La crise vénézuélienne : Un ancien rapporteur de l’ONU affirme que les sanctions américaines tuent des citoyens

Le premier rapporteur de l’ONU à se rendre au Venezuela depuis 21 ans a déclaré à The Independent que les sanctions américaines contre ce pays sont illégales et pourraient constituer des « crimes contre l’humanité » au regard du droit international.

L’ancien rapporteur spécial Alfred de Zayas, qui a terminé son mandat à l’ONU en mars, a critiqué les États-Unis pour s’être engagés dans une « guerre économique » contre le Venezuela qui, selon lui, nuit à l’économie et tue des Vénézuéliens.

Ces commentaires interviennent dans un contexte d’aggravation des tensions dans le pays après que les États-Unis et le Royaume-Uni ont soutenu Juan Guaido, qui s’est auto-proclamé « président intérimaire » du Venezuela alors que des centaines de milliers de personnes ont défilé pour l’appuyer. Les dirigeants européens appellent à des élections « libres et équitables ». La Russie et la Turquie restent les principaux supporters de Nicolas Maduro.

M. De Zayas, ancien secrétaire du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (HRC) [Human Rights Campaign litt. la Campagne pour les Droits de l’Homme NdT] et expert en droit international, s’est adressé à The Independent après la présentation de son rapport sur le Venezuela au HRC en septembre. Il a déclaré que depuis sa présentation, le rapport a été ignoré par l’ONU et n’a pas suscité le débat public qu’il estime mériter.« Les sanctions tuent », a-t-il déclaré à The Independent, ajoutant qu’elles frappent plus durement les personnes les plus pauvres de la société, causent manifestement la mort par manque de nourriture et de médicaments, conduisent à des violations des droits humains et visent à imposer des changements économiques dans une « démocratie sœur ».

Lors de sa mission d’enquête dans le pays fin 2017, il a constaté que la dépendance interne excessive à l’égard du pétrole, la mauvaise gouvernance et la corruption avaient durement frappé l’économie vénézuélienne, mais a déclaré que la « guerre économique » pratiquée par les États-Unis, l’UE et le Canada étaient des facteurs importants dans la crise économique.

Dans son rapport, M. de Zayas recommandait, entre autres, que la Cour pénale internationale enquête sur les sanctions économiques imposées au Venezuela en tant que possibles crimes contre l’humanité en vertu de l’article 7 du Statut de Rome.

Les sanctions américaines sont illégales en vertu du droit international parce qu’elles n’ont pas été approuvées par le Conseil de sécurité de l’ONU, a déclaré M. de Zayas, expert en droit international et ancien avocat principal du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.« Les sanctions économiques et les blocus des temps modernes sont comparables aux sièges des villes de l’époque médiévale.« Les sanctions du XXIe siècle tentent de mettre à genoux non seulement une ville, mais aussi des pays souverains », a déclaré M. de Zayas dans son rapport.

Le Trésor américain n’a pas répondu à une demande de commentaires sur les accusations de M. de Zayas concernant les effets du programme de sanctions.

Les sanctions américaines interdisent le commerce avec des devises émises par le gouvernement vénézuélien. Ils ciblent également les particuliers et empêchent les sociétés ou personnes basées aux États-Unis d’acheter et de vendre de nouveaux titres de créance émis par PDVSA ou par le gouvernement.

Les États-Unis ont déjà défendu leurs sanctions à l’encontre du Venezuela, à travers les propos d’un haut responsable américain en 2018 : « Le fait est que la plus grande sanction sur le pétrole vénézuélien et la production de pétrole s’appelle Nicolas Maduro, et les inefficacités de PDVSA », en référence à l’organisme pétrolier public, Petroleos de Venezuela, SA.

Les conclusions de M. De Zayas sont basées sur sa mission dans le pays à la fin de l’année 2017 et sur des entretiens avec 12 ministres du gouvernement vénézuélien, des politiciens de l’opposition, 35 ONG travaillant dans le pays, des universitaires, des responsables religieux, des activistes, des chambres de commerce et des agences régionales des Nations Unies.

Les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions contre le Venezuela le 9 mars 2015, lorsque le président Barack Obama a publié le décret exécutif 13692, déclarant le pays comme une menace pour sa sécurité nationale.

Les sanctions se sont depuis intensifiées sous la direction de Donald Trump, qui a également menacé d’une invasion militaire et discuté de l’éventualité d’un coup d’État.

Après avoir soutenu M. Guaido le 23 janvier, M. Trump a déclaré : « Je continuerai à utiliser tout le poids du pouvoir économique et diplomatique des États-Unis pour faire pression en faveur du rétablissement de la démocratie vénézuélienne ».

Le Venezuela a également qualifié les sanctions américaines d’illégales. En 2018, le ministre des Affaires étrangères Jorge Arreaza a déclaré qu’elles étaient « folles, barbares et en contradiction absolue avec le droit international ».

Depuis 2015, environ 1,9 million de personnes ont fui le pays et, le 23 octobre 2018, l’inflation a atteint 60 324 %, le nombre de civils tués étant inconnu.

Bien qu’il ait été le premier fonctionnaire de l’ONU à se rendre au Venezuela depuis 21 ans, M. de Zayas a déclaré que ses recherches sur les causes de la crise économique du pays ont jusqu’à présent été largement ignorées par l’ONU et les médias, et ont suscité peu de débats au sein du Conseil des droits de l’homme.

Il pense que son rapport a été ignoré parce qu’il va à l’encontre du discours répandu selon lequel le Venezuela a besoin d’un changement de régime.« Quand je viens et que je dis que l’émigration est en partie imputable à la guerre économique menée contre le Venezuela et en partie imputable aux sanctions, les gens n’aiment pas entendre cela. Ils veulent juste le simple récit que le socialisme a échoué et qu’il a déçu le peuple vénézuélien », a déclaré M. de Zayas à The Independent.« Quand je suis revenu [l’ONU et les médias n’étaient] pas intéressés. Parce que je ne chante pas la chanson que je suis censé chanter, donc je n’existe pas… Et mon rapport, comme je l’ai dit, a été officiellement présenté, mais il n’y a pas eu de débat sur le rapport. Il a été classé. »

Le haut-commissaire de l’ONU de l’époque, Zeid Raad Al Hussein, a apparemment refusé de rencontrer M. de Zayas après sa visite, et le bureau du Venezuela du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a également refusé de l’aider dans son travail après son retour, alors qu’il y était obligé, affirme M. de Zayas.

Il a dit à The Independent que le bureau lui avait réservé une douche froide parce qu’ils craignaient que son rapport, qui est maintenant publié, ne soit trop indépendant.« Ils ne s’intéressent qu’à un rapporteur qui… va faire de la démagogie, condamner le gouvernement et demander un changement de régime. Et j’y suis allé pour écouter. J’y suis allé pour savoir ce qui se passait réellement », a dit M. de Zayas.

Un porte-parole du bureau du haut-commissaire de l’ONU a dit : « Les 56 procédures spéciales – dont Alfred de Zayas faisait partie – sont indépendantes et très nombreuses, de sorte qu’il n’est pas d’usage que le Haut Commissaire les rencontre individuellement pour discuter de leurs rapports. Il lui serait physiquement impossible… de le faire ».

Le porte-parole a déclaré que les actions du bureau en charge du Venezuela sont plus « compliquées » que ce que M. de Zayas a décrit, ajoutant que « l’appel au changement de régime ne nous regarde pas ».

Ivan Briscoe, directeur du programme Amérique latine et Caraïbes pour Crisis Group, une ONG internationale, a déclaré à The Independent que le Venezuela est un sujet polarisant, divisant ceux qui soutiennent le gouvernement socialiste et ceux qui veulent voir un régime plus favorable aux entreprises, aligné sur celui des États-Unis, le remplacer.

Briscoe critique le rapport de M. de Zayas parce qu’il met l’accent sur la guerre économique américaine, mais néglige à son avis de mentionner l’impact d’un environnement commercial difficile dans le pays, qu’il considère comme un symptôme du « Chavisme » et de la faillite des gouvernements socialistes.

Il a déclaré que même si les sanctions étaient levées, le pays ne pourrait pas se remettre sous les politiques gouvernementales actuelles, ajoutant que le rapport de M. de Zayas est le résultat d’un « avocat qui essaie de comprendre la nature de l’offre et de la demande, et cela n’a pas vraiment marché ».

Mais, parlant avant la nouvelle de la tentative de coup d’État de Guaido, Briscoe a reconnu la montée des tensions et la présence probable de personnel américain opérant secrètement dans le pays.« Oui, il se passe quelque chose. Oui, on parle d’une intervention militaire. Ce qui serait une très mauvaise idée. Mais le fait est que le plan a été conçu dans le contexte de la crise humanitaire », a-t-il dit.

Eugenia Russian, présidente de FUNDALATIN, l’une des plus anciennes ONG de défense des droits humains au Venezuela, fondée en 1978 avant les gouvernements Chavez et Maduro et dotée d’un statut consultatif spécial auprès de l’ONU, s’est adressée à The Independent sur l’importance des sanctions.« Etant en contact avec les communautés populaires, nous considérons que l’une des causes fondamentales de la crise économique dans le pays est l’effet des sanctions coercitives unilatérales qui sont appliquées dans l’économie, en particulier par le gouvernement des États-Unis », a dit Mme Russian.

Elle a dit qu’il y a peut-être aussi des causes d’erreurs internes, mais que probablement peu de pays dans le monde ont subi un « siège économique » comme celui avec lequel les Vénézuéliens sont aux prises.

Ces sanctions s’inscrivent dans le cadre d’un effort américain visant à renverser le gouvernement vénézuélien et à mettre en place un régime plus favorable aux entreprises, comme cela a été fait au Chili en 1973 et ailleurs dans la région, a déclaré M. de Zayas.« J’ai vu ce qui s’est passé au Conseil des droits de l’homme, comment les États-Unis tordent le bras et convainquent les pays de voter comme ils le souhaitent, sinon il y aura des conséquences économiques, et ces choses ne sont pas montrées dans la presse », a déclaré l’ancien haut responsable des Nations unies à The Independent.« Ce qui est en jeu, ce sont les énormes, énormes ressources naturelles du Venezuela. Et je sens que si le Venezuela n’avait pas de ressources naturelles, tout le monde s’en ficherait de Chavez, de Maduro ou de qui que ce soit d’autre là-bas », a ajouté M. de Zayas.

Le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole du monde et une abondance d’autres ressources naturelles dont l’or, la bauxite et le coltan. Mais sous le gouvernement Maduro, elles ne sont pas facilement accessibles aux entreprises américaines et transnationales.

Les compagnies pétrolières américaines avaient d’importants investissements au Venezuela au début du XXe siècle, mais elles ont été exclues après que les Vénézuéliens ont voté la nationalisation de l’industrie en 1973.« Si vous écrasez ce gouvernement et que vous mettez en place un gouvernement néolibéral qui va tout privatiser et qui va tout vendre, beaucoup de sociétés transnationales vont réaliser d’énormes profits et les États-Unis sont guidés par les sociétés transnationales », a déclaré l’ancien rapporteur spécial des Nations unies à The Independent.« Les affaires des États-Unis sont les affaires. Et c’est ce qui intéresse les États-Unis. Et ils ne peuvent pas [actuellement] faire affaire avec le Venezuela. »

Dans son rapport, M. de Zayas s’est dit préoccupé par le fait que ceux qui qualifient la situation de « crise humanitaire » tentent de justifier un changement de régime et que les droits de l’homme sont « utilisés à des fins militaires » pour discréditer le gouvernement et rendre un renversement violent plus « acceptable ».

Le gouvernement Maduro est responsable de « la pire crise des droits humains de l’histoire du pays », selon Amnesty.« Le Venezuela traverse l’une des pires crises de son histoire en matière de droits humains. La liste des crimes de droit international contre la population s’allonge », a déclaré fin 2018 Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.« Il est alarmant qu’au lieu d’appliquer des politiques publiques efficaces pour protéger les populations et réduire les niveaux d’insécurité, les autorités vénézuéliennes utilisent le langage de la guerre pour tenter de légitimer l’usage excessif de la force par la police et les responsables militaires et, dans de nombreux cas, l’usage d’une force meurtrière avec intention de tuer. »

La violence éclate alors que les manifestations anti-gouvernementales se poursuivent au VenezuelaM. De Zayas a recommandé un dialogue entre la communauté internationale et les Vénézuéliens pour améliorer leur gouvernement, plutôt que de contraindre le pays par des sanctions et des coups d’État. Il a proposé que les richesses naturelles abondantes du Venezuela puissent l’aider à se rétablir une fois les sanctions levées.« La clé de la solution de la crise est le dialogue et la médiation… Il n’y a rien de plus antidémocratique qu’un coup d’État et rien de plus corrosif pour la primauté du droit et la stabilité internationale lorsque des gouvernements étrangers se mêlent des affaires intérieures d’autres États », a-t-il déclaré à The Independent.« Seuls les Vénézuéliens ont le droit de décider, pas les États-Unis, ni le Royaume-Uni… Nous ne voulons pas que se répète le putsch de Pinochet en 1973… L’urgence est d’aider le peuple vénézuélien par la solidarité internationale – une véritable aide humanitaire et une levée du blocus financier afin que le Venezuela puisse acheter et vendre comme tout autre pays du monde – les problèmes peuvent être résolus avec de la bonne volonté et du bon sens. »

M. De Zayas a depuis signé une lettre ouverte avec Noam Chomsky et plus de 70 autres universitaires et experts, condamnant la tentative de coup d’État soutenue par les États-Unis contre le gouvernement vénézuélien.

Il a qualifié les développements récents de « totalement surréalistes ».

Ms Russian, parlant de la crise économique, dit : « Il est insuffisant de ne voir que les erreurs ou les déficiences que le gouvernement peut avoir, sans voir l’environnement de pression internationale dans lequel vit cette population. »

Source : The Independent, Michael Selby-Green, 26-01-2019Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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