Rapport d’Oxfam relatif au blocus contre Cuba

“Le droit de vivre sans blocus : impacts des sanctions étasuniennes sur la population cubaine et la vie des femmes” (en anglais)Eléments et témoignagesIntroductionDepuis 1962, les relations entre Cuba et les États-Unis sont régies par une série de restrictions imposées unilatéralement par chacun des gouvernements étasuniens qui se sont succédé. Initialement de nature économico-commerciales, ces mesures se sont diversifiées au fil du temps. Aujourd’hui, elles relèvent davantage de diverses réglementations fondées sur des lois, des décrets et des règlements administratifs qui touchent la plupart des secteurs de la société cubaine.

Ces mesures, que les États-Unis appellent « embargo », mais que Cuba nomme « blocus », imposent des restrictions très strictes à la nation caribéenne. Elles ont aussi des conséquences au-delà de ses frontières, ce qui entrave les relations de Cuba avec les pays tiers et affecte le bien-être de la population cubaine. Fondamentalement, la demande de levée du blocus est liée au droit des êtres humains à vivre de manière digne et épanouissante.

Cependant, les débats sur le blocus infligé à Cuba par les États-Unis ont tendance à se limiter à des considérations de politique internationale, de stratégie géopolitique et de priorités définies il y a plus de six décennies. Dans les cercles de pouvoir étasuniens, la controverse sur Cuba et son avenir se réduit souvent à savoir quels avantages politiques certains groupes pourraient tirer d’un changement de régime sur l’île. Par contre, on parle nettement moins de l’incidence et du poids du blocus sur la vie de la population, ses conséquences sur la vie quotidienne des femmes et des hommes, de leurs familles, des communautés et, en général, de la société cubaine.

Ce sont les droits des personnes les plus vulnérables, ceux des femmes, des enfants, des personnes âgées, des personnes issues de la diversité et des personnes handicapées, qui ont été les plus lésés au cours des 60 dernières années. Ce rapport présente les preuves du préjudice que subit la société cubaine du fait de cette politique soutenue par les divers gouvernements américains qui se sont succédé. Les mesures mises en œuvre par le gouvernement Trump ont exacerbé ce préjudice et son impact sur la population de l’île au cours des dernières années. Leurs conséquences ont été aggravées par la pandémie de COVID-19 dans la mesure où elles ont eu pour effet d’entraver l’accès au matériel médical et à la production de vaccins à grande échelle.1La présente étude porte cependant avant tout sur la dimension humaine du conflit. Elle présente dès lors des données historiques, des références aux politiques actuelles et des témoignages, principalement de femmes, qui montrent ce que le blocus implique au quotidien pour celles et ceux qui vivent à Cuba. Oxfam entend ainsi aider à mieux faire comprendre le préjudice réel que ces sanctions infligent aux personnes, notamment les plus vulnérables…..

Il est temps que la politique internationale des États-Unis cesse de nuire aux droits des individus. Le gouvernement Biden a l’occasion de rétablir des relations bilatérales avec Cuba et de revenir sur les mesures adoptées par ses prédécesseurs. Il peut amplifier et diversifier un rapprochement entre les deux pays et travailler avec le Congrès dans le but d’aboutir, enfin, à la levée définitive du blocus.

BREF HISTORIQUE DU BLOCUSRELATIONS ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET CUBA (2009-2020)PRINCIPALES MESURES PRISES PAR LES GOUVERNEMENTS OBAMA ET TRUMPCHANGEMENTS INTERNES À CUBA (2008-2021)QUELQUES MESURES PRISES PAR LE GOUVERNEMENT TRUMPCONSÉQUENCES DES MESURES PRISES PAR LE GOUVERNEMENT TRUMP Exportations de services médicauxSelon des sources officielles cubaines, 7 % de la population active cubaine travaille dans le système national de santé, ce qui en fait l’un des principaux employeurs de l’île. En 2019, le pays comptait au total 479 623 professionnels de la santé, à plus de 71 % de sexe féminin.40 Il en va de même pour les plus de 2 000 professionnels des 55 brigades du Contingent Henry Reeve envoyées en 2020 dans 26 pays en réponse à la pandémie, qui sont à plus de 60 % des femmes.41 Les femmes sont également majoritaires dans les missions médicales que Cuba assure dans plus de 60 pays,42 et sont aussi majoritaires parmi les spécialistes qui assistent les patients les plus gravements atteints du Covid-19 dans la zone rouge des hôpitaux cubains.

Ce sont ces mêmes femmes qui ont perdu une partie de leurs revenus lorsque leurs brigades médicales ont dû quitter certains pays de la région, après une campagne de dénigrement intense menée par le gouvernement de Donald Trump contre la coopération médicale cubaine.

TÉMOIGNAGE :« J’ai beaucoup souffert du durcissement du blocus, de l’adoption de la loi Helms-Burton et de la difficulté croissante à se procurer du matériel sanitaire. En tant que professionnels au service des enfants atteints de maladies graves, et en particulier les plus jeunes d’entre aux, nous avons vécu des situations terribles : nous n’avions pas toujours le remède approprié pour les soigner de la manière la plus efficace, la moins douloureuse ou la plus rapide possible. »« Nous avons mobilisé toute notre intelligence, nos efforts et notre cœur pour trouver des solutions pour atténuer la douleur, réduire les risques de complications ou de séquelles et favoriser la réponse des nourrissons aux traitements. Toutefois, travailler dans un tel contexte a été un facteur de stress et une cause possible de troubles physiques et psychologiques pour le personnel médical pédiatrique. Les contraintes imposées par le blocus sont contraires à l’application des principes de la Convention relative aux droits de l’enfant, et rendent difficile pour Cuba de respecter les engagements du Sommet du Millénaire et d’avancer actuellement vers les Objectifs de développement durable de l’Agenda 2030, en particulier ceux liés à la santé maternelle et infantile. »

Dr Berta Lidia Castro, docteure en soins complets de l’enfant, assistante de recherche et professeure consultante, présidente de la Société cubaine de pédiatrie depuis 2017. Elle travaille dans le service de soins intensifs pédiatriques de l’hôpital pédiatrique « Juan Manuel Márquez » à La Havane. Tourisme et transferts de fondsTourisme, secteur privé : Dans la mesure où le personnel de service dans les hébergements privés est majoritairement composé de femmes, on comprend aisément qu’elles ont été les premières à pâtir de la diminution de l’affluence touristique.« Ces mesures détruisent le secteur privé », affirme Mme Higueras, 44 ans, qui explique que son restaurant « vit grâce au tourisme et aux étrangers venus vivre et travailler à Cuba. Aux États-Unis, il y a aussi des gens merveilleux, des gens adorables pour qui j’ai de l’affection… Beaucoup voudraient que les relations entre leur pays et Cuba s’améliorent et ne soutiennent pas les décisions de leur gouvernement ». D’autre part, la restriction des vols vers Cuba a entraîné une diminution considérable des visites de membres de la communauté cubano-nord-américaine, bafouant le droit des familles à se réunir.« …

Le fait que le blocus empêche ou entrave les liens familiaux entraîne des pertes énormes. De nombreuses familles ne peuvent pas être aussi proches qu’elles le voudraient ou en auraient besoin. Pourtant la santé et le bien-être des individus et des familles en dépendent, tout comme leur santé émotionnelle et leur équilibre psychologique. La douleur et les frustrations affectives s’accumulent, on le voit, et cela fragilise les liens essentiels à l’être humain ».

Mareelén Díaz Tenorio, psychologue.

Envois de fonds :En ce qui concerne les envois de fonds, la fermeture des bureaux de Western Union à Cuba le 27 novembre 2020 a entraîné une perte de revenus importante pour les familles cubaines. Des groupes de recherche de l’université de Columbia ont estimé à l’époque que, sur les plus de 2,3 millions de Cubains émigrés aux États-Unis ou leurs descendants, quelque 700 000 envoyaient chaque année de l’argent vers Cuba et que les transferts réalisés via Western Union représentaient entre 900 millions et 1,5 milliard de dollars49 par an. Même si les experts nationaux et étrangers ne s’accordent pas sur le montant, les formes et la manière dont ces fonds arrivent à Cuba50, ce qui est certain, c’est que la mesure adoptée en 2020 a eu pour effet de réduire « de 30 à 40 % en 2020 » les envois de fonds vers Cuba, au-delà de la seule Western Union51. « Au cours des cinq premiers mois de l’année, Cuba a reçu environ 470 millions de moins en envois de fonds en espèces qu’au cours de la même période l’année précédente, soit une baisse de 30,4 % ».

TÉMOIGNAGE :Daisy Rojas, une Cubaine de 66 ans habitant la banlieue de La Havane, fait état d’« un immense chaos ». Daisy a perdu son emploi suite au confinement imposé par la pandémie. Son seul moyen de subsistance est l’argent que son fils aîné lui envoie de Miami.« …

Je me rendais chaque mois au bureau de Western Union. Après avoir longuement fait la file, je touchais l’argent. Désormais, c’est mon autre fils, qui vit à Cuba, qui doit m’aider, mais je ne veux pas être un fardeau supplémentaire pour lui, car il a une grande famille. Devoir se rendre au Mexique ou en Colombie et y rester plusieurs jours sans être certain d’obtenir un visa, c’est terrible. C’est une dépense que mon fils ne peut plus se permettre. »

Daisy Rojas. Retraitée (La Havane)…mais aussi l’impossibilité d’aller voir ses proches vivant au-delà du détroit de Floride. Daisy déplore ainsi la fermeture du consulat étasunien à La Havane. Avant 2017, elle s’était rendue plusieurs fois à Miami pour voir son fils et ses petits-enfants. « Mon fils a également beaucoup souffert de cette situation. Mes petits-enfants ne m’ont pas vue depuis longtemps. La communauté cubaine de Miami souffre également de ces mesures. Une famille séparée, c’est terrible. » BIOTECHNOLOGIESLa Dr Dagmar García Rivera est directrice de recherche à l’Institut de vaccination Finlay, dont les études sont à l’avant-garde, à Cuba et dans la région. Elle est une figure importante de ce secteur scientifique.54 Selon la Dr García, le blocus a un effet conséquent sur l’industrie des vaccins du pays. La scientifique explique à quel point il est difficile d’obtenir les réactifs et les matières premières nécessaires à la production des vaccins contre le Covid-19. « Pour acheter les matières premières, nous avons besoin de fonds. Et c’est la raison pour laquelle nous qualifions de blocus les mesures de restrictions économiques et financières imposées à Cuba par les Etats-Unis. » À la tête du département de recherche, la Dr Garcia dirige plus de 70 spécialistes et plusieurs projets de recherche dans le domaine des vaccins. « C’est une grande responsabilité dans un environnement complexe. Nous faisons face à des obstacles techniques conséquents. Nous devons mener à bien nos activités scientifiques avec des quantités restreintes de réactifs et de fournitures. Nous devons donc avoir des objectifs clairs. Notre équipe se compose principalement de jeunes et de femmes, qui s’engagent pour la science dans leur pays et sont motivés par ce que nous faisons. »

TÉMOIGNAGE :Entre avril 2019 et mars 2020, l’Institut de vaccination Finlay a effectué 15 transactions visant à importer des marchandises d’origine étasunienne par l’intermédiaire de fournisseurs de pays tiers. Cela lui a coûté 894 693 dollars. L’institution cubaine aurait économisé environ 178 938 dollars si elle avait pu réaliser ces transactions directement avec une entreprise étasunienne.

Source : Cuba en chiffres. Cubadebate, octobre 2020ÉDUCATIONC’est l’un des secteurs du pays où la proportion de femmes dans la population active est très élevée. On estime qu’en 2019, 60 % du demi-million environ de travailleurs de ce secteur étaient des femmes. On notera que l’île compte 10 626 écoles en activité pour un peu plus de 11 millions d’habitants.

CAS CONCRET :Sur le marché américain, une machine destinée à l’enseignement du système Braille vaut 300 dollars. Or, compte tenu des restrictions du blocus, le gouvernement cubain doit acheter cet équipement dans des pays tiers à un prix qui varie entre 800 et 1 000 dollars.

De même, l’acquisition de papier pour l’écriture Braille, de règles, de cannes de différentes tailles, de lunettes, de lentilles de contact, de loupes, de télescopes et de jouets sonores pour les personnes malentendantes se heurte aux mêmes entraves.

Cuba compte plus de 900 ateliers consacrés à l’enseignement spécialisé, mais les restrictions imposées par le blocus étasunien compliquent l’importation de matières premières, de fournitures et de nouvelles technologies, une situation qui a une incidence sur l’éducation de près de 23 000 élèves.

Source : www.cubadebate.cu/noticias/2014/10/10/ninos-cubanos-debiles-visuales-tienen-que-pagar-el-triple-a-causa-del-bloqueo/L’une des conséquences de la pandémie dans le domaine de l’éducation a été le recours à des plateformes numériques presque partout dans le monde. Cependant, à Cuba, bien que des mesures aient été prises pour accroître l’accès à l’informatique, le blocus a ralenti l’utilisation des nouvelles technologies dans ce domaine, obligeant les autorités cubaines de l’enseignement à recourir à des méthodes plus anciennes, telles que la télévision, pour permettre à plus de 1,7 million d’élèves de suivre les cours quotidiennement.60 Ceci dans un pays ayant l’un des taux de scolarisation les plus élevés de la région et le seul en Amérique latine à avoir atteint tous les objectifs mesurables de l’Éducation pour tous (EPT) fixés en 2000 par l’Unesco. TECHNOLOGIE :Les restrictions d’accès aux technologies numériques touchent également des secteurs qui, comme l’entrepreneuriat, ont vu leur potentiel fortement limité. TÉMOIGNAGE :C’est ce que dit Claudia Cuevas, 28 ans, cofondatrice d’une entreprise qui fournit des services de transport au moyen d’une application (apk).« Au début, nous étions un groupe d’amis. Nous n’avions pas d’accès permanent à Internet et devions aller dans les parcs pour y utiliser le wifi ; tout ce que nous avions, c’était une carte de La Havane hors ligne. C’est comme cela que nous avons eu l’idée de créer une application de déplacement dans la ville, proposant aux clients les prix de divers chauffeurs de taxi. Les usagers pourraient alors faire leur choix en fonction de la voiture, du prix et de la notation des chauffeurs. » Au début, Claudia ne connaissait aucune entreprise de ce type. Lors d’un voyage en Europe dans le cadre d’un échange universitaire, elle a eu l’occasion de se renseigner sur d’autres options. « Après 2018, j’ai appris l’existence d’Uber et de Lyft, et plus tard, nous avons commencé à recevoir des propositions d’entreprises de ce type qui voulaient nous vendre leurs logiciels… » Claudia souligne toutefois que, depuis l’île, il est impossible d’accéder à presque tous les logiciels ou outils de gestion des tâches et des réseaux sociaux, leur utilisation étant bloquée. AGRICULTURE :Les politiques de restriction des États-Unis ont entraîné une production alimentaire nationale insuffisante (en quantité et en variété, qualitative et bonne pour la santé), une augmentation des importations pour couvrir les besoins alimentaires et un manque de technologies liées à la production agricole qui permettraient d’augmenter la productivité.

Selon les chiffres relatifs aux problèmes rencontrés par l’agriculture cubaine, en 2019, ce secteur ne disposait que de 71 % du carburant diesel approuvé pour cette année-là. L’irrigation, quant à elle, n’a réussi à couvrir que 7,4 % de la surface à irriguer, tandis que 15 à 45 % des surfaces ensemencées pâtissaient d’un manque d’engrais. En 2020, seulement 28 % de l’ensemble des plantations ont été fertilisées. Des investissements et des technologies suffisants permettraient d’améliorer considérablement la situation.

TÉMOIGNAGE :- Nombre total de travailleurs employés dans l’agriculture : 792 400 (2019) (15,8 % des 5 millions de travailleurs et travailleuses cubains).- Nombre de femmes employées dans l’agriculture : 135 900 (2019) (27,18 %).

Elles représentent 13 % des 532 735 personnes employées dans les coopératives et 33 % des 307 504 membres des entreprises agricoles.- Nombre de femmes propriétaires terriennes : 12 102 (2012). Alina Beltrán, présidente de l’Association cubaine des techniciens de l’agriculture et de la sylviculture (ACTAF), explique que son organisation « a reçu, sous la présidence d’Obama, plusieurs propositions d’organisations et de scientifiques étasuniens qui étaient intéressés par des projets de coopération, de conseil technique, de formation et d’échanges. Tous ces projets se sont vus suspendus avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump ». L’ingénieure agronome de 49 ans affirme que « le blocus a des répercussions sur nos projets de collaboration et sur les dons des ONG destinés à financer le développement de l’agriculture cubaine, en ce compris l’amélioration de l’équité et de l’égalité entre hommes et femmes, ainsi que le renforcement des capacités, mais aussi des coopératives agricoles ».« Ce projet était très important pour la communauté ».

Martha Orsell (56 ans), agricultrice (Las Tunas).

Martha, ingénieure agronome, vit dans le village de Dumañuecos. Elle entretient un rapport particulier avec le soleil. Chaque matin, elle se réveille avant la levée du jour et se précipite au champ pour mettre à l’abri l’un de ses trésors les plus précieux : une petite serre magique qui produit de la nourriture pour tout le monde. « Cette serre de microreproduction est conçue pour fournir des légumes à toute la commune », explique-t-elle fièrement.« Avant d’avoir cette serre, nous devions semer en plein sol et beaucoup de semis s’abîmaient ou étaient attaqués par des parasites à cause du mauvais temps. Trop de pluie leur nuit, mais trop peu, ça ne va pas non plus. La province de Las Tunas a beaucoup souffert de la sécheresse. »

L’ingénieure raconte que la coopérative a changé du tout au tout avec le projet APOCOOP. « Le projet était très important, surtout pour la communauté. Il nous a permis d’employer plusieurs femmes du village qui étaient auparavant des femmes au foyer. » L’une d’entre elles est une jeune mère célibataire qui, avant de commencer à travailler, n’avait pour vivre que la pension alimentaire que son fils de deux ans recevait de son père. Elle est désormais en mesure de vivre en toute indépendance. « Une autre femme qui a trouvé du travail chez nous a 50 ans et dépendait aussi financièrement de son mari. Elle peut aujourd’hui acheter ses propres affaires, mais aussi aider sa famille. »

L’agronome souligne que rien de tout cela n’aurait été possible sans la coopération internationale qui aurait toutefois été bien plus intense sans le blocus. Elle regrette que les réglementations du gouvernement étasunien perturbent l’approvisionnement en engrais nécessaires à des cultures vulnérables comme les haricots, les tomates et les poivrons, les exposant à de graves ravages. « Nous n’avons pas non plus accès à l’alimentation pour les bêtes, ni au Norgold, qui sert à nourrir les vaches laitières. Or, sans ces produits, elles produisent moins de lait. » Martha soupire, mais, sans se départir de son optimisme, indique : « Sans le blocus, nous aurions un meilleur rendement, une plus grande variété de cultures, une production de lait plus importante pour les enfants et les personnes âgées de la communauté et les fermes auraient besoin de plus de main-d’oeuvre, ce qui bénéficierait à davantage de femmes ». SECTEUR NON ÉTATIQUECe secteur employait quelque 632 950 personnes l’année dernière, ce qui représente 32 % de la population active cubaine. En 2013, les femmes représentaient un peu plus de 30 % de l’ensemble des entrepreneurs, un chiffre qui a très peu évolué depuis. Outre leurs difficultés à entrer dans ce secteur par manque d’accès aux moyens et aux ressources pour se lancer, il s’agit d’un secteur toujours très instable, surtout pour les entreprises fortement dépendantes du tourisme international.

Dans le secteur non étatique : les femmes représentent 18 % du personnel.

Dans le secteur public : les femmes représentent 45,77 % du personnel.

Les hommes : 54,23 %.

Dans les coopératives non agricoles, les femmes représentent 16,57 % et dans le secteur privé (entrepreneurs) 33,95 %.

Source : Annuaire statistique de Cuba, 2019.

L’expansion du secteur des petites entreprises privées et des coopératives a sans aucun doute contribué majoritairement à l’envoi de fonds vers le pays. L’ouverture d’un marché en dollars pour l’achat de biens de consommation était un autre incitant.

Selon les spécialistes, partant du principe qu’entre 25 et 30 % de ces flux ont été consacrés à des investissements dans des entreprises privées, on estime que quelque 625 millions de dollars provenant des transferts de fonds ont été investis chaque année. Ce chiffre représente 40 % des 1,6 milliard de dollars d’investissements étrangers engagés chaque année78 .

TÉMOIGNAGE :Selon l’entrepreneuse Hilda Zulueta, les mesures imposées par le gouvernement Trump ont eu un impact considérable. « Avant même que les transferts d’argent via Western Union ne soient suspendus, les effets du blocus sur le secteur privé étaient déjà évidents », déplore-t-elle. Elle et ses deux filles, Odaimis et Mady, diplômées de l’université, ont relevé le défi d’exercer un métier traditionnellement masculin : la sellerie. Elles vendent la production de leur marque Zulu (sacs, portefeuilles, étuis pour téléphones portables, ceintures et chaussures en cuir) dans leur propre boutique. Mady explique que, dès qu’elles se sont lancées en tant qu’entreprise familiale, le tourisme nord-américain a été une source de revenus centrale pour elles, en particulier de la part des touristes visitant le centre historique et des voyageurs en croisière. Hilda, pour sa part, raconte que son autre fille, Odaimis, qui vit actuellement en Espagne, s’efforce de leur envoyer des matières premières difficiles à obtenir, voire introuvables sur le marché national. L’histoire de Hilda illustre combien le blocus affecte toutes les générations, ainsi que ses effets pluriels sur la dynamique familiale. Cette réalité, bien trop récurrente dans le secteur privé cubain, montre à quel point les politiques restrictives du gouvernement Trump ont fini par mettre en péril l’économie privée naissante de l’île.

GENRE :En ce qui concerne les femmes, la journaliste Lirians Gordillo, spécialiste à l’Editorial de la Mujer, pose l’analyse suivante : « si le blocus ne génère pas les inégalités de genre qui restent bien présentes dans une société patriarcale aux structures, pratiques, relations et imaginaires machistes, il les accentue. Cela complique notamment l’accomplissement de tâches reproductives, généralement prises en charge par les femmes, comme les travaux domestiques et de soins, principalement ».

Selon les chiffres officiels, les femmes cubaines consacrent environ 35,20 heures par semaine au travail domestique et aux soins de leur famille. Elles sont cheffes de près de la moitié (46 %) des ménages de l’île.81 Dans une population où le processus de vieillissement s’accélère et où le nombre de membres par noyau familial a tendance à diminuer au fil du temps, la probabilité qu’un ménage comporte des personnes à charge (en particulier des femmes âgées) augmente, tandis que les réseaux de soutien familial susceptibles de contribuer à leur prise en charge s’amenuisent.

De nombreuses femmes travaillant dans le secteur privé ont perdu leur emploi ou ont été licenciées en attendant que les affaires reprennent. Elles ont été ainsi contraintes de rester chez elles, sans revenus, et de s’occuper des soins et du travail scolaire de leurs enfants, avec les charges supplémentaires et la perte d’autonomie économique qui en découlent. Il s’agit d’une situation systémique qui reproduit les inégalités entre les sexes, compromet l’indépendance des femmes et limite leur participation à la vie économique du pays.

Comme dans de nombreux pays de la région, la pandémie de Covid-19 a ramené les femmes dix ans en arrière, dans la mesure où elles sont majoritaires dans les métiers les plus précaires et les plus propices à des suppressions d’emplois, comme le commerce, l’horeca, l’industrie manufacturière et le service domestique83.

TÉMOIGNAGE :« J’ai pris l’habitude de tout garder… »

Lídice López (50 ans), artiste indépendante et fondatrice de Lila Tiendas (La Havane).

Je suis membre de l’association cubaine des artistes artisans depuis 1998. À l’époque, j’ai dû abandonner mes études universitaires pour subvenir aux besoins de ma famille. Je n’avais pas vraiment le choix. J’ai commencé à travailler ; je me suis assise à la machine et je me suis mise à la couture. Si j’en suis venue à tant m’intéresser au recyclage, c’est par manque de matériaux. Lorsque j’avais mon atelier et que je vendais mes créations dans les foires, je pouvais parfois acheter un peu de tissu dans les magasins. À d’autres moments, certains artisans voyageaient, se procuraient des matériaux à l’étranger pour les vendre, mais la pénurie restait toujours un problème. J’ai donc pris l’habitude de tout garder, absolument tout ce qui me restait du travail. Ce genre de commerce demande beaucoup d’investissement, et avec le prix des tissus, plus le temps passé à les chercher, j’ai décidé qu’il valait mieux que je fabrique des choses sans avoir à acheter quoi que ce soit. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai commencé par confectionner des ceintures en tissu et des créations en macramé. L’accueil a été très bon. J’ai intégré de plus en plus de matériaux recyclés aux textiles ; poignées, canettes de soda ou encore plastique. C’est super positif : je crée et, en même temps, je contribue à nettoyer la planète, à ma petite échelle. Puis est arrivé le Covid-19 et j’ai commencé à coudre des masques buccaux à partir de chutes que je conserve depuis que j’ai commencé à coudre, dans les années 90. Aujourd’hui, c’est grâce à cela que je parviens à subvenir aux besoins de ma famille.« La société cubaine s’est reposée sur les liens d’amitié, ainsi que sur des membres de la famille vivant à l’étranger, qui aident beaucoup de gens d’une manière ou d’une autre. J’en ai fait l’expérience avec quelque chose d’aussi élémentaire que des aiguilles de machine à coudre. J’en ai trouvé ici, mais de très mauvaise qualité. Elle se fendent, s’émoussent et il faut les changer, sinon, elles abîment le tissu. Les meilleures au monde sont celles de Singer, qui est une entreprise des États-Unis. À cause du blocus, l’État cubain ne peut pas les vendre ici. Lorsque les relations étaient normalisées, du temps d’Obama, des clients étasuniens venaient dans mon atelier acheter mes pièces et mes vêtements recyclés. À ce moment-là, les choses allaient un peu mieux. Le blocus m’empêche aussi d’utiliser Etsy, la boutique en ligne pour les artisans. Je n’ai aucun moyen d’envoyer mes créations à des clients étasuniens. Je ne peux pas non plus facturer par carte de crédit si quelqu’un veut acheter mes créations aux États-Unis. Les problèmes d’expédition et de cartes de crédit qu’entraîne le blocus entravent mon activité commerciale. » CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONSCe rapport montre que le blocus américain a un impact concret sur la population cubaine, et a entraîné des conséquences graves pour des secteurs clés du pays, notamment le secteur privé, dont le potentiel a été étranglé. S’appuyant sur des preuves solides, il dénonce les conséquences directes du blocus sur la vie quotidienne des femmes cubaines, qui en pâtissent tout particulièrement car il crée une situation défavorable qui restreint leurs possibilités d’autonomie et de développement optimal. Il s’agit d’un ensemble de mesures qui renforcent les inégalités préexistantes en matière de participation des femmes à la vie active, de stabilité de leurs revenus et d’équilibre de leurs tâches quotidiennes. Ignorer les impacts différenciés que le blocus a sur elles perpétue les écarts entre hommes et femmes et entrave leurs projets de vie….

La politique nordaméricaine viole les droits des citoyens et citoyennes cubains à une vie digne et à accéder aux produits de base. Elle entrave le développement local dans les domaines économique, social et environnemental. Elle entrave l’accès à certains médicaments nécessaires à des traitements spécifiques, aux fournitures destinées à la production de tests de dépistage du Covid-19, ainsi que de candidats vaccins développés à Cuba, dans un contexte où se superposent les urgences sanitaires et économiques en raison de la pandémie. A. Oxfam condamne le blocus étasunien de Cuba, car il va à l’encontre de ce qui est le plus urgent et nécessaire à l’heure actuelle : sauver des vies et protéger les droits des citoyennes et des citoyens. En ce moment, il faut donner une envergure mondiale à la coopération entre les pays et chercher avant tout des solutions collaboratives à la crise sanitaire actuelle, soutenir les systèmes de santé et la science, soutenir les initiatives privées émergentes dans le pays, soutenir les institutions qui fournissent des services sociaux aux familles, y compris celles qui œuvrent à la prévention et à la prise en charge des multiples formes de violence sexiste, et celles qui peuvent apporter leur aide au travail de soins.

Cuba traverse la crise économique la plus aiguë depuis 30 ans. Tout en permettant de maintenir les dépenses sociales pour répondre à la pandémie, lever le blocus profitera directement à la population, favorisera les changements socio-économiques en cours et augmentera les opportunités économiques et la possibilité d’une participation citoyenne active pour la population cubaine.

Dans ce contexte, Oxfam appelle à aider les femmes à être plus autonomes afin qu’elles développent leurs capacités, qu’elles élaborent leurs propres projets elles-mêmes et en exerçant pleinement leurs droits, sans être freinées par les obstacles que le blocus exacerbe. Cet appel prend d’autant plus d’envergure dans la mesure où la vice-présidence des États-Unis est, pour la première fois de leur histoire, occupée par une femme.

Le nouveau gouvernement emmené par le président Joe Biden a l’occasion de reprendre là où le président Obama s’était arrêté et construire ainsi un nouvel avenir entre les deux nations. Malgré le contexte mondial rendu difficile par le Covid-19 et ses conséquences, l’ouverture récente sur l’île de nouvelles opportunités pour des investissements étrangers, l’importation et l’exportation de produits et l’échange de biens et de services pourrait sans aucun doute faire pencher la balance vers une levée du blocus en raison des avantages que cela pourrait apporter au secteur commercial des deux nations. Aux États-Unis, le secteur privé compte des acteurs importants qui peuvent influencer les politiques de leur gouvernement à l’égard de Cuba en manifestant un intérêt pour l’établissement de relations commerciales entre les deux pays. Ils pourraient être moteurs de changements en demandant des licences leur permettant d’accéder au marché cubain. En ce sens, le Conseil d’affaires États-Unis-Cuba, membre de la Chambre de commerce des États-Unis, vise à promouvoir des relations économiques et commerciales sans entraves entre les deux pays, et la US Agriculture Coalition for Cuba (USACC) s’est déclarée déterminée à défendre la levée du blocus.

Oxfam réaffirme l’appel à aller vers une normalisation des relations entre les deux États, un processus qui serait très positif non seulement pour les 11 millions de personnes vivant sur l’île et à leurs familles expatriées, mais aussi au peuple étasunien. En effet, certains sondages indiquent encore et toujours qu’aux États-Unis (y compris dans la communauté cubano-nordaméricaine, et surtout parmi ses plus jeunes membres), beaucoup soutiennent une plus grande ouverture diplomatique des États-Unis envers Cuba et la fin du blocus. Des opportunités existent dans différents domaines où ces deux nations ont des intérêts communs tels que l’agriculture, le tourisme, la biotechnologie, l’éducation, la fabrication et bien d’autres encore.

B. Pour favoriser un nouveau dégel des relations entre les Etats-Unis et Cuba, et veiller à ce que ses effets soient aussi bénéfiques que possible pour les Cubains, Oxfam recommande :Au gouvernement des États-Unis:la « normalisation des relations avec Cuba » comme point de départ Le retrait de Cuba de la liste des pays qui soutiennent le terrorisme ; la suspension de l’application du titre III de la loi Helms-Burton. L’abrogation du mémorandum présidentiel de sécurité nationale sur le renforcement de la politique américaine à l’égard de Cuba, publié en 2017.  Annuler les limitations sur les envois de fonds et les voyages imposés par le gouvernement Trump, ce qui aiderait les familles cubaines, le secteur non étatique émergent et l’économie du pays.  Rouvrir les services diplomatiques en dotant les deux ambassades de personnel en suffisance, afin de permettre une bonne exécution des services consulaires et des dialogues bilatéraux sur des questions d’intérêt mutuel. Oxfam appelle le gouvernement des Etats-Unis à garantir immédiatement le suspension des mesures de blocus qui empêchent l’acquisition de matériaux et de fournitures nécessaires pour faire face à la situation sanitaire causée par le COVID-19 à Cuba, ainsi que l’élimination des entraves à la production de vaccins et de traitements médicaux cubains. Une telle action a incontestablement valeur d’engagement humanitaire.

Oxfam appelle le Congrès des États-Unis à prendre des mesures législatives visant à supprimer les restrictions précédemment en place. Par conséquent, nous demandons instamment aux membres du Congrès de défendre et d’adopter des réformes législatives visant à mettre fin aux politiques d’embargo commercial et aux restrictions qui frappent les relations économiques, sociales et politiques des États-Unis avec Cuba. C. Au gouvernement de CubaOxfam encourage le gouvernement cubain à continuer à mettre en œuvre les transformations promues depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 2019, afin de garantir les droits humains, la justice sociale et le plein accès à la liberté, la solidarité, au bien-être et à la prospérité individuelle et collective, comme le stipule la Magna Carta cubaine.

Oxfam souligne la nécessité de mettre en œuvre, dès que possible et de manière structurée, des stratégies et des politiques garantissant l’indépendance de Cuba vis-à-vis des importations de biens et de fournitures, encourageant la production locale, soutenant l’autosuffisance et ladécentralisation des municipalités, les pratiques agro-écologiques et l’autoconsommation, mais aussi l’agriculture urbaine, suburbaine et familiale.

Oxfam plaide pour une plus grande autonomisation des femmes vivant en région rurale, qui sont sous-représentées dans les emplois rémunérés et parmi les personnes qui sont propriétaires des terres qu’elles cultivent. En outre, le gouvernement cubain doit impérativement accorder la priorité au renforcement et à l’expansion des systèmes de soins complets et de protection sociale pour tous,Il doit élargir et renforcer le cadre juridique des secteurs privé et coopératif. En parallèle, il doit concevoir des programmes et des mesures incitatives pour reconnaître et réduire les inégalités existantes et potentielles, en particulier celles qui touchent les femmes, dans leurs multiples configurations et niveaux d’intensité.

D. À la communauté internationaleOxfam appelle tous les États membres des Nations unies et des organisations de coopération internationale à se joindre à une politique plus proactive contre le blocus..

Oxfam exhorte l’UE à renforcer le dialogue avec le nouveau gouvernement étasunien en vue de lever le blocus à CubaPour toutes ces raisons, la prochaine résolution sur la nécessité de mettre fin à la politique de blocus contre Cuba à l’Assemblée générale des Nations unies est l’occasion de dégager des espaces de dialogue entre les parties.

Oxfam suggère d’encourager l’opinion publique et les forums internationaux à poursuivre l’analyse et les débats informés sur les dommages infligés par le blocus. E. À la société civileOxfam encourage les organisations, réseaux et autres acteurs de la société civile internationale à prendre la mesure de ce qu’il se passe actuellement et à appeler à la levée du blocus.

Mettre fin à cette politique injuste qui dure depuis près de six décennies favorisera un dialogue constructif entre des voix diverses, encouragera les transformations sur l’île et contribuera à un développement résilient, mais aussi à garantir les droits et la justice sociale. Une telle démarche donnerait un signal important d’une volonté de trouver des solutions communes à la pandémie mondiale. Cuba a une grande expérience en matière de coopération internationale sur le plan de la santé et disposera bientôt de ses propres vaccins pour le COVID-19. Encourager, plutôt que freiner, sa capacité à apporter son expérience, ses connaissances et son expertise à la réponse mondiale à la crise sanitaire va au-delà d’un simple geste de bonne volonté. Cela relève d’un devoir moral envers l’humanité, d’un engagement en faveur d’un monde moins inégalitaire, offrant de plus grandes opportunités et l’accès à l’intégralité de leurs droits à tous les individus. p { margin-bottom: 0.1in; line-height: 115%; background: transparent }a:link { color: #000080; so-language: zxx; text-decoration: underline }

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