En février 2017, le Conseil électoral national de l’Equateur annonçait que Lenin Moreno, du parti au pouvoir Alianza País et candidat à la présidence, avait obtenu 39 % de voix contre 28,1 % à Lasso, le candidat de la droite. Un deuxième tour étant nécessaire, il aura lieu ce 2 avril.
Comme d’habitude, l’heure est au bilan des dix ans de gouvernance sous Rafael Correa, le président sortant qui ne pouvait pas se représenter. Voici une analyse de Mark Weisbrot, co-directeur du Center for Economic and Policy Research basé à Washington et président du Just Foreign Policy. Il est également l’auteur du livre «
Failed: What the ‘Experts’ Got Wrong About the Global Economy » (Oxford University Press, 2015).
Dans le monde actuel, la souveraineté d’une nation est sous-estimée, notamment dans les médias internationaux, dominés par les points de vue de Washington et de ses alliés. C’est vrai pour ce qui concerne l’économie et la politique, et les conséquences peuvent être lourdes, surtout dans une région comme l’Amérique latine, que les autorités étasuniennes ont longtemps considérée comme leur arrière-cour.
Les élections en Equateur sont observées, voire contestées, par des forces ayant des positions opposées en la matière.À gauche, Lenín Moreno, l’ancien vice-président, et son parti Alianza PAIS (AP) – qui a déjà obtenu une majorité au Congrès – se présente à la présidence.
Tout comme les partis et gouvernements de gauche qui ont repris les rênes du pouvoir dans la ‘vague rose’ qui a balayé la région au cours du 21e siècle, l’AP préconise la souveraineté et l’auto-détermination.
La pauvreté a été réduite de 38 %, l’extrême pauvreté de 47 %. L’inégalité aussi a été considérablement diminuée: le taux des revenus des 10 % les plus riches par rapport aux 10 % des plus pauvres a été réduit de 36 en 2006 à 25 en 2012. La croissance annuelle des revenus par habitant s’est élevée de 0,6 %, durant les 26 ans antérieurs, à 1,5 %. L’accès aux soins de santé et à l’éducation a été augmenté de façon importante, tandis que les dépenses pour l’éducation supérieure sont passées de 0,7 à 2,1 % du produit intérieur brut (pib), ce qui est au-dessus des dépenses de beaucoup de pays à revenus élevés. En général, les dépenses à caractère social ont doublé et les investissements publics plus que doublé, en termes de pourcentages du pib.
Afin d’atteindre ces objectifs, le gouvernement s’est vu obliger de réguler le secteur financier, de taxer la fuite du capital, de demander aux banques de rapatrier la plupart de leurs avoirs liquides outre-mer et d’associer la banque centrale à l’équipe économique exécutive, parmi d’autres réformes économiques. Sans ce nouveau rôle de l’Etat – crucial, agissant dans l’intérêt public au lieu des intérêts des banquiers équatoriens et des citoyens les plus riches – l’Equateur n’aurait pas pu réaliser de bénéfices ces dix dernières années.
L’autre candidat à la présidence, l’ancien banquier Guillermo Lasso, propose un programme de droite traditionnel comprenant des réductions d’impôts pour les riches et des économies au niveau des dépenses qui devront plus que correspondre à ces réductions d’impôts pour réduire le déficit budgétaire national.
Il promet de réduire le rôle du gouvernement dans l’économie, rôle qui a été assez important pour le progrès ces dix dernières années, argumentant que ‘les marchés libres’ sont la clé pour libérer le potentiel économique du pays. Il a aussi promis de rétablir « l’indépendance » de la banque centrale, qui en fera plutôt un instrument aux mains des grands banquiers, comme ce fut le cas lorsque Lasso lui-même régnait à la fin des années ’90 (lorsque l’économie était ruinée par le krach banquier).
Lasso a également reconnu qu’il possède une banque au Panama, dont les activités visent principalement à faciliter la fuite de capitaux en dehors de l’Equateur. Cela est aussi un grand thème de souveraineté nationale en Equateur, puisque (aux élections de février) la majorité de la population a voté en faveur d’un projet de loi prévoyant que les personnes ayant entassé de l’argent dans des paradis fiscaux ne pourraient pas remplir des fonctions publiques.
Tout cela ne présagerait rien de bon dans n’importe quelles circonstances, mais le manque de respect pour la souveraineté nationale signifie que, si l’économie se plante – ce qui est probable vu les coupes annoncées dans le budget -, Lasso s’adressera sans doute au Fonds Monétaire International (FMI) en vue d’obtenir des prêts. Ce qui signifierait la fin de la souveraineté de la politique économique pour laquelle l’Equateur a tellement lutté, et toute une série de ‘réformes structurelles’ made in the USA, que Lasso et ses associés mettraient en place avec avidité.À noter que, selon un document divulgué par l’ambassade des Etats-Unis en Equateur, Lasso informait des fonctionnaires de l’ambassade sur ses efforts d’organiser l’opposition patronale contre le gouvernement de Correa en 2007. S’il y avait des preuves aussi tangibles que celles relatives aux relations du président Trump avec les Russes, ce serait la fin de sa présidence.
Nous savons ce que les décennies de réformes structurelles appuyées par Washington ont signifié : en vingt ans (1980-2000), les revenus par personne en Equateur n’ont presque pas progressé. Nous pouvons également observer ce que font les nouveaux gouvernement de droite du Brésil et de l’Argentine, soutenus par Washington.
Il y a presque un an, le président de droite, Michel Temer, a pris le pouvoir par le biais d’un ‘impeachment’ – que beaucoup d’experts ont qualifié de coup à cause du défaut de délit pouvant ouvrir cette procédure. Pendant le quatrième trimestre de 2016, le Brésil a continué à augmenter sa plus grande dépression, où le chômage atteint des niveaux records, et la fin n’est pas en vue. Les investissements continuent à diminuer malgré – ou plutôt à cause de – l’austérité et les coupes budgétaires qui devraient exciter les investisseurs même si elles torpillent l’économie.
En Argentine, une inflation de 40 % et une récession, ainsi que des flambées des prix des équipements d’utilité publique, font que des millions d’Argentins regrettent d’avoir voté en majorité pour le président de droite en décembre 2015. Comme Lasso et Temer, l’Argentin Mauricio Macri est un protégé de Washington. La divulgation de télex de 2009 prouve qu’il a demandé à des fonctionnaires étasuniens d’attaquer davantage le gouvernement de Cristina Kirchner au pouvoir à l’époque.
Pour l’heure, ces gens auront pour alliés les plus intimes Trump et les extrémistes républicains au Congrès, comme le sénateur Marco Rubio, qui préférait détruire l’Equateur pour le sauver.
Ce n’est pas le moment pour l’Equateur de rendre, à Washington, sa souveraineté nationale gagnée au prix de grands efforts.
Source: The HillTraduction et révision: Erwin Carpentier et Laura Ragugini