En Europe, les réactions aux nouvelles en provenance de Wuhan ont été aussi tardives qu’incohérentes. À l’inverse, Cuba a mis sur pied un plan de prévention complet avant même que les premières infections ne soient détectées. Pour le moment, la maladie est sous contrôle sur l’île, qui a même la capacité d’aider les victimes du coronavirus dans d’autres pays, notamment l’Italie. Comment font-ils ? « Nous avons la responsabilité de préserver la vie et la santé de nos concitoyens et, en même temps, de nous montrer solidaires avec ceux qui ont besoin de soutien dans le monde entier […] car nous avons toujours dit qu’il ne peut être question de ‘Patrie’ sans ‘Humanité’. »- Le président cubain Miguel Díaz-Canel, cette semaine Soins de santé gratuits contre médecine du profitCuba, dont le PIB est dix fois inférieur à celui de la Belgique, est connu pour son excellent système de santé. Tous les soins de santé sont par ailleurs gratuits pour tous les Cubains, en toutes circonstances. 27 % du budget de l’État est consacré aux soins de santé et à l’aide sociale.
Ainsi, le traitement contre le cancer, par exemple, n’est pas un gouffre financier pour une famille à Cuba, alors que c’est souvent le cas en Europe. Chez nous, le coût des soins de santé fait aussi que de plus en plus de gens ne vont pas chez le médecin, faute de moyens.
Prévention et première ligne contre tarifs exorbitants des spécialistesTous les indicateurs de santé à Cuba sont au même niveau que dans l’UE, et largement supérieurs aux valeurs américaines. C’est exceptionnel pour un pays « pauvre » sur le plan économique, et soumis à un blocus de plus en plus sévère. L’efficacité de ce système de santé repose sur un réseau national qui consacre des ressources principalement à la prévention et à la détection précoce. Les écoles et les comités de quartier sont également impliqués dans l’éducation à la prévention et à la détection. Tout ceci a une incidence sur le suivi médical.
Chaque quartier a son « medico de la familia », un cabinet de médecine généraliste où un médecin et un.e infirmier.ère se chargent des consultations. Les personnes qui ne se rendent pas au cabinet bénéficient, elles aussi, au moins une fois par an d’une consultation à domicile du généraliste, à titre préventif. Cette visite a lieu deux fois par an pour les personnes de plus de 65 ans. Les personnes qui ont besoin d’un traitement sont envoyées dans les polycliniques où toutes les principales spécialisations sont représentées. Outre les urgences, ces polycliniques sont le seul moyen pour les Cubains d’être hospitalisés si nécessaire.
Les maladies étant détectées à un stade précoce et traitées rapidement, seuls les patients qui en ont vraiment besoin sont hospitalisés. Le nombre de jours d’hospitalisation par habitant est dès lors beaucoup plus bas que chez nous, ce qui diminue également le coût des soins de santé.
Les médecins : fonctionnaires de l’État contre entrepreneurs indépendantsÀ Cuba, les études sont gratuites, notamment celles de médecine. En comparaison avec la Belgique, le nombre de jeunes qui se lancent dans ces études est beaucoup plus élevé, sans que les médecins ne craignent pour autant de voir leurs revenus diminuer parce qu’ils sont trop nombreux sur le « marché ».
Dans la mesure où il y a suffisamment de médecins généralistes à Cuba, ils n’ont pas à subir des journées de travail de 12 ou 14 heures comme c’est apparemment la norme dans certains hôpitaux belges. De toute façon, travailler trop, et compromettre ainsi la qualité des soins, n’apporte aucun revenu supplémentaire. Tous les médecins perçoivent un salaire mensuel et non des honoraires à la performance.
Solidarité internationale contre numerus clausus« Notre pays ne donne pas ses surplus mais partage ce qu’il a ».« Seuls les super-héros disent qu’ils n’ont pas peur.
Nous, nous ne sommes pas des super-héros, mais des médecins révolutionnaires »- Leonardo Fernandez, intensiviste cubain en Italie Cuba a l’habitude d’envoyer des contingents de personnel médical dans d’autres pays du Sud. Le week-end dernier, un groupe de médecins cubains a été dépêché en Europe. Cela n’était encore jamais arrivé. Ce groupe a mis sur pied un hôpital de campagne en Lombardie, et s’appuie sur son expérience dans la lutte contre le virus Ebola en Afrique (2016) pour soigner, en collaboration avec des collègues chinois, des patients gravement atteints du COVID-19. Plus de 60 000 travailleurs de la santé cubains travaillent actuellement dans plus de 60 pays. C’est plus que toutes les ONG internationales réunies. Ils ne se contentent pas d’assurer des consultations et des traitements, mais contribuent également, dans la mesure du possible, à la formation du personnel infirmier et médical. Ils partagent aussi leur expertise en matière de développement de systèmes de santé durables. Cuba paie souvent elle-même les frais liés à cette aide, notamment en cas de catastrophes naturelles ou d’épidémies. Bien que les médias grand public « omettent » souvent de mentionner leur contribution, ces professionnels de santé sont généralement les premiers à arriver et restent aussi plus longtemps sur place que les équipes de secours d’autres pays et celles que l’on voit dans les reportages.
Cuba est parfois payé pour son aide médicale, comme c’était encore récemment le cas au Brésil, jusqu’à ce que Bolsonaro décide d’expulser les médecins cubains. Ces recettes permettent à Cuba de garantir et développer le système de santé de son propre pays et son aide d’urgence gratuite à l’étranger, mais aussi de financer la formation de médecins étrangers à La Havane.
L’année dernière, 500 médecins de 84 pays ont obtenu leur diplôme de l’École latino-américaine de médecine (ELAM) de Cuba, pour la plupart entièrement aux frais de l’État cubain. Fondée en 1999, l’ELAM a formé en 20 ans près de 30 000 médecins provenant de 115 pays, dont 170 des États-Unis. En échange de cela, ces médecins ont pris l’engagement moral de travailler dans une communauté ayant des besoins particuliers, une fois rentrés au pays. Des interférons cubains pour traiter les patients atteints du coronavirusParmi les trente médicaments sélectionnés par la Commission nationale chinoise de la santé pour lutter contre le nouveau coronavirus, on retrouve un antiviral cubain : l’Interferon Alfa 2b, produit en Chine depuis 2003 par l’entreprise cubano-chinoise ChangHeber.
Ce médicament permet d’éviter les complications et l’aggravation du tableau clinique chez les patients. Il ne s’agit donc pas d’un vaccin, mais d’un médicament servant à atténuer les effets de la maladie. Plus de 15 pays ont demandé à Cuba le droit d’utiliser ce médicament, déjà employé au Venezuela, au Panama et au Costa Rica. Le contingent de médecins arrivé récemment en Lombardie en a également apporté.
Industrie pharmaceutique publique contre grandes firmes privées ultrabénéficiairesLe gouvernement cubain a ouvert le Centre de génie génétique et de biotechnologie (CIGB) dans les années 1980. Ce centre de recherche se charge de l’ensemble du cycle scientifique, de la recherche initiale à la production et à la commercialisation des médicaments. Il vise en premier lieu à créer des médicaments abordables destinés au système de santé publique cubain.
Le développement de l’industrie pharmaceutique et biotechnologique cubaine est en plein essor : aujourd’hui, 569 des 857 produits figurant sur la liste des médicaments cubains sont fabriqués dans le pays. BioCubaFarma a été créée en 2012. Cette agence de coordination supervise les 31 sites de production et de recherche et développement (R&D) des secteurs pharmaceutique et biotechnologique.
Certains produits sont toutefois commercialisés afin de permettre au centre de financer ses propres recherches. Cuba exporte actuellement des produits pharmaceutiques et biotechnologiques vers une cinquantaine de pays.
Ainsi, ces produits sont également accessibles à plus de cinq milliards de personnes dans le monde qui n’ont tout simplement pas les moyens de se procurer la plupart des médicaments des sociétés pharmaceutiques classiques. Même pour ces ventes commerciales de produits pharmaceutiques de haute qualité à l’étranger, Cuba applique des prix solidaires. Au lieu d’aboutir dans les poches des PDG et des actionnaires, les bénéfices de ces ventes sont investis pour maintenir la gratuité et la qualité des soins de santé publique pour tous à Cuba.
En Occident, ce sont les intérêts commerciaux des multinationales qui décident du développement et de la production de médicaments. Ou de leur arrêt s’ils n’offrent pas de perspectives de profit direct. Cuba, en revanche, ne développe que des produits répondant aux besoins sanitaires des Cubains, mais également à ceux d’innombrables personnes dans le Sud.
Plan national de lutte contre le coronavirus dès janvier contre attente des premiers casCuba n’a pas attendu les premières infections pour mettre en place un plan national cohérent de lutte contre le COVID-19, basé avant tout sur des tests ciblés, alors même que le pays manque cruellement de ressources. Dès janvier, le gouvernement a lancé une campagne de sensibilisation auprès de la population. Des réunions d’information ont été organisées dans les quartiers afin que les Cubains soient conscients dès le début de l’importance des mesures de prévention. De nombreux bénévoles ont été déployés pour sensibiliser et informer leurs voisins et collègues en porte-à-porte.
Au lieu de multiplier les déclarations politiques floues ou sévères, les élucubrations pseudo-scientifiques sur la constitution d’une immunité de groupe, ou encore de relativiser, le gouvernement cubain a opté pour une communication claire dès le départ, sans semer la panique. Cette approche précoce coordonnée repose principalement sur la structure et les principes des soins de santé cubains : participation, prévention et progressivité (personne ne peut aller consulter un spécialiste de sa propre initiative), ainsi qu’une coordination centralisée.
Le tourisme international est totalement interdit depuis le 24 mars. Les 60 000 touristes encore présents dans le pays sont rapatriés. Cela n’a pas été une décision facile à prendre, dans la mesure où le tourisme est une source de revenus essentielle pour le pays.
Bien sûr, Cuba n’a pas été épargné par le coronavirus. À l’heure actuelle (24 mars), 39 cas ont été détectés, et 21 personnes hospitalisées. Deux patients sont dans un état critique et un décès (celui d’un Italien) est à déplorer. Cuba, comme la Belgique, compte environ 11 millions d’habitants.
Cuba a été le seul pays à répondre positivement à l’appel à l’aide du Braemar, la semaine dernière, un bateau de croisière britannique frappé par l’épidémie de coronavirus. Tant les États-Unis que plusieurs pays des Caraïbes avaient refusé, des jours durant, à ce navire d’accoster chez eux. Tous les passagers ont finalement pu débarquer dans le port de Mariel (La Havane) et ont été conduits en bus et en ambulance à l’aéroport, d’où ils ont pu s’envoler pour le Royaume-Uni.
Au vu de tous ces exemples, on ne saurait que trop conseiller, voire imposer, aux experts et politiciens européens l’étude de l’approche cubaine en matière de soins de santé.