L’Équateur se fait parfois appeler « l’épicentre de la pandémie de coronavirus en Amérique latine ». Comment se fait-il que le coronavirus frappe si durement ce pays? Le système de santé est totalement submergé et menace d’imploser, en raison de l’augmentation du taux de mortalité et du nombre d’infections dans tout le pays. Mais où la politique du gouvernement du président Lenín Moreno a-t-elle échoué?
Le point sur la situationSelon les chiffres de l’université John Hopkins, le 6 mai, 1 569 personnes étaient décédées du coronavirus en Équateur, et le pays comptait plus de 31 881 infections confirmées. En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’Équateur, dont la population ne s’élève qu’à 17 millions d’habitants, compte, par habitant, l’un des nombres les plus élevés de cas de COVID-19 et de décès dus à cette maladie. Il se pourrait toutefois que la réalité soit bien pire. La courbe continue à grimper chaque jour, en tout cas.
L’épidémiologiste et chercheur équatorien Esteban Ortiz estime que le nombre élevé d’infections dans son pays peut s’expliquer par un élément socioculturel. Selon lui, les Équatoriens constituent les principales communautés d’immigrants en Espagne, et de nombreuses familles de ces émigrants sont retournées en Équateur, surtout au début de l’année 2020. La « patiente 0 » est une Équatorienne de 71 ans, qui est rentrée le 14 février de Torrejon de Ardoz, près de Madrid. Le virus lui a été fatal.
Les chiffres officiels du nombre de personnes infectées par le COVID-19 et décédées de cette maladie en Équateur ne sont pas un reflet fidèle du nombre réel d’infections. Des tests ne sont effectués que dans trois des vingt-quatre provinces. La population a été privée de son droit à la santé, en plus de son droit à l’information. Le secteur funéraire s’effondreAu cours des deux dernières décennies, l’Équateur a survécu à pas moins de trois épidémies, et une pandémie : à la Dengue (grippe tropicale), au Chikungunya, au zika et au virus AH1N1. L’Équateur a donc déjà acquis une certaine expérience des maladies infectieuses dangereuses.
Cette fois, cependant, la bataille a des allures de « mission impossible », quand on voit les images de Guayaquil, la deuxième plus grande ville d’Équateur. Il est logique que la ville la plus peuplée du pays soit aussi la plus touchée. Ces dernières semaines, des vidéos et des témoignages ont été diffusés, montrant des corps gisant dans les rues pendant des jours sous le soleil tropical, sans que personne ne puisse les emporter et les enterrer.
Le secteur funéraire s’est littéralement effondré en quelques jours. Le président a dû mettre lui-même sur pied une taskforce pour ramasser les dépouilles et les enterrer. Là où cela ne se faisait pas, la famille devait souvent s’armer d’une pelle et enterrer elle-même les victimes.
Une jeune femme du sud-est de Guayaquil témoigne anonymement : le corps de son père, mort dans ses bras, a dû rester dans sa maison pendant 24 heures.« Ils ne l’ont jamais testé pour le coronavirus. Ils nous ont juste dit qu’ils pouvaient organiser une consultation, pour que nous obtenions du paracétamol. Nous avons dû faire enlever sa dépouille de notre maison par des gens venus donner un coup de main. Tout ça parce que nous n’avons reçu aucune réponse des autorités. On se sent impuissant quand on voit son propre père dans cet état, et qu’on doit appeler les voisins pour obtenir de l’aide. » Le droit à la santé retiré et privatiséL’effondrement du système de santé en quelques semaines ne peut s’expliquer que par des causes structurelles. L’Équateur est confronté à une crise économique depuis plus de cinq ans, qui causera indubitablement encore d’importants dommages économiques et sociaux.
Depuis le 2 octobre 2019, les réformes sociales et économiques du président Lenin Moreno font l’objet de protestations massives : le président a obtenu 3,8 milliards d’euros du FMI, en échange d’une austérité néo-libérale au détriment de la population. Aujourd’hui, le président Moreno frappe à nouveau à la porte du FMI pour demander 2 milliards de dollars, afin de lutter contre la crise sanitaire.
Le sous-financement et la corruption sont les principaux coupables de la déroute du système de sécurité sociale. Ce système était en crise depuis longtemps, ce qui se traduisait par des soins de santé médiocres. Seules les classes moyenne et supérieure avaient accès à des soins de qualité. Le gouvernement de Moreno était en train de privatiser davantage le système de soins de santé. Il a procédé à d’importantes coupes budgétaires dans ce but. Les investissements publics dans ce secteur ont radicalement diminué, passant de 306 millions de dollars en 2017, à 130 millions de dollars en 2019. Pendant les dernières vacances de Carnaval (du 22 au 25 février), 2 500 à 3 500 travailleurs des soins de santé ont reçu leur préavis. C’est ce qui a motivé l’organisation de protestations par le syndicat du secteur de la santé, Osumtransa.
L’Institut international néerlandais d’Études sociales a confirmé que 3 680 personnes ont été licenciées au sein du ministère équatorien de la Santé, rien qu’en 2020, ce qui représente 4,5 % de son effectif total. De plus, l’Équateur a mis fin à l’accord avec Cuba en novembre 2019, qui permettait aux travailleurs des soins de santé équatoriens de se faire prêter main forte par 400 collègues cubains.
Le droit à la santé a ainsi été sapé, pour la classe ouvrière, et certainement pour d’autres groupes vulnérables tels que les personnes âgées, les vendeurs informels, etc. Plus de 60 % des 8 millions d’Équatoriens économiquement actifs ont des revenus inférieurs au salaire minimum, et ne se préoccupent que de leur survie, au sens littéral du terme. La ville compte 22 000 vendeurs indépendants, qui ne sont pas autorisés à utiliser leur Licencia Única de Actividades Económicas (LUAE) pendant la période de quarantaine, qui vise à prévenir la propagation du coronavirus. « Réfléchissez avant d’économiser sur la santé »
Rester les bras croisés n’est pas une option pour résoudre ce problème mondial, surtout quand il s’agit d’un virus qui se propage de façon incroyablement rapide et sournoise. Il faut donc agir. Seulement, cela ne semble pas être l’attitude du sommet du gouvernement Moreno. La pandémie a d’abord été minimisée pendant trop longtemps, et lorsque la courbe s’est accélérée trop rapidement, aucune mesure forte n’a été prise. Indignée, la ministre de la Santé a aussi démissionné, car elle n’a reçu aucun budget supplémentaire pour la lutte contre le COVID-19.
Des années d’austérité et son laxisme auront coûté à Moreno sa popularité, dont la cote s’est effondrée dans les récents sondages. Son score n’est plus que de 12 à 15 %, soit l’un des pourcentages les plus bas pour un président, depuis la démocratisation de l’Équateur en 1979. Elle reflète un problème grave, alors que plusieurs organisations sociales et de la société civile font tout leur possible pour lutter contre la pandémie et la misère dans la population. L’espoir fait vivreLa solidarité internationale fait vivre. Ce petit projet en est un bon exemple : les migrants équatoriens en Allemagne ont lancé une campagne de collecte de fonds pour soutenir le travail communautaire à Guayaquil. Leur but est de réunir 15 000 euros, dont environ 4 000 euros ont déjà été collectés. Vous trouverez plus d’informations sur cette page. Il existe encore d’autres initiatives de ce genre.
Autres nouvelles encourageantes dans une communauté indigène du nord de Quito, à San José de Cocotog : là-bas, les organisations sociales et les bénévoles font la différence pour les petits et les grands. La reine ou la Reina de la communauté joue un rôle important pour tous les habitants. En collaboration avec des bénévoles de la communauté, elle a organisé une collecte de vivres, qu’ils ont distribués aux groupes les plus vulnérables. À côté de ça, John Loachamin a développé un personnage virtuel, « Cocobot », avec lequel les habitants de San José de Cocotog peuvent tchatter, pour se tenir informés sur le COVID-19. Les conseils paroissiaux de Zámbiza et de Llano Chico ont reçu une aide sous forme de rations alimentaires. Ils ont collaboré avec les pompiers de Quito pour désinfecter les routes principales.
San José de Cocotog est connu pour sa vie agricole rude, mais à cause des mesures de quarantaine, il est impossible de continuer à travailler dans les champs. C’est pourquoi le ministère de l’Agriculture prévoit de fournir aux habitants des semences de plantes à cycle court, telles que des légumineuses et des légumes, qu’ils pourront planter sur leur parcelle de terre. Les populations locales recevront ainsi des semences de betteraves, de laitues, de tomates, de poivrons, d’oignons, de brocolis, de choux-fleurs, de coriandre, de céleris, etc. De cette façon, on s’assure aussi du fait que les gens aient des occupations utiles chez eux. Sources :BBC News Mundo (Équateur)CEPR (Center for Economic en Policy Research)COVID-19 Dashboard by the Centre for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopkins University (JHU)