La délégation cubaine à la COP26 explique au Dr Lauren Collins l’approche adoptée par l’île pour s’adapter aux effets du réchauffement climatique, les défis auxquels elle est confrontée et ses espoirs quant à l’issue de ce sommet mondial crucial.
En 1992, au Sommet de la Terre de Rio, Fidel Castro a déclaré : « L’humanité risque de disparaître en raison de l’élimination rapide et progressive de son habitat naturel. »« Nous prenons conscience de ce problème alors qu’il est presque trop tard pour le prévenir. »
C’est en mars 1995 que s’est réunie la première Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP1). Pourtant, ce n’est qu’à la COP21, qui s’est tenue à Paris en décembre 2015, qu’un accord légalement contraignant a été conclu pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
Depuis lors, six années supplémentaires se sont écoulées sans que les plus grands pollueurs de la planète ne déploient d’efforts décisifs et concertés pour éviter la catastrophe.
Comme de nombreuses autres nations insulaires, Cuba est confrontée aux menaces immédiates et actuelles du changement climatique.
Depuis les années 1950, la température moyenne annuelle de Cuba a augmenté de 0,9°C, l’activité cyclonique s’est considérablement modifiée, le niveau de la mer a augmenté et la disponibilité d’eau douce a diminué d’environ 40 %, dont la moitié au cours des 20 dernières années.
Ces changements ont de graves conséquences, transformant le climat tropical humide de Cuba en un climat tropical sec, provoquant des sécheresses plus fréquentes et plus longues, la salinisation des aquifères et des terres agricoles, des pluies moins abondantes mais plus intenses, un rayonnement solaire accru en raison de la diminution de la couverture nuageuse, et la menace imminente d’inondations permanentes dans les régions côtières.
Le Plan national de Cuba pour faire face au changement climatique, connu à Cuba sous le nom de Tarea Vida (Projet Vie), a été adopté par l’assemblée nationale cubaine en avril 2017.
Cuba a déjà une empreinte carbone très légère (0,08 % des émissions mondiales) et le plan ambitieux est donc largement axé sur des mesures d’adaptation.
Ses principaux objectifs sont de protéger la vie humaine et de faire en sorte que chaque communauté, grande ou petite, soit résiliente et puisse mener une vie pleine et prospère.
Elle implique tous les secteurs de l’économie et de la société, et est mise en œuvre aux niveaux national et local.
Les priorités de Tarea Vida, identifiées en 2020, comprennent la protection des côtes, l’agriculture, la garantie de la disponibilité et de l’utilisation efficace de l’eau, la reforestation (y compris les mangroves et les récifs coralliens) et l’amélioration de la perception et de la connaissance des risques au sein de la population.
En 2019, Cuba a adopté par référendum une nouvelle constitution qui a dévolu des pouvoirs au niveau local, faisant des municipalités l’élément principal de la structure gouvernementale.
En conséquence, l’île fait l’objet d’un processus intense visant à mettre en place des processus décisionnels de bas en haut. Cela renforce le leadership local et facilite un engagement accru de la population dans l’élaboration de plans d’adaptation, notamment en ce qui concerne l’agriculture et la production alimentaire locales et la protection des côtes.
Le ministère de la Science, de la Technologie et de l’Environnement (Citma) travaille en étroite collaboration avec les autorités locales et provinciales, afin de contribuer à ses plans nationaux d’adaptation aux changements climatiques et de soutenir l’élaboration et la mise en œuvre de plans d’action locaux.
La délégation à la COP26 donne un exemple de la façon dont cela fonctionne en pratique. Les délégués cubains ont évoqué le projet intitulé « Résilience côtière au changement climatique à Cuba par l’adaptation fondée sur les écosystèmes », connu aussi sous le nom de « Mi Costa » (ma côte), approuvé cette année par le Fonds vert pour le climat.
Le projet engage 24 municipalités dans sept provinces et permettra également de restaurer les écosystèmes dans sept communautés.
Toutes ces actions impliqueront un processus de développement des capacités et de formation dans les communautés, en fonction de leur réalité propre. Cela sera organisé par le biais de 24 centres de développement des capacités (un dans chaque municipalité).
Les communautés participeront activement au suivi des avantages et de la gestion des écosystèmes, et les mettront en relation avec leur vie et leurs moyens de subsistance.
Cela permet aux populations locales de prendre des décisions basées sur la compréhension de leur exposition aux risques climatiques. De plus, renforcer les capacités des communautés, permet de s’assurer que les actions d’adaptation sont basées sur les réalités locales et nationales.
Les membres de la délégation ont parlé de l’impact du blocus, imposé par le gouvernement des États-Unis depuis plus de soixante ans, sur les efforts de Cuba pour s’adapter au changement climatique.
Ils ont affirmé que le blocus affecte tous les secteurs de l’économie et de la société, et qu’aucune politique ou action ne peut échapper à son impact négatif.
La délégation a souligné l’engagement sérieux et permanent de Cuba en faveur de l’action climatique. Et elle m’a indiqué que Cuba a récemment mis à jour sa contribution déterminée au niveau national en tant qu’État partie à l’accord de Paris.
Cette mise à jour comprend des engagements beaucoup plus ambitieux, tant en termes d’atténuation que d’adaptation, dont la réalisation exigera des efforts énormes.
Des ressources sont nécessaires pour sa mise en œuvre, et la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’Accord de Paris ont clairement établi la nécessité de fournir des moyens (financement, technologies et renforcement des capacités) aux pays en développement.
Outre la réticence de certains pays industrialisés, y compris les États-Unis, à se conformer à ces dispositions, la délégation cubaine a déclaré que, dans le cas de Cuba, l’impact du blocus limite aussi sévèrement l’accès du pays aux ressources et aux financements. Bien que de grands efforts soient déployés pour mettre en œuvre le plan national, le blocus impose des défis supplémentaires à l’État insulaire des Caraïbes.
Pour illustrer le niveau d’hostilité du gouvernement étasunien à l’égard de Cuba, la délégation m’a expliqué qu’en mars 2021, lorsque le Green Climate Board a examiné la demande de Cuba (faite conjointement avec le Programme des Nations unies pour le développement) pour le financement du projet Mi Costa, 23 représentants ont soutenu le projet, et seul le délégué des États-Unis l’a rejeté, au motif que Cuba figure sur la liste étasunienne des États soutenant le terrorisme.
Cuba a été ajoutée à la liste sous l’administration Trump, mais cela s’est produit sous le gouvernement Biden. Et ce n’est pas la seule fois qu’un délégué étasunien a rejeté les demandes de financement de Cuba pour lutter contre le changement climatique.
Lorsqu’on a demandé à la délégation quels étaient ses espoirs pour la COP26, elle a déclaré qu’il était crucial qu’elle atteigne pleinement ses objectifs et que Cuba était prête à travailler de manière constructive avec toutes les délégations pour obtenir un résultat à la hauteur de l’urgence de la situation. Elle a ajouté qu’il était impératif que des accords soient conclus et des engagements pris pour se conformer pleinement à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et parvenir à la mise en œuvre intégrale de l’accord de Paris.
Le Dr Lauren Collins est chercheur honoraire à l’Université de Nottingham et membre du comité exécutif de la Campagne de solidarité avec Cuba.