« Quelle misère que ces pays, quelle farce, la démocratie, quel système honteux, que celui de l’Amérique Latine ! » C’est par ces mots que l’ex président du Honduras Manuel Zelaya a rappelé les événements qui ont entouré le coup d’Etat dont il a été victime en 2009 et qui, d’après lui, a marqué le début de la restauration conservatrice dans notre région.
Dans une interview publiée par le journal Página/12, Zelaya déclare : « Ce retour des droites agressives et réactionnaires de l’Amérique Latine n’est pas conjoncturelle. C’est une réponse planifiée depuis Washington par des forces qui ont senti qu’elles perdaient du terrain. » En plus du Honduras, cela a été mis en œuvre au Paraguay contre Fernando Lugo et au Brésil contre Dilma Rousseff avec des variantes et des prévisions dans d’autres scénarios et d’autres processus politiques.« La restauration conservatrice amène la conspiration. Elle combine attaques des médias, gros mensonges publicitaires et fraudes électorales. La restauration est violente, elle n’est pas pacifique ni démocratique, » a expliqué le président renversé qui dirige actuellement le Parti Liberté et Refondation (LIBRE).
Les événements de ces dernières années au Amérique Centrale et en Amérique du Sud – et en particulier au Brésil, avec un développement accéléré ces dernières semaines – donnent de nouvelles clefs pour interpréter le nouveau moment historique que nous vivons après 15 ans d’avancées du camp du peuple et des forces politiques et des Gouvernements qui ont adhéré (plus ou moins) à une idéologie dans laquelle se détachaient, entre autres drapeaux, ceux de l’anti-impérialisme et de l’intégration régionale, de la souveraineté et de l’autodétermination, de l’indépendance et de la recherche d’alternatives pour surmonter le néolibéralisme.
Les coups d’Etat de nouveau modèle ou coups d’Etat doux perpétrés grâce aux parlements et revêtus de pseudo-légitimité par les instances judiciaires soumises aux pouvoirs factuels et aux intérêts étrangers ainsi que la recrudescence des manœuvres de désinformation et des stratégies de manipulation de l’opinion publique qui grossissent le répertoire de la guerre médiatique dans notre région sont les principales armes de la restauration néolibérale.
Sans chercher plus loin des exemples, le Réseau O’Globo, la chaîne de médias du Brésil la plus influente et la plus puissante augmentée et renforcée sous la protection de la dictature a récemment admis qu’il a utilisé des informations « imprécises » pour couvrir la soi-disant existence de comptes off shore au nom de Lula da Silva et de Dilma Rousseff pour recevoir l’argent de pots-de-vin.
Ni O’Globo ni les procureurs qui ont mené l’enquête n’ont présenté une seule preuve pour soutenir les accusations contre les 2 ex présidents : un mensonge dans toute sa splendeur utilisé comme arme politique reproduit jusqu’à plus soif et dans une mauvaise intention par les médias hégémoniques à l’intérieur et hors du Brésil qui a donné des prétentions et des « arguments » au honteux procès de destitution contre Rousseff. Tel est le modus operandi de l’offensive de restauration.
La coordination mafieuse entre les groupes de médias – ou organisés en cartels – et ce qu’on appelle le parti judiciaire qui n’est rien d’autre que la récupération par la droite de l’un des pouvoirs clefs de la structure républicaine appelé à être le garant du respect des conditions minimales qui rendent viable la coexistence en société se révèle être l’un des principaux dangers pour la construction de démocraties réelles, profondes et pleines et non des artifices fonctionnels des élites et de leurs alliés comme cela a été la triste tradition dans une grande majorité de nos pays. Les risques que nous affrontons ne sont pas rien.
Comme l’explique bien le journaliste Martín Granovsky, « l’itinéraire de la justice et la dénonciation journalistique en tant que pouvoir moral supérieur » font partie du bélier utilisé pour « produire le pire de la démocratie qui est de la laisser à la charge des chefs d’entreprises déguisés en bienfaiteurs publics. »
Comment les gauches affrontent-elles cette alliance ? Quelle sorte de démocraties peut-elle se construire sous la tutelle des partis médiatiques et judiciaires ? Les processus de changement qui ne se proposent pas de disputer l’hégémonie culturelle et d’affronter directement les pouvoirs factuels sont-ils viables ? Un projet émancipateur peut-il coexister avec la présence d’acteurs de ces pouvoirs factuels intégrés au sein des institutions de l’Etat ?
C’est un débat que nous ne pouvons pas oublier si nous voulons laisser définitivement derrière nous la farce des démocraties contrôlées dans l’ombre : en particulier maintenant, quand augmentent les engrenages d’une offensive de restauration dont la continuité politique s’accompagne de points d’interrogation et qui – comme plusieurs intellectuels l’ont dit – dans le cas du Brésil, pourrait ouvrir des fissures dangereuses pour une nouvelle irruption de l’armée comme élément agissant de la vie politique dans notre Amérique.
Cubadebatetrad. : Françoise Lopez pour Bolivar Infos