Les patients cubains du Covid-19 n’auront pas droit aux respirateurs suisses, sur ordre des Etats-unis, à l’instar d’autres équipements médicaux. Mais le blocus exercé depuis la Suisse est aussi financier. Huit organisations suisses dénoncent «un blocus qui met en danger la vie de nombreux Cubains». Al la fin de cet article aussi une mise a jour intéressante de la situation interne de CubaDouble peine pour Cuba. Alors que le pays mobilise actuellement des efforts importants contre le coronavirus à l’intérieur de ses frontières (lire ci-dessous) et bien au-delà, il doit aussi faire face au renforcement du blocus imposé par Washington et à ses effets extraterritoriaux. Parallèlement aux difficultés d’approvisionnement en nourriture, carburant et devises internationales, le gouvernement cubain se voit maintenant refuser des commandes de respirateurs artificiels et d’autres équipements médicaux nécessaires à la lutte contre le Covid-19. Diverses organisations suisses de solidarité avec l’île sont, elles, de plus en plus entravées dans leurs activités. Pas étonnant, puisque l’offensive de Washington contre Cuba passe toujours plus par la Suisse.
Invoquant les sanctions commerciales, financières et économiques étasuniennes, les entreprises helvétiques IMT Médical AG et Acutronic Médical Systems AG ont refusé de livrer à l’île des ventilateurs de haute technologie, essentiels pour le traitement des patients touchés par le coronavirus, a communiqué à mi-avril le Ministère cubain des relations extérieures. Ces deux sociétés qui se décrivent comme des «leaders mondiaux» dans le développement et la fabrication de ces équipements ont pourtant fait affaire avec Cuba par le passé. Mais rachetées par la société étasunienne Vyaire Medical Inc il y a deux ans, elles auraient récemment reçu l’ordre de suspendre toutes leurs relations commerciales avec l’île.
Aide d’urgence bloquéeContactées par notre rédaction, les deux firmes n’ont pas pu donner suite. Et pour cause: leur département de communication, seul habilité à se prononcer, a été délocalisé aux Etats-Unis.
Les autorités cubaines ont également annoncé la semaine dernière qu’un envoi d’aide d’urgence offert par une fondation chinoise pour lutter contre le Covid-19 avait été bloqué. La société de fret n’a pas accepté d’expédier ce matériel à Cuba, sous prétexte que son principal actionnaire est une société étasunienne soumise à l’embargo commercial sur Cuba. «Bien que l’île dispose d’un système de santé efficace et d’une solide expérience dans la lutte contre les épidémies, le blocus des Etats-Unis fait peser un fardeau énorme sur le pays et met en danger la vie de nombreux Cubains», déplorent huit organisations suisses qui ont signé cette semaine un communiqué de presse alarmant.
Censurer même le nom CubaSelon la Centrale sanitaire Suisse romande, Solifonds, Medico International Schweiz et cinq organisations spécialisées dans le soutien à l’Amérique latine, «l’effet extraterritorial renforcé du blocus entrave et rend plus coûteuses les relations économiques et commerciales de Cuba avec presque tous les pays du monde, y compris la Suisse». Ce malgré le fait que le gouvernement helvétique entretient des relations historiques d’amitié et de coopération avec Cuba, relèvent les signataires.
Si, depuis septembre passé, les banques helvétiques avaient suspendu tous les paiements internationaux vers Cuba, «un niveau supérieur d’arbitraire a été atteint», soulignent les ONG. L’UBS, la Banque Cler et la Banque cantonale bâloise ont en effet refusé des transferts de dons entre établissements locaux effectués par leurs clients, partisans de mediCuba-Suisse et de l’Association Suisse-Cuba, simplement à cause de la mention du nom de l’île dans la transaction. Ces dons étaient destinés à soutenir le projet d’aide d’urgence #CubavsCovid19, qui vise à récolter des fonds pour livrer des réactifs de test et des équipements de protection qui font défaut à l’île.
Ponce Pilate fédéralD’autres solutions sont en train d’être trouvées afin que ces organisations de la société civile suisse puissent mener à bien ce projet. Mais «une telle action est tout simplement inacceptable et viole les droits et libertés des citoyens suisses», dénoncent les organisations signataires qui demandent que la Suisse prenne des mesures. D’une part «pour que Cuba puisse acquérir les équipements nécessaires à la lutte contre le Covid-19 auprès des fournisseurs helvétiques habituel», et d’autre part «pour que les banques suisses n’empêchent pas le transfert des dons des citoyens suisses à leur intention». Plus largement, elles exigent que la Suisse ne soit pas «complice de cette politique étasunienne illégale et criminelle».
Si la Banque cantonale de Bâle n’a pas répondu à nos sollicitations, la Banque Cler a elle confirmé qu’elle refusait tout paiement en lien avec Cuba au vu des sanctions de l’OFAC, organisme de contrôle des actifs étrangers qui dépend du Département du trésor des Etats-Unis. Du côté d’UBS, on allègue également qu’«en tant que banque active au plan mondial, elle est tenue de se conformer à de nombreuses exigences légales et réglementaires. En matière de sanctions, UBS a défini une norme appliquée dans l’ensemble du groupe et qui, en l’état, respecte en tout cas les sanctions actuellement prises par la Suisse, l’ONU, l’Union européenne et les Etats-Unis ».
Une réponse ambiguë, car tant la Suisse, l’ONU que l’UE condamnent l’embargo sur Cuba, ce que nous a confirmé le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Cependant, relève son porte-parole, «les entreprises privées suisses, y inclus les banques, sont seules responsables d’estimer les risques juridiques et de réputation liés à leurs opérations commerciales. Le gouvernement fédéral ne peut pas obliger les entreprises privées à effectuer certaines livraisons ou certains paiements, même dans le domaine humanitaire.»
Même son de cloche à l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA), qui ne sent pas concernée par les réclamations de ces organisations suisses: «Il s’agit de relations de droit privé, entre des clients et leurs banques, ou avec des entreprises qui sont libres de vendre ou non.»
Humanitaire à mi-tempsUne impuissance qui heurte la faîtière des principales ONG de Suisse, Alliance Sud. Interpellé par notre rédaction, son porte-parole, Daniel Hitzig, déplore que le caractère humanitaire et la neutralité helvétiques soient désormais invoqués «au cas par cas, tant qu’ils correspondent au mainstream du camp occidental ou aux règles imposées par les Etats-Unis».
Cuba se (dé)batQuarante-deux jours après l’arrivée du Covid-19 à Cuba, 1189 cas confirmés et quarante décès sont comptabilisés par le Ministère de la santé publique. Selon les pronostics, un plateau devrait être atteint à Cuba durant les deux premières semaines de mai. Un bilan plutôt encourageant si l’on en croit ces chiffres, rendu possible par des mesures drastiques mises en place rapidement, que l’on peut regrouper en trois axes: prévention, traitement et information.
Mesure phare, l’île pourtant fortement dépendante du tourisme a fermé ses frontières. Ecoles, centres culturels, restaurants et grands magasins ont suivi, tout comme la suspension de tous les transports interprovinciaux, les consignes de distanciation physique et le couvre-feu à respecter sous peine de sanctions. Les masques, la plupart du temps confectionnés artisanalement au sein des foyers et réutilisables, sont obligatoires.
Surtout, il y a la visite systématique et régulière de docteurs et d’étudiants en médecine dans tous les foyers de l’île grâce au système décentralisé de santé publique. S’enquérant de l’état des résidents et distribuant de l’homéopathie censée renforcer les défenses immunitaires, le personnel de santé mobile peut ainsi orienter la population tout en ayant un œil sur «le terrain».
Ensuite, le traitement: des tests massifs sont réalisés et les patients suspects sont automatiquement mis en quarantaine, tout comme leurs proches. Ce traçage et cette politique d’isolement semblent avoir permis un certain contrôle des nouvelles infections. Ainsi, la province de Granma qui comptabilisait dix cas à la fin mars n’a pas connu de nouveaux infectés. Ajoutons la mise en quarantaine de quartiers entiers et la décontamination des rues au moyen de nettoyeurs à haute pression et de chlore.
Des mesures économiques et sociales sont venues accompagner ce plan. Les denrées alimentaires auparavant destinées aux touristes sont maintenant vendues à la population à des prix accessibles, de manière rationnée pour assurer un approvisionnement équitable.
Malgré cette mesure, l’accès à des produits alimentaires et sanitaires, déjà compliquée en temps normal à l’aune du blocus, est désormais d’autant plus difficile. Il n’est pas rare, surtout dans les grandes villes, de devoir faire la queue pendant 2 à 3 heures pour faire ses courses. Dans ce contexte, la décision du gouvernement de suspendre temporairement les factures d’électricité, de gaz et d’eau a représenté un grand soulagement pour la population.
Enfin, dernier pan de ce programme d’urgence, l’information: chaque jour, le décompte des cas infectés, récupérés, suspectés ou décédés est rendu public. Des conférences de presse sont organisées régulièrement pour tenir la population informée de la situation dans le pays, mais aussi pour donner des nouvelles des brigades de médecins cubains parties en renfort aux quatre coins du monde. De plus, l’accès à internet est devenu moins coûteux à certaines heures.
Les fake news sont identifiées et expliquées, à l’image de ce photo-montage qui montrait de présupposés camions-morgue parqués devant un hôpital havanais. Sur les réseaux sociaux, la tâche est ardue. Des appels à occuper la rue de manière massive pour manifester contre le gouvernement cubain, certes isolés mais répétitifs, circulent. Des opposants au régime, depuis ou hors de Cuba, profitent de la situation de crise pour demander une «aide humanitaire» à l’image des opposants vénézuéliens anti-Maduro l’an dernier.
Le Courier