Notre « période spéciale » inattendue

Une réflexion depuis l’Espagne dans ces temps de corona et la Période spéciale à Cuba dans les années 90.

En ces jours de confinement obligatoire, je ne peux m’empêcher de repenser aux expériences partagées au cours de cette page de l’histoire cubaine que l’on nomme la Période spéciale. Les pénuries, l’angoisse et l’incertitude face à l’avenir ne pouvaient alors être conjurées que par l’empathie et la solidarité. Que l’on partage ou non la même vision du modèle sociopolitique, j’ai toujours soutenu que Cuba nous obligeait, et nous oblige toujours, à une réflexion approfondie sur notre mode de vie, sur nos valeurs.

D’aucuns voyaient l’âpre réalité que vivait Cuba comme la conséquence de son péché originel, le refus de reconnaître le marché comme la force motrice exclusive de l’économie et de la société. Le Dieu du marché et son appareil culturel ont châtié un tel orgueil, une telle audace. Une telle situation était impensable dans nos pays. Mais voilà que le titre de ce bel essai de Santiago Alba se fait jour : « Vendrá la realidad y nos encontrará dormidos » (La réalité poindra et nous trouvera endormis).

Le désastre anthropologique du capitalisme nous montre aujourd’hui ses conséquences. La logique du marché a ébranlé tous les équilibres naturels. Chose que la plupart des peuples « arriérés » qui ont été écrasés lors de la configuration du capitalisme n’auraient jamais osé faire. Ce n’est pas l’être humain, génériquement, qui est responsable de la destruction, mais bien une certaine conception de l’économie. Ce qui a amené Marina Garcés à se poser une question pertinente et précise : « Quelle est donc la source de l’impuissance qui nous astreint, de manière si peu critique et docile, à être les agents de notre propre perte ?

Une très chère amie qui, ces jours-ci, lutte désespérément en tant que médecin des soins intensifs à Madrid contre cette première catastrophe, m’a confié : « On s’est habitué à tout acheter avec la carte de crédit… or il n’y a pas de respirateurs artificiels, on est à court de lits aux soins intensifs, et le matériel hospitalier est en rupture de stock. C’est la même impuissance que j’ai ressentie il y a quelques années au Nicaragua face à la mort ; ces moments vont nous remettre à notre place.

Une chose qui a toujours été claire à Cuba, même pendant les années extrêmement éprouvantes de la période spéciale, c’est que la santé est fondamentale parce que nous sommes vulnérables. Cela constitue un bon point de départ, une bonne épreuve d’humilité. En ces jours de confinement, c’est plus de Saramago et son ouvrage « L’aveuglement » qu’il faut, et moins de NETFLIX. S’ensuivra un après qui exigera de nous de reconsidérer la place du « nous » au cœur de l’économie, afin de mettre un terme à cette course folle.elsaltodiario

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