déstabiliser et remplacer le gouvernement sandiniste. L’establishment, le Nicaragua et Elliott AbramsL’une des institutions les plus importantes de l’establishment qui façonne la politique étrangère américaine est le think-tank appelé Council on Foreign Relations (CFR – Conseil pour les Affaires étrangères). L’autrice Laurence N. Shoup a analysé le rôle et l’importance de cette institution dans un ouvrage en deux volumes :“Imperial Brain Trust” en “Wall Street’s Think Tank,” Les titres parlent d’eux-mêmes. p { margin-bottom: 0.1in; direction: ltr; line-height: 115%; text-align: left; orphans: 2; widows: 2; background: transparent } Les activités et les publications du CFR, dont le magazine Foreign Affairs, montrent clairement quelles sont ses priorités en termes de politique étrangère et sur quoi portent les débats. Les rapports et les publications du CFR sont très hostiles à l’égard du gouvernement nicaraguayen.

Un article d’Elliott Abrams l’illustre de façon assez frappante. Abrams a travaillé 40 ans au CFR, en tant que haut fonctionnaire de la politique étrangère. Sa condamnation pour parjure devant le Congrès ne l’a pas empêché de recevoir le titre honorifique de senior fellow du CFR. En septembre 2015, il a écrit un article sur une attaque sandiniste contre la minorité indigène des Miskitos. Il termine en lançant un appel aux organisations de défense de l’environnement et des droits humains :« La question reste ouverte : quelqu’un – des groupes défendant l’environnement, les droits des Indiens ou les droits humains en général, ou des organisations luttant contre la répression sandiniste – les défendra-t-il ? »

Plusieurs grandes fondations ont manifestement répondu à son appel et financé des campagnes d’information sur le conflit et les tensions dans le territoire indigène des Miskitos.

En mars 2017, un article est paru dans The Guardian, basé sur des recherches financées par la Fondation Bill et Melinda Gates, intitulé Lush heartlands of Nicaragua’s Miskito people spark deadly land disputes ((au Nicaragua, la région luxuriante des Miskitos donne lieu à des conflits territoriaux mortels).

On ne sait pas précisément si l’appel d’Elliott Abrams y était pour quelque chose, mais le message anti-sandiniste a incontestablement été entendu. Sur le continent américain, les différends territoriaux avec les groupes indigènes sont fréquents, y compris en Amérique du Nord. On peut effectuer des recherches et rédiger un rapport sur quasi n’importe quel pays. Les fondations financées par les milliardaires ne font pourtant pas état de tels conflits en Colombie, au Honduras ou dans la province canadienne de la Colombie-Britannique. Non, elles ne parlent que du Nicaragua.

Ce n’est pas la première fois que les Miskitos du Nicaragua se retrouvent impliqués dans un conflit. Dès les années 1980, ils étaient manipulés par la CIA pour le développement de l’armée des Contras soutenue par les États-Unis, qui a coûté la vie à de nombreux Nicaraguayens. 35 ans plus tard, des individus comme Elliott Abrams tentent à nouveau de manipuler les Miskitos afin qu’ils servent leurs objectifs. Les Miskito ont effectivement des différends légitimes avec le gouvernement nicaraguayen, mais leurs soi-disant défenseurs aux États-Unis cherchent-ils à les résoudre ou cherchent-ils à les instrumentaliser dans leur propre intérêt ? En effet, ce sont là deux choses très différentes. guerre economique et  » Conflict Beef « 

Les États-Unis ont de plus en plus recours aux sanctions et aux guerres économiques pour nuire aux gouvernements qui, soi-disant, « s’opposent aux États-Unis ». Divers conseillers en politique étrangère de droite ne seraient que trop heureux d’infliger des dommages économiques au Nicaragua, en empêchant, par exemple, l’exportation de viande bovine du Nicaragua vers les États-Unis.

L’élevage est un élément important de l’économie nicaraguayenne. Le Nicaragua exportait autrefois de grandes quantités de viande bovine vers le Venezuela, mais les difficultés économiques extrêmes de ce pays ont provoqué la chute de ces exportations. Le Nicaragua tente de combler cet écart en exportant de plus grandes quantités de bœuf de qualité vers les États-Unis.

Le 20 octobre 2020, l’émission PBS Newshour[3] a diffusé une vidéo de neuf minutes sur le « Conflict Beef » (le conflit bovin). Selon ce reportage, « les communautés indigènes paient le prix fort » pour l’augmentation des exportations nicaraguayennes : « Ils sont chassés de leurs terres et doivent faire place à des fermes d’élevage ». Cette accusation, et l’idée qu’il serait peut-être préférable de ne plus importer de bœuf nicaraguayen aux États-Unis, étaient les messages clés de la vidéo, qui combine journalisme et militantisme.

Après la diffusion du reportage, la question a été approfondie par d’autres journalistes et chercheurs, et des leaders indigènes de la région ont été interviewés. Cependant, cette enquête a révélé que le reportage de PBS Newshour était très inexact. Le journaliste John Perry, qui travaille depuis le Nicaragua, développe ce point dans son article intitulé Progressive Media Promoted a False Story of Conflict Beef from Nicaragua,(des médias progressistes ont mis en avant un conflit fictif concernant l’élevage bovin), publié par l’organisme américain de surveillance des médias Fairness and Accuracy in Reporting. Le documentaire de PBS évoquait le recours à la violence contre les indigènes, mais au moins une partie de cette information s’est avérée très exagérée, voire inventée de toutes pièces. Les allusions à un « génocide » ne sont pas non plus crédibles.

Les allégations exagérées et fausses du rapport de PBS proviennent de quatre sources. Lottie Cunningham est une avocate indigène, à la tête du Center for Justice and Human Rights on the Atlantic Coast of Nicaragua (CEJUDHCAN, centre pour la justice et les droits humains de la côte atlantique du Nicaragua). Son organisation est soutenue par l’USAID et elle a elle-même des liens étroits avec l’ambassadeur des États-Unis au Nicaragua. Le Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies a publié des communiqués de presse basés uniquement sur ses allégations. Au vu de ce rapport, il est clair que certaines de ses accusations sont grossièrement exagérées et que d’autres sont tout simplement fausses.

Une deuxième source est Anuradha Mittal, fondatrice et directrice de l’ONG Oakland Institute. Cette institution a reçu près de 250 000 dollars pour mener une enquête sur le « différend territorial » au Nicaragua. Une grande partie de ses informations provient du rapport rédigé par l’Oakland Institute lui-même, et des allégations de Lottie Cunningham, qui, outre le soutien de l’USAID, a également reçu le Lush Spring Prize, un prix parrainé par la société Lush Cosmetics.

Cependant, des entretiens publiés récemment avec de nombreux dirigeants indigènes élus dans les régions indigènes autonomes du Nicaragua indiquent qu’ils sont sceptiques, voire hostiles à Lottie Cunningham. Selon eux, son organisation, le CEJUDHCAN, ne représente pas les intérêts des communautés indigènes, mais promeut la violence et la publicité au service de ses propres intérêts.

Le journaliste principal du reportage de PBS était Nate Halverson du Center for Investigative Reporting (CIR). Le CIR bénéficie d’un soutien financier très important et dispose d’un budget d’environ 10 millions de dollars. Il est également généreusement soutenu par des dizaines de fondations individuelles, dont celles de la famille Hearst (625 000 dollars), de Soros (325 000 dollars), de Bill Gates (247 000 dollars), de Ford (250 000 dollars) et de Pierre Omidyar (900 000 dollars).

Un autre journaliste est apparu dans la vidéo de PBS. Il s’agit de Camilo de Castro Belli, le fils de l’autrice Giacondo Belli, elle-même une féroce adversaire des sandinistes, et membre du Central America Fellow de l’institut néolibéral Aspen. Cet institut est financé par les œuvres de charité des milliardaires Rockefeller, Ford, Gates et autres. Le président de l’Aspen Institute, James S. Crown, est également directeur de la General Dynamics Corporation, l’un des principaux fabricants d’armes au monde, et a été membre de l’Intelligence Advisory Board sous le président Barack Obama[4].

Les principales allégations dans l’histoire du « Conflict Beef » s’avèrent fausses. La viande bovine destinée à l’exportation ne provient pas de bétail élevé dans les régions autochtones. Chaque animal possède un label individuel, qui lui est attribué par l’organisme public Instituto de Protección y Sanidad Agropecuaria (IPSA, institut de protection et de santé de l’agriculture et de la pisciculture). Ce label est à son tour contrôlé par le ministère de l’Agriculture des États-Unis.

Le Nicaragua et les services de l’UE négocient actuellement en vue de préparer les exportations vers ce continent. Cette video, réalisée par l’un des producteurs de viande bovine du Nicaragua, montre clairement que le travail est effectué de manière très professionnelle.

Même l’introduction du reportage de PBS est fausse, et purement sensationnaliste : « Une jeune fille Miskito a reçu un coup d’arme à feu dans le visage. La personne qui lui a tiré dessus “voulait envoyer un avertissement” à la communauté. » En réalité, l’incident concernait une fille accidentellement touchée par balle, alors qu’un garçon jouait avec l’arme de son père. Cette version a été confirmée par le président de la communauté indigène locale, qui connaît la famille de la victime. La jeune fille a survécu à l’incident, mais ses parents ont vraisemblablement été soudoyés pour inventer cette histoire.

L’affirmation selon laquelle des dizaines d’hommes armés ont attaqué un village indigène dans le nord-est du Nicaragua, tuant quatre membres de la communauté Mayangna, s’est également révélée fausse. Une version de cette histoire a été citée à deux reprises dans le rapport de l’Oakland Institute et envoyée par Lottie Cunningham (CEJUDHCAN) au Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies, qui a publié un communiqué de presse à ce sujet, malgré le démenti immédiat de ces allégations par le président de la communauté Mayangna. Immédiatement les médias se sont jetés sur l’histoire, après seulement deux appels téléphoniques, sans la moindre vérification.

Chaque fois que Washington jette son dévolu sur un gouvernement, comme dans le cas du gouvernement sandiniste, les médias le jugent « coupable jusqu’à preuve du contraire ».

L’histoire du Conflict Beef révèle comment de grandes fondations influencent les rapports d’enquête qui servent les objectifs de la politique étrangère des États-Unis au Nicaragua : toute personne qui adopte une position indépendante est discréditée et subit des sanctions économiques.

Rick Sterling. Photo : covertactionmagazine.comHow Bilion-Dollar Foundations Fund NGOs to Manipulate US Foreign Policy: A Case Study from Nicaragua est paru dans le Covert Action Magazine le 8 juin 2021, et a été traduit en néerlandais par Marina Mommerency. Rick Sterling est un journaliste d’investigation de la baie de San Francisco. Il est actif au sein de la Taskforce on the Americas et a effectué des recherches et écrit des articles sur la tendance croissante aux États-Unis à gérer les établissements d’enseignement supérieur comme des entreprises commerciales. On peut le contacter à l’adresse rsterling1@protonmail.com.

De Wereld MorgenNotes:[1] Le terme « sandinisme » fait référence au leader révolutionnaire historique Augusto Sandino (1895-1934).[2] L’USAID est officiellement l’agence de coopération au développement du gouvernement américain ; en réalité, elle est un outil d’ingérence politique directe dans les pays dans lesquels elle opère.[3] PBS NewsHour est un programme d’information américain diffusé sept soirs par semaine sur plus de 350 stations affiliées par le radiodiffuseur public PBS.[4] Crown a été l’un des principaux sponsors de la campagne électorale d’Obama, lorsqu’il était président de la banque JPMorgan Chase. Une enquête criminelle a été ouverte à son encontre après que la banque a perdu 6,2 milliards de dollars en négociant des dérivés de crédit risqués alors que l’autorité de régulation gouvernementale ne savait rien. À cet égard, voir Jeremy Kuzmarov, Obama’s Unending Wars: Fronting the Foreign Policy of the Permanent Warfare State (Atlanta: Clarity Press, 2019).À cet égard, voir Jeremy Kuzmarov, Obama’s Unending Wars: Fronting the Foreign Policy of the Permanent Warfare State (Atlanta: Clarity Press, 2019).

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