Dix clés de la politique de Donald Trump vis-à-vis de Cuba

Tant que les mesures n’entreront pas en vigueur, il sera difficile de connaître la portée et le possible impact des nouvelles mesures de TrumpDonald Trump lors de son show à Miami, le 16 juin, lisant l’ordre exécutif qui donne un coup d’arrêt à certaines des mesures prises à partir de la normalisation des relations entre Cuba et les États-Unis, entamée par son prédécesseur Barack Obama. Photo: ReutersLE changement de politique à l’égard de Cuba, annoncé le vendredi 16 juin par le président des États-Unis, Donald Trump, implique un retour en arrière dans plusieurs aspects des relations bilatérales, tandis qu’une bonne part des progrès discrets obtenus depuis décembre 2014 avec l’administration de Barack Obama est maintenue.

Granma partage avec ses lecteurs les opinions et les analyses de personnalités issues d’horizons divers : universitaires, politiques et médias de part et d’autre du détroit de la Floride, afin de contextualiser les déclarations de Trump et leur possible implication sur l’avenir des relations entre les deux pays.1. LE PRÉSIDENT A PAYÉ UNE PRÉTENDUE DETTE ENVERS L’EXTRÊME DROITE DE MIAMILe contenu des déclarations, le lieu choisi et l’assistance qui a accompagné le président au théâtre de Miami, qui porte le nom du mercenaire de Playa Giron, Manuel Artime, ont confirmé les suspicions de nombreux analystes, selon lesquelles le président était conseillé exclusivement par une poignée de personnes qui ne représentaient pas la majorité de l’opinion publique étasunienne ni la communauté cubaine de ce pays.« Je pense que le président est en train de s’acquitter de ses dettes politiques envers le sénateur Marco Rubio et le représentant Mario Diaz-Balart », a déclaré à notre journal l’avocat étasunien Robert Muse, qui possède une vaste expérience dans l’étude des relations entre Washington et La Havane.

Grâce à leur proximité avec le président, l’emploi de stratagèmes politiques et en utilisant leur influence au Congrès comme monnaie d’échange, les deux législateurs républicains apparaissent comme les principaux artisans du changement de cap de la Maison-Blanche.« La nouvelle politique de Trump à l’égard de Cuba est dictée par des considérations de politique intérieure et non par des intérêts de politique étrangère », souligne William Leogrande, professeur de Gouvernabilité à l’American University de Washington. « Le président en personne a déclaré qu’il s’acquittait d’une dette politique qu’il ressent envers les conservateurs cubano-américains pour leur soutien durant la dernière campagne électorale », a-t-il dit.2. LES CHANGEMENTS PORTENT PRÉJUDICE AUX INTÉRÊT DES ÉTATS-UNIS ET AU PEUPLE CUBAINDans son empressement à satisfaire l’extrême droite de la Floride et démonter l’héritage de son prédécesseur démocrate, Trump a choisi de nuire aux intérêts de vastes secteurs aux États-Unis et de durcir la politique de blocus qui cause de grands dommages au peuple cubain. Sa phrase « les États-Unis d’abord » semble ne pas s’appliquer à Cuba.« Les changements sont sérieux : les transactions avec des entreprises cubaines liées aux Forces armées seront interdites, et les voyages éducatifs incluant des rencontres de « peuple à peuple » sont une nouvelle fois placés sous le patronage d’organisations », signale Phil Peters, président du Centre de recherches sur Cuba.« Il s’agit d’un retour en arrière dans la normalisation qui porte un coup à la liberté de voyager des citoyens étasuniens, à notre sécurité nationale et aux gens, à Cuba, qui souhaitent se reconnecter avec les États-Unis. Tout cela pour faire une faveur politique à une petite faction locale », a indiqué quant à lui, après les déclarations de Trump, le sénateur démocrate Patrick Leahy, qui est favorable aux relations entre les deux pays.

Mais beaucoup de secteurs aux États-Unis craignent qu’une dégradation des relations avec La Havane ne mette en danger les progrès réalisés dans d’autres domaines.

L’Association américaine pour l’avancement de la science (AAAC) a rappelé l’importance des échanges fluides qu’elle a eus ces dernières années avec l’Académie des sciences de Cuba. Elle a précisé que les deux pays partagent le climat, les eaux et les maladies. « La science n’a pas de frontières », a-t-elle dit, avant de souligner qu’elle restera centrée sur les échanges avec sa contrepartie cubaine.

Des groupes d’agriculteurs ont également critiqué la posture du président Trump, en précisant qu’elle pourrait entraver la croissance des exportations à destination de Cuba qui, selon l’agence Reuters, se sont élevées à 221 millions de dollars en 2016.

Ce chiffre a été atteint malgré l’interdiction par la loi de l’octroi de crédits pour les achats d’aliments et obligeant Cuba à payer en espèces et au comptant.

Autre contradiction soulevée par les spécialistes : la soi-disant approche de la nouvelle politique en faveur de la défense nationale des États-Unis.

Au mois d’avril, près d’une douzaine d’anciens hauts officiers étasuniens ont envoyé une lettre au conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump, le général H.

R. McMaster, lui signalant que couper les liens avec l’Île pourrait avoir des répercussions sur la sécurité nationale des États-Unis, et que l’Île pourrait être un important allié dans la lutte contre le trafic de drogue et la gestion des situations d’urgence.3. L’IDÉE DE SANCTIONNER LES ENTREPRISES LIÉES AUX FORCES ARMÉES RÉVOLUTIONNAIRES (FAR) ET AUX SERVICES DE RENSEIGNEMENT CUBAINS EST UNE VIEILLE ASPIRATION DE L’EXTRÊME DROITE CUBANO-AMÉRICAINELa volonté de frapper ce secteur est une aspiration de longue date des législateurs cubano-américains qui, malgré leur succès pour un durcissement du blocus ne sont pas parvenus à étrangler l’économie cubaine.

En juin 2015, Marco Rubio a présenté un projet de loi au Sénat visant à interdire toute transaction avec le secteur militaire cubain.

Par ailleurs, le projet de loi du budget des services financiers et des dépenses générales du gouvernement pour 2017, adopté l’année dernière par la Chambre des représentants, comportait une clause visant le même objectif, défendue par Diaz-Balart.

Ces deux initiatives ont échoué au Congrès, si bien que les législateurs en ont profité pour inscrire leurs objectifs dans le changement de politique de Trump.

Nombre des entreprises gérées par les FAR figurent parmi les plus efficaces et performantes du pays, elles créent des produits et des services à haute valeur ajoutée et emploient des centaines de milliers de personnes. Leurs bénéfices, à la différence de nombreux endroits dans le monde, sont investis dans l’amélioration de la qualité de vie de la population.4.- RUBIO ET DIAZ-BALART SE SONT HEURTÉS AU REJET MAJORITAIRE DE LEUR POLITIQUESelon certains médias aux États-Unis comme The Hill, les premières ébauches présentées à Trump sur des actions contre Cuba comportaient des mesures beaucoup plus sévères, depuis la rupture totale des relations diplomatiques jusqu’à la réinscription de l’Île sur la liste des pays qui appuient le terrorisme.

Or, les idées les plus radicales de Rubio et de Diaz-Balart se sont heurtées à l’immense soutien à la politique de rapprochement au sein des propres agences gouvernementales des États-Unis et de larges secteurs de la société.

Au cours des derniers mois, plus d’une quarantaine d’entreprises liées aux voyages, des dirigeants de géants tels que Google et Marriot, des congressistes des deux partis, des organisations de la communauté cubaine, les principaux médias étasuniens, des leaders politiques et sociaux de tout le spectre et y compris plusieurs entités civiles à l’intérieur de l’Île ont fait part au président nord-américain de leur souhait de voir préservés les liens entre Washington et La Havane.« La Maison-Blanche s’est retrouvée prise en étau entre l’opinion publique, favorable aux voyages et au commerce, et ses concessions à Rubio et Diaz-Balart », a affirmé à Granma, Collin Laverty, président de l’agence des Voyages éducatifs à Cuba. « Le président a déclaré « avoir annulé l’accord d’Obama », mais en réalité il est resté sur les bords, car il sait que l’ouverture d’Obama a joui d’une grande popularité ».5. OBAMA N’A FAIT AUCUNE CONCESSION À CUBAL’une des idées défendues par le président Trump durant son discours du vendredi 16 fut la nécessité d’en finir avec de soi-disant « concessions unilatérales » faites à Cuba par Barack Obama après les annonces du 17 décembre 2014.

Cependant, aucun des 22 accords conclus au cours de ces deux dernières années ne contient ne serait-ce qu’une mesure bénéficiant exclusivement à Cuba.

Pouvoir travailler de concert en cas d’un déversement de pétrole dans le détroit de la Floride ; lutter contre le crime cybernétique, le terrorisme ou le trafic de drogue ; renforcer la sécurité en matière de navigation maritime ou partager des expériences dans la lutte contre le cancer profitent aussi bien à Cuba qu’aux États-Unis.

De même, les changements limités introduits par Obama à l’application du blocus traduisaient clairement les intérêts politiques des États-Unis et contenaient une intention marquée de favoriser des secteurs bien déterminés de la société cubaine.6. TRUMP A REPRIS LA RÉTORIQUE DE LA GUERRE FROIDEMême si la plupart des mesures annoncées par Trump s’inscrivaient dans les pronostics des analystes, la grande surprise de sa présentation du vendredi 6, a été la rhétorique grossière et agressive qu’il a employée contre Cuba, digne de l’époque de la Guerre froide, que les deux pays avaient commencé à surmonter.« Cela ne devrait pas nous surprendre », commente le professeur Luis René Fernandez, chercheur du Centre d’études hémisphériques et sur les États-Unis de l’Université de La Havane, qui évoque le passé du président Donald Trump comme présentateur de reality show. « Le vrai motif de la rhétorique de Trump, ce sont les difficultés politiques internes qu’il rencontre et le scénario de Miami, où il a été entouré de groupes d’ignorants et de réactionnaires. »« L’histoire a prouvé que même dans les pires situations – comme celle de la période spéciale des années 90 à la suite de la chute du camp socialiste et de la recrudescence du blocus – Cuba a survécu et a entamé sa relance avec succès », indique le professeur Fernandez. Et d’enchaîner : « Aujourd’hui il ne fait aucun doute que nous sommes mieux à même de faire face à cette politique ratée et obsolète ».7. CUBA N’A JAMAIS NÉGOCIÉ SOUS LES PRESSIONSCuba et les États-Unis ont une longue histoire de négociations, tant secrètes que publiques, qui vont depuis l’époque de l’administration de John F. Kennedy jusqu’à celle de Barack Obama. La position de La Havane de ne céder ni aux pressions ni au chantage, ni de négocier de questions relevant de sa souveraineté a été une constante.« Quiconque connaît Cuba sait que pointer du doigt, signaler ou menacer ne produira aucun effet », souligne Laverty.

La Déclaration du Gouvernement révolutionnaire, parue à la suite du discours de Trump, ratifie ce principe qui a été clairement énoncé le 1er juillet 2015, à la suite de l’échange de lettres au sujet du rétablissement des liens entre Cuba et les États-Unis : « Ces relations devront reposer sur le respect absolu de notre indépendance et de notre souveraineté ; du droit inaliénable de chaque État de choisir son système politique, économique, social et culturel, sans ingérence d’aucune sorte ; et l’égalité souveraine et la réciprocité, qui constituent des principes auxquels l’on ne saurait renoncer, du Droit international, tout comme l’a réaffirmé la Proclamation de l’Amérique Latine et les Caraïbes comme Zone de Paix, signée par les Chefs d’état et de gouvernement de la Communauté des États Latino-américains et Caribéens (CELAC), lors de son 2e Sommet à La Havane ». Et le document de conclure : « Cuba n’a pas renoncé à ces principes et elle n’y renoncera jamais. »8.- TOUTES LES PORTES NE SONT PAS FERMÉESLes spécialistes consultés par Granma s’accordent à dire que le changement de politique de Trump constitue un retouren arrière des relations, mais qu’il y a encore un espace pour que les deux pays continuent de rechercher des canaux de coopération.« En dépit de la rhétorique politique, l’administration de Trump souhaite travailler avec le gouvernement cubain dans des sphères d’intérêt mutuel, telles que l’application de la loi, la lutte contre le trafic de drogue, ainsi que la coopération », signale James William, président de la coalition Engage Cuba, qui plaide à Washington pour la levée du blocus.À ce jour, aucun des accords conclus entre les deux pays dans les différentes sphères n’a été annulé, précise le professeur William Leogrande comme un signe d’espérance.

L’universitaire cubain, Luis René Fernandez, estime quant à lui que malgré la décision de Washington de revenir à une politique ratée, Cuba poursuivra avec succès la politique de mise à jour de son modèle économique, ce qui lui ouvre de nombreuses possibilités.9. LE CONGRÈS, UN AUTRE CHAMP DE BATAILLEBien que le président dispose de larges prérogatives pour diriger les relations extérieures, voire changer l’application pratique du blocus, les politiques agressives contre Cuba sont solidement ancrées au Congrès.

Il existe à l’heure actuelle plusieurs projets de loi en faveur et contre les relations au sein de cet organe législatif. L’un des plus en avance est le projet défendu par le républicain Jeff Flake et le démocrate Patrick Leahy au Sénat visant la levée de toutes les interdictions de voyage.

Ce n’est pas la première fois que des initiatives de ce genre sont présentées, mais à cette occasion on remarque un soutien bipartite assez important, avec plus d’une cinquantaine de coparrains au Sénat.« Toute politique limitant la possibilité de voyager librement à Cuba n’est ni de l’intérêt des États-Unis, ni de l’intérêt du peuple cubain. Il est temps que le leadership du Sénat permette enfin un vote à mon projet de loi qui lèverait complètement toutes ces restrictions archaïques qui n’existent pour aucun autre pays du monde », a signalé le sénateur Flake dans un communiqué diffusé à la suite des déclarations de Trump.

Selon Reuters, Flake estime que, s’il était soumis au vote, ce projet pourrait obtenir jusqu’à 70 voix favorables dans cet hémicycle de cent sièges. Un projet similaire devrait être débattu à la Chambre des représentants, où le bilan n’est pas favorable, mais il ne fait aucun doute que les conditions sont bien meilleures que l’année dernière.« Nous assistons à une nuée de critiques contre cette nouvelle politique de la part des républicains au Congrès », souligne William. « Gageons que ceci puisse servir de catalyseur pour que le Congrès fasse les pas nécessaires et élimine complètement les restrictions aux voyages et au commerce ».10.- IL FAUDRA ATTENDRE LES DISPOSITIONS POUR ÉVALUER LA VÉRITABLE PORTÉE DES MESURESLe décret politique signée par Trump abroge le décret précédent du président Obama, définit certaines lignes générales sur l’application des nouvelles restrictions aux voyages et au commerce.

Cependant, elle prévoit des délais de 30 à 90 jours, et d’autres indéfinis, pour la publication des dispositions spécifiques par les différentes agences concernées.

Tant que les mesures n’entreront pas en vigueur et que l’on ignorera les critères qui régissent leur application, il sera difficile de connaître la portée et le possible impact des nouvelles mesures de Trump.

Granma

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