Le fait que CNN, chaîne de télévision étasunienne renommée, consacre un entretien au sujet de Cuba est déjà assez exceptionnel. Donner la parole à un chercheur des États-Unis qui est super enthousiaste de la coopération avec Cuba est tout simplement assez étonnant. Regardez l’intervieuw ICI (soustitres Fr et Nl) et lisez le texte ici desous.
Candace Johnson est présidente et directrice générale du Roswell Park Cancer Center à New York. Elle a travaillé en étroite collaboration avec des scientifiques cubains afin d’amener le vaccin cubain contre le cancer du poumon aux États-Unis pour des essais. Bienvenue dans l’émission, Candace Johnson. Pour commencer, tout le monde sait que Cuba et les États-Unis sont en désaccord et que les liens diplomatiques ont été rompus. Il y a des amendes d’un montant exorbitant, c’est un peu la routine. Pourtant, au fil des décennies, Cuba s’est illustré sur le plan biomédical. À quoi cela est-il dû selon vous ?
Comme vous le savez, Cuba s’est distingué en ayant des équipes d’immunologues parmi les plus éminentes. Ce sont les personnes les plus brillantes et les plus innovantes avec lesquelles j’ai eu le plaisir de travailler.
Mais c’était une nécessité, parce que les Cubains n’avaient pas accès aux médicaments que l’on peut avoir dans les pays occidentaux. C’est pour cela qu’ils ont mis au point les technologies nécessaires pour vacciner leur peuple contre beaucoup de choses.
Nous étions évidemment intéressés par le développement du vaccin contre le cancer du poumon mais, pour moi, il n’est pas surprenant qu’ils soient à l’avant-garde du vaccin contre le COVID. Ce sont des personnes vraiment extraordinaires.
Je suis sûre que tout le monde va ouvrir grand ses oreilles en entendant parler de vaccin contre le « cancer du poumon ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Ce vaccin est-il préventif ? Ou thérapeutique ? Comment ont-ils pu y parvenir et comment avez-vous pu vous le procurer ?
Comme vous le savez, les scientifiques cubains sont des génies. En ce qui concerne le cancer du poumon, il existe de nouvelles approches inédites qui peuvent augmenter le taux de survie des personnes, même à un stade avancé de la maladie.
Mais dans le cas du cancer du poumon, la plupart des thérapies, du moins il y a quelques années, étaient axées sur le récepteur du facteur de croissance. À Cuba, ils n’avaient accès à aucun de ces médicaments. Ils ont donc émis l’hypothèse qu’ils pourraient immuniser les gens contre ce facteur de croissance particulier, ce sont les cellules cancéreuses. Les cellules du cancer du poumon sont dépendantes de ce facteur de croissance, donc quand le facteur de croissance est présent, la tumeur se développe. Si on pouvait empêcher la présence du facteur de croissance chez le patient, il y a des chances que la tumeur ne se développe pas.
Donc, le vrai génie dans cette affaire, c’est d’immuniser quelqu’un contre une protéine qui est naturelle dans le corps, et ce n’est pas une tâche facile. Je suis sûre que c’est la raison pour laquelle leur vaccin anti-COVID a eu un tel succès, parce qu’ils ont développé une technologie pour prélever ce facteur de croissance.
Ils l’ont conjugué à une protéine unique et ont immunisé les gens contre ce facteur de croissance. Ils ont montré que les patients avaient une réponse immunitaire très forte et développée et, en fin de compte, une diminution des niveaux de ce facteur de croissance chez les patients atteints de cancer du poumon. Sans facteur de croissance, la tumeur ne se développe pas . C’était génial.
Ils ont mené des études à Cuba, mais aussi en Amérique du Sud. D’ailleurs, ils ont fait des études de phase III et ces résultats ont été publiés dans une revue américaine.
Leur étude était aussi rigoureuse qu’ici aux États-Unis et plusieurs scientifiques ont présenté ces résultats lors de réunions nationales. Nous voulions apporter ce vaccin aux États-Unis. En 2015, nous avons lancé la procédure et nous avons travaillé dur jusqu’ici pour y arriver. Aujourd’hui, nous avons des essais cliniques ouverts ici, à Roswell Park, ainsi que dans plusieurs institutions de l’État de New York et nous espérons en ouvrir dans d’autres institutions du pays. Nous avons déjà validé certains des concepts initiaux pour ce médicament.
Je pense que c’est vraiment extraordinaire de vous écouter parler de ça. Quand vous parlez de ce facteur immunitaire ou l’accepteur de protéines de croissance, parlez-vous de l’immunothérapie, dont on entend beaucoup parler dans le traitement du cancer ?
Exactement, c’est une forme d’immunothérapie. Tout ce qui est utilisé pour stimuler le système immunitaire est une immunothérapie, et il s’agit donc d’un type différent d’immunothérapie. Nous pensons que le CIMAvax, le nom de ce médicament, possède une qualité importante qui est la prévention. Disons que vous avez un cancer du poumon, une maladie très isolée à un stade précoce.
Il est possible de le retirer par une opération, mais nous savons que ces patients ont un risque très élevé de récidive. Donc on réduit la charge tumorale, et on pourrait immuniser la personne avec le CIMAvax. Ces anticorps circulants contre le facteur de croissance seraient présents et donc, il n’y aurait pas de récidive. Nous pensons que c’est très prometteur et nous sommes sur le point de lancer un nouvel essai pour étudier ce phénomène chez nos patients. C’est très motivant.
Pour être clair, Candace Johnson, est-ce le seul pays à travailler sur le vaccin CIMAvax comme thérapie contre le cancer du poumon ? Est-ce qu’il s’agit uniquement de Cuba ?
Seulement de Cuba, oui. Eh oui, je sais. Ce qui est remarquable, c’est qu’à Cuba, les scientifiques sont innovants, brillants, ils adoptent toujours un point de vue nouveau, ils essaient toujours de trouver d’autres moyens pour résoudre les problèmes. Ils n’ont pas les avantages que nous pouvons avoir ici, comme des équipements sophistiqués et des réactifs très coûteux. Ils doivent utiliser leur cerveau et trouver comment s’attaquer à ces problèmes.
Ils connaissent un grand succès dans ce domaine. Nous sommes très enthousiastes à l’idée de cette collaboration. Comme vous pouvez l’imaginer, pendant le COVID, beaucoup de choses ont été mises en suspens. Mais nous attendons avec impatience la fin du COVID afin de pouvoir poursuivre notre collaboration avec ces merveilleux partenaires.
Le vaccin Soberana 02, comme nous l’avons dit tout à l’heure, est dans sa dernière phase de test et ensuite, ils veulent aussi l’exporter et vacciner leur population, évidemment. Le proposer comme une sorte de forfait vacances aux touristes à Cuba, afin de relancer l’économie en déclin. Vous vous y êtes beaucoup rendue, je sais que vous êtes allée à Cuba, que vous avez parlé aux scientifiques. Vous avez vu ce qu’ils font en tant que professionnelle. Parlez-moi un peu de ce que cela signifie, au niveau de la diplomatie en termes de vaccin et de médecine. Pendant des décennies, ils ont exporté le fruit de leur travail.
Oui, leur science et surtout les sciences appliquées. Ces immunologues mettent au point des mesures préventives pour leur population. Ils pensent toujours très clairement au bien de l’humanité, alors ils veulent exporter cette connaissance et aider plus de gens dans le monde. Ils veulent évidemment exporter ces connaissances et aider d’autres personnes dans le monde, mais leurs motivations sont vraiment d’aider la population cubaine avec le développement de ces vaccins.
Donc, quand vous allez à Cuba et que vous voyez le dévouement de ces scientifiques et que vous voyez à quel point ils sont innovants et ce qu’ils font avec beaucoup moins qu’ici, même dans mon propre établissement, c’est vraiment inspirant. Nous apprécions vraiment les relations que nous avons. Il n’y a pas que le CIMAvax, un vaccin très intéressant contre le cancer du poumon, il y a aussi d’autres choses dont nous pourrions tirer parti ici dans ce pays. J’espère que nous pourrons apporter toutes ces choses, à mesure que nous avançons.
Avez-vous un exemple à nous donner ? Donnez-moi une avancée majeure sur un vaccin révolutionnaire qu’ils pourraient vous apporter.
Il existe un autre vaccin, qui fait appel au système immunitaire. Il pourrait avoir une application dans une plus grande variété de tumeurs en plus du cancer du poumon, donc nous allons explorer cela aussi. Ils travaillent sur de nombreux médicaments innovants.
Cela peut sembler être un cliché, mais je vais mentionner l’image des vieilles voitures qu’ils réparent et qu’ils utilisent pendant des décennies. La plupart sont de vieilles voitures américaines. Je vous lis ce que le directeur des Neurosciences de Cuba a dit : Les Cubains peuvent non seulement faire fonctionner de vieilles voitures, mais aussi de vieux équipements.
Ainsi, comme vous l’avez dit à juste titre, ils ont dû travailler avec un équipement insatisfaisant, mais ils ont néanmoins amélioré leur pratique sur le plan scientifique, et ils ont également envoyé des médecins pendant la pandémie de COVID. Ils se sont par exemple rendus en Italie au printemps, alors même que la situation était critique.
Peut-on vraiment philosopher sur le rôle de Cuba et celui de la Russie, de la Chine et de l’Inde, dont le but était d’apporter ce médicament vital à des pays qui n’en ont pas les moyens ?
Les chiffres nous montrent que les pays riches ont déjà stocké des milliards de doses du vaccin contre le COVID, alors que les pays les plus pauvres du monde en développement n’y ont tout simplement pas accès.
Si on regarde les épidémies d’Ebola en Afrique, qui étaient les médecins en première ligne ? C’était les médecins cubains. Ils sont toujours présents quand c’est nécessaire, et ils ont joué un rôle très important en Italie.
Je pense qu’ils connaissent leur mission. Après tout, nous sommes tous des personnes malgré nos différences, nous sommes tous ici pour l’amélioration de l’humanité. Cuba va un peu plus loin, peut-être parce que les Cubains sont vraiment dévoués et veulent aider les gens, en particulier les personnes atteintes de maladies dévastatrices.
C’est un sujet politique, c’est vraiment dommage qu’ils soient la cible de votre pays, alors même que l’administration Obama avait tenté de rétablir la diplomatie… l’administration Trump n’a pas suivi… Je ne veux pas parler politique, j’aimerais parler en termes de science et de médecine. Pourraient-ils, peut-être, réussir davantage si la situation politique était différente ? Ou est-ce parce qu’ils sont soumis à cette pression que les Cubains sont en fait si ingénieux dans ce domaine ?
C’est une question très intéressante. En fait, nous avons commencé à y travailler, comme vous l’avez dit, sous l’administration Obama et nous sommes passés par différents présidents. Mais tout au long du processus, peu importe qui était à la Maison-Blanche, nous avons réussi à nous rendre mutuellement visite. Malgré cela, nous avons réussi à poursuivre nos collaborations, nous avons dû être un peu plus inventifs sur la manière de procéder, mais nous avons quand même réussi à nous en sortir et à avancer.
Je pense que cela touche probablement beaucoup les scientifiques cubains. Peut-être que cela les fait penser différemment, parce qu’ils n’ont pas le choix, au vu de la situation. Mais nous essayons de nous concentrer uniquement sur le développement de ces médicaments pour aider le peuple américain. Potentiellement, nous avons dans notre pays des choses qui pourraient vraiment profiter au peuple cubain et auxquelles il n’a tout simplement pas accès. C’est pourquoi nous espérons que cette collaboration nous permettra de nous entraider. Nous sommes tous des êtres humains.
C’est vraiment une grande réussite médicale et un exemple de diplomatie humanitaire et médicale et de la façon de construire une bonne relation. Candace Johnson, merci beaucoup de nous avoir rejoints aujourd’hui, c’était une histoire vraiment fascinante.