Donald Trump a remporté un peu plus de 51 % des votes dans l’État de Floride, contre près de 48 % pour son adversaire Joe Biden. Certains affirment que les Cubains vivant aux États-Unis ont voté en masse pour Trump, contre le « socialiste » Biden… Qu’en est-il ?
En Floride, deux districts sur trois ont choisi Trump, mais à Miami, Biden a obtenu 53 % de voix contre 46 % pour Trump. Les « latinos » ou citoyens hispanophones des États-Unis ont participé en masse aux élections. Parmi eux, les Mexicains constituent le groupe le plus important (60 %), suivis des Portoricains (14 %) et des Cubains (5 %). Ce dernier groupe a fait l’objet d’une grande attention, ce qui a amené les journalistes cubains Rosa Elizalde et Daniel Gonzalez à formuler quelques commentaires.1Le « vote cubain »
Il n’y a pas de chiffres définitifs sur le « vote cubain » ou sur le vote de n’importe quelle autre communauté. Le comptage des voix est encore en cours dans le pays. Selon l’American Community Survey 2014-2018, le nombre de Cubains enregistrés en Floride en 2016 était de 697 785. Parmi eux, 367 233 se disaient partisans du Parti républicain, 180 227 se rangeaient en faveur du Parti démocratique et 150 325 déclaraient d’autres affiliations politiques. Enfin, il y a quatre ans, 564 938 Cubains ont voté : 52 à 54 % ont opté pour Trump et 41 à 47 % pour Clinton. Les chaînes NBC News et Fox News ont toutes deux estimé le taux de participation des Cubains à ces élections à 58 %, soit un niveau similaire à celui de 2016.À Miami-Dade, le « vote cubain » est allé en majorité au candidat républicain, comme lors de l’élection précédente, mais Biden y toutefois a obtenu 53 %. Et le nouveau maire est une femme du Parti démocrate, Daniella Levine Cava. L’autre candidat était le Cubain et républicain Steve Bovo, fils d’un membre de la Brigade 2506 qui a envahi Cuba en 1961. Il faut cependant noter que Cava n’est certainement pas pro-Cuba, comme le démontre son soutien à une résolution de 2019 dénonçant « la discrimination contre la communauté LGBTQ » par les autorités cubaines…2Le journal The New York Times écrit qu’un climat de désinformation sans précédent règne en Floride, notamment dans les médias hispanophones et les réseaux sociaux au niveau local. Biden y avait été accusé d’être communiste, socialiste et même de pratiquer la sorcellerie, et pourtant le Parti démocratique de Miami Dade a gagné par plus de 7 points sur son adversaire.
Enfin, il faut dire que la « voix cubaine » n’est pas sans ambiguïté . On dénombre aux États-Unis un million de personnes nées sur l’île et au moins un autre million de descendants de Cubains qui vivent en Floride depuis leur naissance. Ils sont tous identifiés comme tels dans le registre national de la population. Au sein de ces deux groupes, certains ont la nationalité américaine et d’autres pas ; certains ne parlent que l’anglais et d’autres parlent uniquement l’espagnol. Certains sont inscrits sur les listes électorales, d’autres non. Ils sont républicains, démocrates ou indépendants. On y trouve à la fois des personnes ayant de la famille proche à Cuba et des personnes qui n’en ont pas.
Selon Michel Bustamante, de la Florida International University, la communauté cubaine est beaucoup plus complexe que ne le laissent entendre les descriptions qui en ont été faites durant la course électorale. Il parle d’une « dissonance cognitive » flagrante dans les communautés cubaines de Hialeah et Miami : beaucoup envoient de l’argent à leur famille ou se rendent régulièrement sur l’île, mais se déclarent favorables aux sanctions de Trump.
La communauté cubaine est diverse, avec des personnages atypiques comme Yadira Escobar3une blogueuse de 32 ans controversée, née à Cuba, qui s’oppose à la politique étasunienne contre Cuba et le Venezuela, et qui n’hésite pas à critiquer les anticommunistes cubano-américains. Elle s’était présentée au Congrès en Floride, mais le Parti démocrate l’a rayée des listes parce qu’elle parle trop positivement de la révolution cubaine.
La relation avec Cuba n’est pas le principal enjeu qui définit le vote des Cubains habitant aux États-Unis et elle ne figure même pas parmi les grandes raisons qui les ont poussés à aller voter. D’après le sondage Latino Decisions, les principales préoccupations des hispano-américains de Floride sont la pandémie du corona(52 %), l’emploi et l’économie (44 %) et le coût des soins de santé (28 %). D’autres analystes ont constaté que, même chez les personnes les plus réceptives à la rhétorique anticubaine du gouvernement Trump, la peur du Covid était plus grande que la haine du gouvernement de La Havane.
Qu’en est-il de la voix mexicaine, soviétique ou chinoise ?
Il n’existe donc pas de « vote cubain » unique et ce constat vaut également pour toutes les communautés d’immigrés des États-Unis, quelle que soit leur taille. L’émergence et la longévité de cette idée sont liées à la politique d’État appliquée contre Cuba depuis 60 ans, qui est tout à fait distincte de celles appliquées aux autres nations du monde. L’émigration cubaine vers les États-Unis est une conséquence directe de cette politique.
Il n’y a pas non plus de « vote mexicain », alors que cette communauté est concentrée dans des territoires qui ont changé de souveraineté par le passé. De même, malgré la forte hostilité manifestée durant la Guerre froide à l’égard de l’ex-URSS et de la Chine, deux pays d’où sont partis des flux migratoires vers les États-Unis, il n’existait aucun « vote soviétique » ou « vote chinois ».
La place particulière des Cubains américainsLa « voix cubaine » est politiquement conditionnée. Comme dans tout groupe social important, il y a parmi les Cubano-Américains des personnes qui se sont consacrées à la politique locale pendant que les autres étaient occupées à survivre. À partir des élections de 1980, une relation opportuniste s’est créée entre le Parti républicain et une élite cubano-américaine qui a négocié sa place et ses accès au sein de l’appareil gouvernemental américain, en échange d’un quota de voix. Depuis, les républicains comme les démocrates courtisent la communauté cubaine, mais seulement en Floride. Un groupe non négligeable de Cubains vit à New York ou dans le New Jersey ; pourtant, on y parle rarement d’un « vote cubain ».
Dans de nombreux États des États-Unis, le résultat d’un scrutin dépend d’un nombre marginal de voix. Le fait qu’un groupe ayant une identité similaire s’exprime en faveur d’un candidat plutôt que d’un autre lors d’élections peut faire la différence, comme nous le constatons actuellement au vu du différend sur la Géorgie et la Pennsylvanie et de son rôle déterminant dans la désignation du prochain président des États-Unis. Les Cubains ont fait bloc à maintes reprises pour continuer à bénéficier de fonds fédéraux, tout comme le font les Portoricains ou les Haïtiens vivant en Floride.
Depuis 1980, les républicains ont conquis les médias cubano-américains et s’y sont installés, aux dépens des Démocrates. Une partie de la faiblesse des démocrates tient au fait que ses principaux dirigeants approuvent ou tolèrent la politique nationale d’affrontement avec Cuba, qui se traduit soit par des pressions soit par des rapprochements sous le drapeau de la « démocratisation ». Les démocrates du sud de la Floride reprennent presque mot pour mot les propos hostiles de leurs collègues républicains envers Cuba. Ils se font passer pour aussi durs qu’eux et finissent par négliger et repousser les nouvelles générations de Cubains, qui sont largement majoritaires et ne souhaitent pas recevoir de fonds de programmes liés à un « de régime ».
En se concentrant sur ce tout petit groupe d’électeurs, les deux partis négligent à l’échelle nationale le point de vue de larges franges de l’électorat américain qui sont en faveur d’une relation aussi normalisée que possible avec Cuba et qui ont des intérêts concrets dans les affaires, la science, la culture, les relations universitaires, la santé et d’autres secteurs.
Pendant ce temps à Cuba Après que les médias ont proclamé Joe Biden vainqueur des élections américaines de 2020, le président cubain Miguel Díaz-Canel a twitté : « Nous saluons le fait que, lors de cette élection présidentielle, le peuple américain a choisi une nouvelle voie. Nous croyons en la possibilité d’une relation bilatérale constructive et respectueuse de nos différences. » En tout cas, le départ imminent de Trump satisfait de nombreux Cubains. Ils espèrent que les relations entre les deux pays seront restaurées et que les touristes américains reviendront sur l’île.1www.cubadebate.cu/opinion/2020/11/06/diez-apuntes-sobre-el-voto-cubano-en-florida/2https://www.miamidade.gov/district08/releases/2019-05-21-com-levine-cava-condemns-cuban-regime-for-discriminating-against-lgbtq-community.asp3https://www.miamiherald.com/news/politics-government/article238048054.html