Nouveaux et anciens combats pour les LGBTI+ à Cuba

Julie Steendam – membre Cubanismo.be séjournant à Cuba depuis six mois – s’est entretenue il ya deux semaines avec Teresa Fernandez, coordinatrice nationale du réseau des femmes lesbiennes cubaines et rédactrice pendant cinq ans du magazine de Cenesex, le centre national d’éducation sexuelle. À l’invitation de Cubanismo.be, le 23 mars, Teresa prendra la parole dans le ‘Rainbow House’ a Bruxelles 19h Entrée gratuit, rencontrez la.

On se rencontre pour la troisième fois au siège de Cenesex, une grande maison blanche entourée d’un patio accueillant où différentes personnes bavardent en permanence. Des femmes aux cheveux courts avec leurs abuelas, des femmes à barbe portant des robes élégantes, un homme plus âgé avec un petit chignon sur la tête, un gardien qui semble sortir d’une carte postale de la campagne cubaine; Tout le monde se salue chaleureusement en s’envoyant des baisers et de « Te quiero ». C’est un endroit où il n’y a aucune place pour la haine.

Je suis un peu nerveuse parce que c’est ma première interview en espagnol. Pendant que j’attends dans un rocking chair en fer blanc, je fais vite quelques recherches sur Google Translate : « droits égaux », « interdiction », « homosexuel », « stratégie », « constitution », « ne figure pas », je soupire : c’est dire à quel point je suis préparée.

Comme lors de nos deux précédentes rencontres, Teresa est chaleureusement accueillie par tous ceux qu’elle croise avant de me rejoindre. Elle porte un gros carton rempli de papiers. C’est le tout premier livre sur la situation des femmes non hétérosexuelles à Cuba, et elle a participé à sa rédaction. Nous nous installons dans l’agréable fraîcheur de la bibliothèque et Teresa me rassure immédiatement par son élocution lente et structurée.

La semaine dernière, j’ai participé à une « Journée de la maternité et de la paternité responsables », organisée par Cenesex. Nulle autre que la réalisatrice Marielle Castro, fille de l’ex-Président Raul Castro, a initié cette journée qui marque le début d’une série d’activités pour aider les familles à orienter l’éducation de leurs enfants. Nous visionnons en primeur quelques films d’animation de la campagne sur les réseaux sociaux. Lorsqu’une brève vidéo montre un fils refusant de se lever malgré les exhortations répétées de sa mère, des rires fusent dans la salle, tant les gens se reconnaissent dans cette situation. La campagne est centrée sur l’éducation de la nouvelle génération de Cubains à une plus grande autonomie : pour qu’ils fassent leurs devoirs d’eux-mêmes, prennent le bus, arrivent à l’école à l’heure. Dans son discours, Castro souligne qu’elle dit délibérément « hijo, hija o hije », parce qu’elle veut reconnaître tous les genres d’enfants possibles.

Cette appellation illustre bien la façon dont Cenesex travaille à la normalisation de la diversité au sein de la vie familiale à Cuba. Teresa raconte avec fierté que le réseau qu’elle coordonne compte désormais – après quelques années d’existence seulement – des groupes de bénévoles dans presque toutes les provinces du pays. À travers tout ce qu’elle dit, je comprends que la principale stratégie de l’organisation est la diffusion de connaissances scientifiques correctes pour mettre fin à la discrimination à l’encontre des personnes LGBTI+ dans les écoles, sur le lieu de travail et dans la société cubaine en général. Les groupes de bénévoles locaux fonctionnent en outre comme observateurs et peuvent fournir une assistance juridique.

Dans le hall d’entrée se trouve un tableau d’affichage illustrant tout à fait l’espérance d’il y a quelques années, lorsque toute la population cubaine discutait d’une nouvelle constitution. Un autocollant de la période de cette campagne dit « Cuba est prête, la révolution est de plus en plus inclusive » , un autre « Tous les droits pour toutes les familles ». Cette campagne de Cenesex, en collaboration avec le gouvernement cubain, visait à faire inclure le mariage et la parentalité entre personnes de même sexe dans la constitution. Elle réaffirme le changement de cap du Parti communiste cubain, qui lui-même a combattu l’homosexualité jusqu’il y a quarante ans. Néanmoins, le mariage entre deux femmes ou deux hommes n’est toujours pas possible, et il n’est toujours pas permis aux couples de même sexe d’adopter ou d’avoir une grossesse en toute sécurité. « Les couples de lesbiennes cherchent des solutions, mais s’exposent évidemment à des situations potentiellement dangereuses ».

Malheureusement, à l’approche du référendum constitutionnel, une autre affiche a été omniprésente dans les rues : elle représentait une mère, un père et deux enfants, et portait le message : « C’est comme ça, une famille». Et cette campagne-là a eu du succès : l’amendement constitutionnel n’a pas été accepté. Teresa explique que depuis les années 1990, le fondamentalisme religieux a connu un très grand essor à Cuba : il s’agit principalement de groupes méthodistes et évangélistes, ou de membres de la communauté pentecôtiste (Pentecostales).

Ce n’est pas un hasard si cet essor a coïncidé avec la Période Spéciale. « Le gouvernement a dû choisir ses priorités et n’a pu se concentrer suffisamment sur les groupes religieux, qui dès lors ont pris pour cibleles couches les plus pauvres de la population », explique Teresa. « Ils commencent par distribuer de la nourriture et des médicaments, puis ils se mettent à organiser des gens qui n’ont aucune formation théologique et qui lisent la Bible en dehors de tout contexte historique. Leur discours se fait de plus en plus agressif, ils font aussi campagne contre l’émancipation des rôles de genre en général ». Elle explique encore que cette évolution a lieu dans toute l’Amérique latine, où les valeurs conservatrices primitives gagnent à nouveau du terrain. Le sexisme de Bolsonaro en est malheureusement la pire illustration.

Selon Teresa, ces églises sont sans aucun doute soutenues de l’extérieur. « Pour mener ces campagnes, tant dans les quartiers que sur les réseaux sociaux, elles doivent disposer d’importantes ressources financières ». Comme cela m’inquiète, je demande comment le gouvernement envisage de combattre ces groupes. Je suggère une sorte de censure, ce qui me semble être quasiment le seul moyen de tuer dans l’œuf un discours aussi haineux. Teresa secoue la tête. « Notre combat se nourrit d’informations correctes. Voilà ce que nous faisons. Notre défi consiste à ce que la discussion sur la diversité des genres fasse partie de chaque programme d’études dans toutes les écoles, que les travailleurs de la santé assistent à nos ateliers, que les gens puissent lire nos publications, qu’ils participent à nos représentations cinématographiques et théâtrales ».

Je demande s’ils coopèrent aussi avec des groupes religieux. Teresa explique que les groupes fondamentalistes ne sont pas une option. Mais le Cenesex entretient de bonnes relations avec d’autres groupes, comme les protestants du Centre Martin Luther King Junior et l’Iglesia Communitaria Metropolitana, un groupe issu des États-Unis.

Quand je lui demande si elle est optimiste, Teresa répond : « La nouvelle constitution n’exclut rien et affirme littéralement que personne ne peut être discriminé en raison de son sexe ou de son orientation sexuelle. Nous travaillons actuellement sur un amendement à la loi pour légaliser le mariage entre personnes de tout sexe, et je pense que cela devrait se réaliser dans les deux ans ».

La modification de la loi est nécessaire mais ne suffira certainement pas. Il faut aussi un changement culturel. Tout d’abord, les couples de même sexe doivent pouvoir continuer à vivre paisiblement avec le reste de leur famille. Mais ils doivent aussi se sentir en sécurité en dehors de leur maison : à l’école, sur leur lieu de travail. Et c’est là-dessus que nous devons travailler ».

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