Le 24 mai 2021, le libéral Guillermo Lasso prêtait serment en tant que président de l’Équateur. Selon un diplomate latino-américain de haut rang, si les États-Unis n’ont pas ouvertement œuvré à la défaite du candidat de gauche Andrés Arauz lors de l’élection présidentielle équatorienne du 11 avril, c’est parce que cela n’était pas nécessaire. Roger Harris s’est entretenu avec ce diplomate lors d’une réunion de la délégation étasunienne d’observation du processus électoral.
Les noms de certaines sources restent anonymes compte tenu de l’hostilité politique à laquelle sont exposés les progressistes en Équateur.« Ce revers pour le mouvement Revolución Ciudadana (Révolution citoyenne), fondé par Rafael Correa, aura de profondes conséquences pour l’Équateur et d’autres pays, alors que le bloc réactionnaire allié des États-Unis se renforce en Amérique latine ».« L’ex-président Correa a quitté le pouvoir avec un taux d’approbation de 60 %. Il avait été élu président au premier tour à deux reprises. Du jamais vu en Équateur, où sept présidents se sont succédés au cours de la décennie précédant Correa. Son parti Alianza País avait remporté quatorze élections. C’est dire la popularité de ses programmes de redistribution des richesses,qui ont notamment permis de réduire de moitié l’extrême pauvreté.« Son successeur, le président Lenín Moreno, quittera ses fonctions le 24 mai 2021 avec moins de 10 % de taux d’approbation. Beaucoup de choses se sont passées au cours des quatre dernières années. Correa est passé du statut de président démocratiquement élu le plus populaire de l’histoire du pays à celui de président d’un parti dont une majorité d’électeurs se sont détournés.¿QUÉ PASÓ? QUE S’EST-IL PASSÉ ?« En 2017, Rafael Correa a fait campagne pour son ancien vice-président, Lenin Moreno, dans le but de poursuivre la Révolution citoyenne qu’il avait initiée. Cependant, le nouveau président élu le 24 mai 2017 a brutalement viré à droite, menant une véritable guerre juridique contre ses anciens collègues en instrumentalisant un système judiciaire politisé pour les poursuivre en justice et décapiter ainsi la direction de la Révolution civile. »« Le propre vice-président de Moreno, Jorge Glas (qui s’est opposé à ce revirement politique, n.d.), est désormais derrière les barreaux et d’autres hauts fonctionnaires ont été contraints de fuir le pays. Correa a été accusé d’avoir eu recours à une ‘influence psychique’ et été condamné par contumace lors d’un procès pour corruption fondé sur des preuves très maigres, ce qui l’empêche désormais de revenir en Équateur ».
Andrés Arauz a été ministre dans le gouvernement du président Rafael Correa.« Selon l’avocat de Correa, Fausto Jarrín, les États-Unis ont aidé Moreno à disloquer son propre parti par des stratagèmes juridiques. Si l’on veut ne pas se voiler la face, on ne peut que noter que Moreno était à Washington le jour du premier tour des présidentielles équatoriennes. Et, juste avant le second tour, le 11 avril 2021, Moreno et ses hauts fonctionnaires se sont envolés pour les îles Galapagos (territoire équatorien) afin d’y rencontrer l’ambassadeur américain en Équateur ».« Dans les faits, Moreno a laissé les rênes aux États-Unis. Il a révoqué la citoyenneté équatorienne de Julian Assange, de sorte que celui-ci a pu être incarcéré en Grande-Bretagne. Il a reconnu la prétention infondée de Juan Guaidó à la présidence du Venezuela. Après la visite du vice-président Mike Pence en Équateur, le FBI a de nouveau été accueilli à bras ouverts dans le pays. Une base militaire américaine dans les îles Galapagos a même été cédée à Washington ».« Moreno a également expulsé les médecins cubains et s’est retiré des alliances régionales UNASUR, CELAC et ALBA. En période de COVID, ces décisions ont eu des conséquences mortelles pour la population. Si l’Équateur avait conservé son statut de membre de ces organisations régionales, il aurait pu utiliser son pouvoir collectif pour obtenir des vaccins et d’autres ressources pour lutter contre la pandémie. »« Moreno a imposé à l’Équateur un programme d’austérité du FMI, qu’il n’a que partiellement suspendu après d’énormes manifestations des populations autochtones en octobre 2019. Plus tard, Moreno s’est empressé de réintroduire ces mesures impopulaires sous le prétexte de la campagne électorale présidentielle et de la pandémie. »« Le transfuge Moreno a rédigé un programme néolibéral complet et bricole encore pour mettre en œuvre des ‘réformes économiques’ supplémentaires avant la fin de son mandat, le 24 mai 2021, afin d’empêcher le prochain gouvernement de tenter de rétropédaler. Il n’a toutefois pas à s’en faire. Non seulement le nouveau président Guillermo Lasso partage le même programme néolibéral, mais les membres du parti politique de droite de Lasso ont travaillé avec le président Moreno au Parlement. »« La droite a adopté une stratégie brillante. L’Équateur fait face à une crise économique profonde et la pandémie exacerbe l’impact des mesures d’austérité. En mettant en place un programme néolibéral pur jus avant de quitter le pouvoir, Moreno a pris la responsabilité de mesures impopulaires à la place de Lasso, tout en servant les intérêts de la finance internationale, représentée par Lasso et les Etats-Unis.
LA GUERRE JURIDIQUE POUR MANIPULER LE CONTEXTE ÉLECTORAL« L’autorité électorale équatorienne, le CNE, n’a reconnu la candidature d’Arauz qu’en décembre 2020, alors que le premier tour se tenait le 7 février 2021. Arauz, malade du COVID en décembre, avait passé les quatre derniers mois à se battre pour obtenir que sa candidature soit reconnue, tandis que les autres campagnes battaient leur plein.
Le 3 avril 2017, le président nouvellement élu Lenín Moreno était encore assis (il est paralysé des deux jambes) aux côtés de son prédécesseur Rafael Correa sur le balcon du palais présidentiel.« Contrairement à son adversaire, le riche banquier Lasso, Arauz a dû se contenter de fonds destinés à des campagnes locales pour mener la sienne. Pire, il a fait l’objet d’attaques politiques judiciaires qui lui ont interdit de participer au nom de son propre parti et l’ont obligé à faire campagne en tant que candidat d’un autre petit parti de gauche, l’UNES. »« En outre, Rafael Correa, qui jouit d’une notoriété et d’une popularité énormes, n’a pas eu le droit de se présenter comme candidat à la vice-présidence d’Arauz. Pire encore, le tribunal a interdit à Arauz d’utiliser l’image, le nom ou la voix de Correa dans son matériel de campagne. D’autres partis ont réussi à utiliser le nom de Correa pour salir la campagne d’Arauz en accusant faussement Correa de corruption et en associant Arauz à Correa en le dépeignant comme également corrompu. »« Malgré tous ces obstacles, Arauz a tout de même remporté le premier tour le 7 février 2021 avec 32 % des voix, soit 13 % de plus que Lasso qui était en deuxième position. Arauz n’a toutefois pas obtenu les 40 % nécessaires pour être élu sans second tour (avec plus de 10 % de différence avec le candidat arrivé en seconde position). Arauz était également en tête des sondages pour le second tour, mais une campagne de désinformation massive a fait tourner le vent ».
UNE CAMPAGNE DE PROPAGANDE DE DROITE« La droite a mobilisé ses ressources et son quasi-monopole des médias commerciaux pour faire passer Moreno et la Révolution citoyenne, pourtant ennemis jurés, pour des alliés, dans ce qu’un responsable de la campagne d’Arauz a qualifié de ‘TikTokisation et de mèmification’ du discours politique. »« Arauz, un spécialiste de l’économie énergique de 36 ans, a été dépeint comme idiot et léthargique, tandis qu’il a suffi à Guillermo Lasso, 65 ans, archi-conservateur, d’enfiler une paire de chaussures rouges pour être présenté comme ‘branché’ ».« Une campagne médiatique menée en continu pendant quatre ans par la droite a donné une image de corrompus de Rafael Correa et de ses collègues. Or, comme l’expliquait un militant de la révolution citoyenne, « un mensonge répété dix fois devient vrai ». Des soi-disant ‘ONG de gauche’, financées par les États-Unis et leurs alliés européens, ont collaboré à cette inversion de la réalité. »
BATAILLE EN VUE EN ÉQUATEUR« Guillermo Lasso, propriétaire de la deuxième plus grande banque d’Équateur, a finalement remporté les élections avec une avance de 5 %. Reconnaissant la victoire de son adversaire, M. Arauz a déclaré : « C’est un revers électoral mais en aucun cas une défaite politique ou morale ».« Avec 49 sièges sur 137, son parti reste le plus grand groupe parlementaire à la Chambre. Les hommes et femmes politiques de la Révolution citoyenne devront désormais, selon les dirigeants du parti, maintenir l’unité dans leurs propres rangs et former des coalitions avec des alliés potentiels. »
Guillermo Lasso.« En attendant, ils devront continuer à repousser les attaques juridiques et la répression orchestrée par la droite, qui ne sont pas près de cesser. Certains militants ont déjà quitté le pays. »« Le deuxième bloc le plus important au Parlement, qui compte 27 sièges, est le parti indigène et idéologiquement diversifié Pachakutik. Les relations entre la Révolution citoyenne et les dirigeants d’un certain nombre d’organisations indigènes et de certains syndicats ont parfois été conflictuelles par le passé. »« Correa a résisté au clientélisme du passé et refusé de ‘vendre’ des ministères et d’autres postes à des dirigeants politiquement influents en échange de leur soutien. Correa s’est plutôt attaché à servir les intérêts de ses électeurs avec des projets d’infrastructure pour les régions indigènes mal desservies, l’octroi de droits sur l’eau et la promotion de politiques multiculturelles en matière d’éducation et de santé. De même, les travailleurs équatoriens ont obtenu des augmentations de salaire. »« Rétrospectivement, la Révolution citoyenne fait aujourd’hui ouvertement son autocritique pour avoir malmené certains leaders indigènes et ouvriers. Il faudra s’amender, selon un ancien ministre de Correa ».« PROMOUVOIR LA DÉMOCRATIE » AU SERVICE DE L’EMPIRE ETATSUNIENLes élites dominantes organisent des élections pour légitimer leur pouvoir, et non parce qu’elles croient en la démocratie. Par conséquent, lors des présidentielles de 2021 en Équateur, le contexte électoral a été si vite miné que les États-Unis n’ont même pas jugé nécessaire d’intervenir ouvertement, comme ils l’avaient fait en Bolivie en 2019. »« Cela ne signifie toutefois pas que les États-Unis ne sont pas intervenus activement. Les sites web de l’USAID, du NED, du NDI et de l’IRI ne cachent pas leur ambition impérialiste de promouvoir la ‘démocratie’ en Équateur. Selon un diplomate de haut rang, les États-Unis ont préparé le terrain pour unifier les forces de droite et truquer la bataille électorale au détriment de la gauche. »« Comme l’a révélé l’auteur William Blum, les services de renseignement américains avaient, avant Correa, et probablement depuis, ‘infiltré, souvent aux plus hauts niveaux, presque toutes les organisations politiques d’importance, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Dans pratiquement tous les départements du gouvernement équatorien, on pouvait trouver des hommes occupant des postes de haut et de bas niveau qui étaient payés pour collaborer avec la CIA. »« Au sujet du nouveau gouvernement Biden, l’ancien ambassadeur de Correa, Ricardo Ulcuango, a fait remarquer que la politique étrangère américaine était identique avec les démocrates ou les républicains, ajoutant même que les démocrates sont plus dangereux car ils savent mieuxparler de coopération alors qu’ils interviennent tout autant dans les affaires internes de l’Équateur.
US Role Behind the Defeat of Ecuador’s Leftist Presidential Candidate (Le rôle des États-Unis dans la défaite du candidat de gauche à la présidentielle en Équateur) a été traduit par Roos De Witte. Roger Harris est membre de la Task Force on the Americas, une organisation étasunienne de défense des droits humains fondée en 1989.
DWM