A l’âge de 23 ans, Ernesto traverse plusieurs pays d’Amérique latine à moto, en compagnie d’un ami. Pendant ce voyage, il est confronté à la misère profonde qui touche le continent entier et aux relations d’exploitation par les USA. Il se propose de lier son sort à celui des pauvres. « De par mes nombreux voyages à travers le continent – sauf à Haïti et en République Dominicaine, je suis passé par tous les pays – je suis entré en contact direct avec la misère, la faim et les maladies, avec l’impossibilité de les guérir vu le manque de moyens, avec le fatalisme que provoquent la faim et les revers incessants chez les gens, (…) et j’ai commencé à voir que, se ranger du côte de ces gens était au moins aussi important que de devenir un chercheur renommé ou de fournir une contribution substantielle à la science médicale. » (1) En octobre 1951, il décide d’entreprendre son premier voyage à travers l’Amérique latine. En janvier 1952, en compagnie d’Alberto Granado, il se met en route avec une vieille motocyclette Norton 500 cc. Lors de leur arrivée à Valdivia, au Chili, un journal local publie une interview sous le titre « Deux intrépides motocyclistes argentins de passage à Valdivia. » A Temuco, cela devient: « Deux experts argentins de la lèpre traversent I’Amérique latine à motocyclette. » A Valparaíso, il écrit dans son journal: « Nous allons à la recherche des quartiers les plus pauvres de la ville. Nous bavardons avec les nombreux mendiants. Notre nez respire attentivement la misère. » 7 mars 1952. Ernesto rencontre une femme plus âgée. Elle est malade et vient d’être licenciée. II écrit : « Dans de tels cas, un médecin, conscient de son infériorité totale vis-à-vis de l’environnement, va imposer un changement. Quelque chose qui va abolir une telle injustice. (…) C’est ici que l’on apprend a comprendre la tragédie du prolétariat du monde entier. Ces yeux moribonds essaient servilement de s’excuser et souvent, il y a aussi cette demande désespérée de consolation qui se perd à la hâte. Jusque quand cet ordre des choses, basé sur un absurde sentiment de classe, continuera-t-il à exister? » 10 mars 1952. A Cuba, le général Fulgencio Batista s’empare du pouvoir grâce à un coup d’Etat particulièrement violent. Les protestations de masse sont brutalement réprimées. Le 12 mars, à Baquedano, une petite ville chilienne, Ernesto et Alberto font la connaissance d’un jeune couple de travailleurs chiliens, des communistes. « Dans son langage simple, un mineur nous a parlé de ses trois mois de prison, de sa femme affamée qui l’a suivi fidèlement, de ses enfants qui ont été recueillis par des voisins, de ses démarches infructueuses en quête de travail, de ses copains qui avaient disparu de façon mystérieuse, et dont on raconte qu’ils ont été largués en mer. Ce couple transi de froid, cet homme et cette femme blottis l’un contre l’autre dans le désert nocturne, sont une représentation vivante du prolétariat de la terre tout entière, où que l’on soit… Ils n’avaient même pas une couverture pour se couvrir. Nous leur avons donné les nôtres. Je n’ai jamais eu aussi froid que cette nuit, mais en même temps, je me sentais un peu plus rattaché à cette partie de l’espèce humaine qui m’était inconnue. » Le lendemain, il visite les mines de Chuquicamata et fait une analyse de l’exploitation des mineurs par les entreprises nordaméricaines. A propos du Chili, il écrit : « L’effort le plus important doit être consacré à se débarrasser de l’emprise particulièrement déplaisante de ‘l’ami yankee.’ ll s’agit certainement d’une tâche gigantesque, en raison de la grande quantité de dollars qui ont été investis ici, et de la grande facilité avec laquelle ils peuvent exercer des pressions économiques lorsqu’ils savent que leurs intérêts sont menacés. » Le 24 mars, il arrivent à Tacna, au Pérou. Après une discussion au sujet de la pauvreté dans la région, il rappelle dans ses notes les mots mêmes de José Martí: « Je veux lier mon sort à celui des pauvres de ce monde. » (Ndlr : On retrouvera cette phrase dans la chanson mondialement connue, Guanianamera.) Le 1er mai, ils arrivent à Lima. Le Che y rencontre le docteur Hugo Pesce, un scientifique péruvien, directeur du programme national contre la lèpre, et marxiste important. Pendant plusieurs nuits, ils discutent jusqu’au petit matin. Des années plus tard, le Che déclarera que ces conversations avaient eu une grande influence sur son changement d’attitude à l’égard de la vie et de la société. Le 2 juillet, il arrive à Bogota, et il écrit : « En ce qui concerne les droits de l’individu, ce pays en est au point le plus grave de tous les pays que nous avons visités. La police patrouille dans les rues, le fusil sur l’épaule, et demande à tout bout de champ à voir votre passeport, bien que toue une série de policiers vous l’aient déjà demandé plus tôt. ll règne ici un climat tendu, comme si on s’attendait à ce qu’à court terme il y ait des troubles. » Le 17 juillet, il arrive à Caracas. II y décide de rentrer à Buenos Aires afin de terminer ses études de médecine. II voyage à bord d’un avion de marchandises qui transite par Miami, où des problèmes techniques à l’appareil l’immobilisent pendant un mois. Pour survivre, il travail comme serveur et plongeur dans un bar. Régulièrement, la police l’arrête et l’interroge. Elle veut savoir s’il est communiste, ou si son père est communiste, ou si sa mère est communiste. Le 31 août, il est de retour à Buenos Aires. Première partie: jeunesse (1928-1951) Troisième partie: second voyage à travers l’Amérique latine (1953-1954) Quatrième partie: la Sierra Maestra (1955-58) Cinquième partie: années des débuts de la révolution (1959-1964) Sixième partie: mission au Congo (1965) Septième partie: terminus la Bolivie (1966-1667) Notes (1) Discours intitulé ‘Le médecin révolutionnaire’, 19 août 1960.