L’année prochaine, après 26 ans et de nombreuses annonces, verra enfin disparaître le système de double monnaie. Les prix, mais aussi les salaires, vont fortement augmenter. Une action audacieuse dans un contexte de pandémie, de blocus renforcé, alors que les recettes du tourisme n’ont jamais été aussi basses et que le pays fait face à de graves pénuries (alimentaires). Divers médias et décideurs politiques prennent le temps de bien expliquer ce changement.
Une seule monnaie : le peso cubano CUP ($)Comme nous l’expliquions dans un article précédent, deux types de monnaie coexistent à Cuba depuis 1994 : le peso, la monnaie nationale (moneda nacional, CUP), et une monnaie dite convertible (moneda convertible, CUC). Le CUC a été introduit à l’époque pour échanger le dollar américain (et d’autres devises étrangères) (1 USD = 1 CUC), moyennant une taxe. Avec ces dollars, le gouvernement était en mesure de payer ses importations. Autrefois, la possession ou l’utilisation de dollars étaient interdites, ensuite celles-ci ont été autorisées et finalement remplacées par le CUC. Des magasins ont été créés où on ne pouvait payer qu’en CUC ou en devises étrangères. Ensuite, le peso normal y a été accepté également.
Mais ce système de double monnaie impliquait aussi un double taux de change : les entreprises pouvaient échanger leurs CUC contre des dollars au taux de 1 USD = 1 CUC, tandis que pour les particuliers, le taux était d’1 CUC = 24 CUP . L’ensemble du système avait pour conséquence qu’il arrivait qu’importer soit moins cher que d’acheter des produits fabriqués à Cuba, ce qui est en contradiction avec la politique officielle qui consiste à importer moins et à produire (et exporter) plus soi-même.
A partir du 1er janvier 2021, le peso – peso cubano (CUP) – deviendra donc la monnaie unique. Chacun disposera de six mois supplémentaires pour échanger ses pesos CUC à un taux fixe de 1 CUC = 24 CUP. Les soldes bancaires en dollars ou en CUC seront automatiquement convertis en CUP (1:24).
SubventionsLes entreprises publiques – dont quelque 40 % fonctionneraient à perte et sont donc subventionnées – disposent d’un an pour mettre de l’ordre dans leurs comptes. Aujourd’hui, le gouvernement subventionne le commerce de détail avec 29 millions de pesos et 1,5 milliard de pesos vont à la production agricole. L’objectif est de supprimer progressivement les subventions excessives ou inutiles et de subventionner plutôt des personnes que des produits. On ne sait pas quel est le délai envisagé, mais cela ne se fera certainement pas du jour au lendemain, et le carnet de rationnement continuera d’exister (pendant longtemps encore).
Protection du pouvoir d’achatL’offre, les prix et les salaires (nets) déterminent le pouvoir d’achat. Ainsi, si les hausses de salaire ne dépassent pas la hausse des prix, il y a perte du pouvoir d’achat. C’est pourquoi le gouvernement plafonne les augmentations de prix Le Journal officiel cubain publie les prix au détail de toute une série de produits. La ration quotidienne de 80 g de pain que chaque Cubain peut acheter à 5 cents avec son carnet de rationnement coûtera 1 peso à l’avenir, soit vingt fois plus. C’est la première augmentation de prix en quarante ans. Un steak haché de porc de 100 g ne pourra pas coûter plus de 5 pesos tandis que pour un pain de 400 g, on paiera 10,7 ou 8 pesos, selon que vous l’achetez à La Havane, à Santiago de Cuba ou dans une autre province. Un poulet coûtera 58,75 pesos, un paquet de café (115-125 g) 43,75 pesos, 1 kg de lait en poudre sera vendu au comptoir pour 130 pesos, etc. Une bouteille de rhum de 700 ml de Santiago de Cuba añejo pourra coûter au maximum 190 pesos, vous pourrez vous brosser les dents avec un tube de Denti Fresh de 8 pesos la pièce. … Un ticket de bus à La Havane coûtera 2 pesos (ailleurs 1 peso), pour un trajet en taxi privé, vous payerez 5 pesos ; un trajet en bus de La Havane à Pinar del Río reviendra à 50 pesos. Une bière Bucanero ou Cristal coûtera 30 pesos. Les billets pour les activités culturelles pourront coûter 3 à 5 fois plus cher, mais il y aura toujours des réductions pour les enfants, les étudiants, les retraités, etc. Les conseils juridiques pourront coûter 4 à 6 fois plus cher. Les prix de l’électricité, fortement subventionnés jusqu’à présent, varient en fonction de la consommation : une famille avec une consommation de 100 kWh qui paye aujourd’hui 9 pesos payera bientôt 40 pesos, le coût de 200 kWh passera de 40 à 175 pesos, etc. Un peu plus d’un tiers des ménages consomment en moyenne 185 kWh par mois. La facture énergétique d’une personne qui touche un salaire minimum et consomme 100 kWh représente aujourd’hui 4 % de ce salaire ; bientôt, elle sera seulement de presque 2 %. Les frais de carburant dépendent, entre autres, des prix du pétrole. La production nationale de pétrole et de gaz couvre environ la moitié des besoins en combustibles.
L’approvisionnement en carburant en provenance de l’étranger était d’ailleurs l’une des cibles de la campagne du gouvernement Trump visant à torpiller l’économie cubaine. En raison du blocus, Cuba doit déjà payer plus que la normale pour son carburant importé.
Par ailleurs, le gouvernement investit massivement dans les énergies renouvelables (parcs éoliens, bio, solaire et eau), qui devraient couvrir jusqu’à 24 % de l’approvisionnement énergétique d’ici 2030.
Le gouvernement contrôle donc les prix (voire les bloque dans certains cas, par exemple dans les cantines scolaires et d’entreprise) et promet d’agir avec fermetécontre les spéculateurs qui procèdent à des augmentations de prix injustifiées. Marino Murillo Jorge, chef du comité de mise en œuvre des réformes économiques, a déclaré que l’intention est une augmentation globale maximale de 12 % des prix de la production nationale.
Le panier de la ménagère standard (« canasta ») des biens et services représente environ 1 528 pesos. Il correspond à une consommation quotidienne minimale de 2 100 kcal ; le salaire minimum couvrant 1,3 canastas.
Chaque travailleur contribue à la sécurité sociale par un prélèvement de 5 % de son salaire. Jusqu’au 10ème échelon du barème des salaires (3 260 pesos), un travailleur paie 3 % d’impôt sur le revenu.
D’ici le 1er janvier 2021,les salaires, les pensions et les prestations sociales seront fortement augmentés (x 5). Ainsi, le salaire mensuel minimum sera relevé à 2 100 pesos, soit 9,3 foisle salaire minimum actuel de 225 pesos. 32 barèmes salariaux sont fixés, avec un maximum de 9 510 pesos, soit un écart salarial de 4,5 entre le salaire le plus bas et le salaire le plus élevé. Le salaire mensuel moyen est actuellement de 879 pesos. Les quelque 2 millions d’indépendants et employés privés (sur un total de plus de 7 millions de travailleurs) ne bénéficieront pas de cette hausse de salaire, mais bien de réductions d’impôts plus importantes . Les 1,7 million de retraités jouiront d’une augmentation sensible de leur retraite : de 280-300 pesosà 1 528 pesos, de 350 à 1 678, de 500 à 1 733, etc.
En ce qui concerne les allocations sociales (aides sociales), un chef de famille percevra son montant actuel + 1 260 pesos et les autres membres de la famille (jusqu’à 5 personnes) bénéficieront de 800 pesos chacun.
Informations détailléesLes médias cubains accordent une large attention à ce « remaniement monétaire ». Les différentes dispositions légales sont disponibles en ligne (utile aussi pour les touristes qui se rendront bientôt à nouveau à Cuba).
Le journal français de droite Le Figaro s’amuse de la publication détaillée des différents salaires (« il vaut mieux être acrobate pour 155 euros par mois que vice-consul pour 112 euros »). Les gilets jaunes français, eux, apprécieraient probablement que leur gouvernement affiche une telle transparence et y trouveraient de quoi exiger plus d’égalité…
Le principal défi reste de produire plus et plus efficacement, de sorte que les salaires et la production suivent le rythme en augmentant le pouvoir d’achat.
Malgré la difficulté de la situation actuelle, marquée par la pandémie, le durcissement du blocus et une économie mal en point, le gouvernement cubain met bel et bien en œuvre les ajustements prévus.