Recherche proactive des cas de contaminations et mise à l’isolement des personnes, Cuba mise sur une politique préventive forte héritée de la révolution. Alors que le continent américain est frappé par une seconde vague de l’épidémie de Covid-19 particulièrement virulente – les cas ont augmenté de 30% au mois de novembre dans la région selon l’Organisation panaméricaine de la santé -, l’île de Cuba semble faire exception. Bien que les contaminations semblent également y repartir à la hausse, le bilan du Covid-19 sur l’île fait de Cuba l’un des pays les moins touchés par la pandémie en Amérique et dans le monde. Il se place ainsi à la 134e place (sur 162) des pays les plus impactés par la pandémie. Cuba n’a recensé que 8782 cas de Covid depuis le printemps et le nombre moyen de morts pour 1 million d’habitants s’élève à 12. Ces chiffres sont bien inférieurs à ceux du Brésil qui, en 14ème position sur le classement, dénombre 844,7 décès pour 1 million d’habitants, ou ceux du Pérou qui, avec 1133 décès pour 1 million d’habitants, se classe en 3e position. Signe de sa maîtrise de l’épidémie, Cuba a même rouvert ses frontières au tourisme international, secteur majeur de son économie, après près de huit mois de fermeture.
Cuba doit probablement ce succès à une méthode stricte de traçage de la population. En dehors des mesures barrières classiques (distanciation physique, port du masque obligatoire, usage de solutions hydroalcooliques, etc.) et des restrictions mises en place en fonction de l’évolution de l’épidémie et soumises à des contrôles (confinements, couvres-feu, suspension des transports en commun), le gouvernement cubain, souvent critiqué par la communauté internationale pour ses mesures coercitives, applique une politique préventive forte.
De manière très régulière, les Cubains reçoivent la visite de médecins locaux, d’infirmiers ou d’étudiants en médecine à leur domicile dans le cadre d’un porte-à-porte géant organisé pour repérer des nouveaux cas de Covid-19 avant qu’ils ne se déclarent. Ces agents de santé sont ainsi chargés de surveiller l’état de santé des habitants, de vérifier leur température et leur toux. Objectif : anticiper et éviter les contaminations.
Lorsqu’un cas positif est avéré, les médecins retracent l’ensemble de ses contacts sur les 14 derniers jours. Ces personnes sont soumises à un confinement obligatoire d’une à deux semaines, le temps d’être testées. Des centres d’isolement ont été créés à cet effet. Les cas contacts y font l’objet d’une observation médicale étroite. Leur température et leur tension sont ainsi vérifiées chaque jour par le personne soignant.
Ces méthodes ne sont pas sans rappeler celles utilisées par le gouvernement pour lutter contre le Sida dans les années 1990. A l’époque, alors que Cuba fait face à une crise économique d’envergure et s’ouvre au tourisme international, le VIH se répand sur l’île. En l’absence de traitement et avec l’inquiétude que le Sida se propage dans la population, le gouvernement isole les porteurs du virus dans des centres médicaux, presque des sanatoriums. «Ce n’était pas une prison mais un vrai confinement», explique Janette Habel, politologue à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL). «Les personnes étaient dans un périmètre où ils étaient surveillés et ils ne pouvaient pas être dans la ville ou avec leur famille», poursuit-elle. Une philosophie similaire à celle appliquée au Covid-19. A cela près que le confinement des malades du Sida était «très discriminatoire, notamment pour les homosexuels et les prostitués», selon Janette Habel, et a duré plusieurs mois, jusqu’à ce que la recherche apporte des réponses sur les processus de contamination.
Au même moment, des personnels soignants sont chargés d’enquêter et de repérer des cas de contaminations. «Dès qu’il y avait un cas de Sida, les infirmières du centre de santé [du quartier] le signalaient, de manière naturelle», explique la politologue.
Ces mesures, bien que très critiquées à l’époque par la communauté internationale, ont permis à Cuba de maîtriser l’épidémie et de se rapprocher des objectifs du programme des Nations unies sur le Sida (ONUSIDA). Aujourd’hui, le taux de prévalence du VIH chez les 15-49 ans s’élève à 0,4% sur l’île, quand il s’établit à 1,1% dans l’ensemble des Caraïbes et à 0,7% au niveau mondial. En 2015, Cuba est également devenu le premier pays à éliminer la transmission mère-enfant du virus.
Héritage révolutionnaireCes deux épidémies sont révélatrices de la proactivité de Cuba en matière de santé. Selon les spécialistes de l’île, cette tradition remonte à la révolution populaire de 1959, qui a fait de la santé un des piliers de la société cubaine. «Au moment de la révolution, Fidel Castro a vu que beaucoup de médecins avaient été attirés par les Etats-Unis […]», explique Stéphane Witkowski, président du conseil de gestion de l’IHEAL. «Il a donc fallu reconstituer totalement le dispositif de santé et il en a fait un dispositif majeur et gratuit pour la population en mettant l’accent sur un système de santé préventive. Les résultats de ses choix politiques sont assez spectaculaires pour un pays en développement», poursuit-il. A l’époque, la participation à la révolution du Che Guevara, lui-même médecin, a aussi contribué à donner de l’importance à la question sanitaire. «Les gens savaient bien que le Che était médecin et qu’il venait les soigner. Ça a beaucoup contribué à la popularité de la révolution et les Cubains sont toujours restés très ancrés dans cet esprit», affirme Stéphane Witkowski.
La prévention en matière de santé se traduit par un suivi médical étroit, permis par un nombre important de médecins. En moyenne, pour 1000 habitants, Cuba compte 8,4 médecins. A titre de comparaison, la France en dénombre 3,3. Le bon suivi des patients est renforcé par une implantation très localisée du personnel soignant. Chaque quartier dispose ainsi d’un centre de santé avec «ce que l’on appelle un médecin de famille», explique Janette Habel. «Vous prenez le quartier en question, le médecin de famille connaît tout le monde», affirme la politologue. La proactivité s’appuie également sur une pédagogie importante en matière de santé. «Les centres médicaux dans les quartiers sont [aussi] des centres de prévention», déclare Janette Habel, qui ne manque pas de rappeler que pour le Covid-19, «les autorités cubaines sont très pédagogues et expliquent comment il faut fonctionner». Pour ce qui est du Sida, Cuba s’appuie aujourd’hui sur un réseau de séropositifs chargés d’encourager la population à se faire tester et de rappeler aux porteurs du VIH de prendre leur traitement.
Enfin, la politique préventive de Cuba se traduit aussi par une solidarité forte. «Les agents de santé ou les personnes en charge des communautés des quartiers ont cette obsession que les personnes ne souffrent pas», souligne Stéphane Witkowski. Aussi, en raison de l’absence de masques chirurgicaux, la population a confectionné elle-même ses masques. Cette solidarité s’exprime même au-delà des frontières. On se souvient notamment des blouses blanches cubaines qui, fières de leur expertise médicale et de leur expérience des épidémies, ont été envoyées dans de nombreux pays au printemps pour lutter contre le Covid.
L’importance accordée à la santé est visible dans le budget du pays, avec 11,1% du PIB dédié au secteur. «Il y a une forme d’unanimité sur les mesures en matière de santé. Il y a une adhésion parce que les Cubains considèrent la santé comme une priorité», conclut Stéphane Witkowski.
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