Un article du Volkskrant (Nl), repris tel quel, sans le moindre examen critique, le premier jour de l’an 2021 dans De Morgen , présente la réforme monétaire qui a démarré cette semaine sur l’île, comme une énième calamité s’abattant sur Cuba.
On dirait l’épisode 1001 du feuilleton Cuba, diffusé depuis 62 ans dans la presse occidentale, dont le sous-titre serait : « Cuba est au plus mal et le socialisme touchera bientôt à sa fin ». Une mauvaise série qui tarde à atteindre son point culminant. Dès l’introduction, nous sommes frappés par le ton condescendant : ….« mais elle a des conséquences de grande envergure ». Comprenez : « Le gouvernement cubain est constitué d’une bande d’idiots qui ne se rendent pas compte de l’inexorable échec de cette réforme, surtout pendant la crise du coronavirus ». C’est au fond ce qu’affirme le journaliste Omar Everleny Perez.
Omar Everleny Perez était en effet membre de la direction de la faculté d’économie de La Havane … jusqu’à ce qu’il soit licencié il y a quatre ans, pour avoir transmis des informations économiques à l’ennemi.* …. Cela peut sembler dépassé et d’un ridicule dramatique pour le lecteur moyen des journaux néerlandais et belges, mais …. Cuba n’a jamais cessé d’être victime de l’agression des gouvernements américains successifs.
Ce n’est pas parce que les médias en Europe n’en parlent presque jamais que cette agression peut être reléguée au lointain passé de la guerre froide. Cet homme a abusé de la facilitation temporaire des voyages et des échanges universitaires à l’époque d’Obama, pour transmettre aux États-Unis des chiffres confidentiels sur l’économie cubaine, en dépit des avertissements préalables. (L’a-t-il fait en échange d’une rémunération ? Le Pentagone dispose en tout cas d’un budget largement suffisant pour cela, et ne s’en cache d’ailleurs pas.)Comme souvent, au premier abord cet article ne contient pas de mensonges, mais le Volkskrant reprend ici les « informations » ainsi que le ton des agences de presse internationales, qui sont aux mains de grands groupes de capitaux. Les nouvelles qu’ils mettent en avant ne sont évidemment pas destinées à présenter de manière positive des alternatives au néolibéralisme auprès du public mondial.
Ce ton négatif résulte principalement des non-dits.
Ainsi, l’article ne dit pas un mot sur la raison principale des difficultés économiques de Cuba : le blocus économique le plus long (61 ans) de l’histoire mondiale, imposé par l’économie la plus puissante du monde, contre l’un de ses petits voisins. Sous Trump, la situation n’a fait qu’empirer. Il y a trois semaines, il a même bloqué l’exportation de café en provenance de Cuba ( !?) … C’est comme si aujourd’hui on faisait une analyse de l’économie britannique sans parler du Brexit.
Si tous les détails de cette opération monétaire sont loin d’être publics, c’est directement lié au blocus. Cuba est toujours en guerre contre la plus grande puissance militaire et économique du monde, dont les gouvernants ont prôné ouvertement et à maintes reprises la chute des dirigeants cubains, et font tout pour arriver à leurs fins depuis 61 ans, allant jusqu’à financer et entraîner des terroristes sur leur propre sol.
Expliquer en détail comment vous allez protéger votre population et votre économie des conséquences difficiles de cette réunification monétaire, qui a été longuement réfléchie et préparée pendant six ans, serait particulièrement stupide. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il ne les communique pas à la presse que le gouvernement cubain ne prend pas toute une série de mesures. Il ne s’agit vraiment pas d’une bande d’idiots.
Joost De Vries, l’auteur de l’article, a repris les dires de l’économiste de renom qui lui a été présenté, sans faire le moindre effort pour donner la parole aux Cubains eux-mêmes. Comprenez bien : les seuls bons Cubains sont ceux qui ne soutiennent pas le gouvernement. Pourtant, plus de 75 % des Cubains le soutiennent. Même le Pentagone n’a aucun doute à ce sujet, à son très grand regret.
La conclusion n’en est que plus tendancieuse : elle présente Cuba comme « …un État en lent retrait, un régime communiste (comprenez : imposé au peuple) qui retire ses subventions en raison de sa détresse économique (faux : ces subsides seront désormais accordés en priorité aux plus faibles et moins à la population entière) », et annonce implicitement une fois de plus la fin du socialisme sur l’île. Ce sont des prophéties qui s’avèrent aussi valables que celles des témoins de Jéhovah annonçant la fin du monde. À la différence près que les témoins ont arrêté de clamer ces prophéties, et n’ont jamais rien fait pour hâter cette fin.
En résumé, l’article induit une perception négative de l’économie cubaine aux lecteurs non spécialistes, en dissimulant quatre éléments clés :- le blocus étouffant imposé depuis 62 ans et l’agression croissante des États-Unis ;- les six années de préparation de l’unification monétaire ;- le soutien massif des Cubains à leur gouvernement actuel ;- les antécédents et la position de leur source.
Ce genre d’articles sur Cuba se retrouve fréquemment dans les médias traditionnels. Ils se font l’écho des vœux pieux des néolibéraux (vous connaissez sans doute Fukuyama) concernant toute alternative qui ne soit pas basée sur le libre marché et la démocratie à l’occidentale : qu’elle disparaisse ! À leurs yeux – et aux yeux d’une grande partie des citoyens des pays du Nord qu’ils « informent » constamment – il n’existe qu’une seule voie vers le salut : le marché « libre » débridé et une démocratie parlementaire facilitant ce marché, et uniquement ce marché. Un autre monde n’est pas possible.
Malheureusement, depuis 62 ans maintenant, les Cubains sont trop obstinés pour donner raison aux prophètes du libéralisme mondial, et ils montrent que cet autre monde est possible.
Au sujet de ces Cubains têtus, nous avons publié le 1er janvier : 62 ANS DE RÉVOLUTION CUBAINEEt à propos de l’unification monétaire, une semaine plus tôt, nous avions publié : UNE MONNAIE UNIQUE ET UNE HAUSSE DES SALAIRES EN 2021Nous ne prétendons certainement pas que cette réforme monétaire sera chose facile, mais à l’instar de la grande majorité des Cubains, nous pensons que le gouvernement cubain, dans le contexte de la plus grande crise mondiale de l’après-guerre (du moins pour nous) et du blocus criminel continu, fait effectivement un pas important et nécessaire pour améliorer et protéger mieux encore leur société solidaire.
Nous leur souhaitons bonne chance et beaucoup de combativité en cette nouvelle année cruciale de leur révolution, et nous sommes solidaires à leurs côtés.
Cubanismo.be* The Guardian