Wim Leysens suit de près, depuis dix ans, l’évolution à Cuba. Dans un premier temps en tant que responsable de programme de FOS (Fondation Aide à la Coopération), et maintenant en tant que secrétaire de la Coordination pour la levée du blocus contre Cuba. En février 2022, il a séjourné à Cuba, où il a rencontré des organisations et des citoyens pour discuter, entre autres, de la nouvelle loi sur la famille (ou loi sur les familles, comme ils disent à Cuba, pour bien indiquer la pluralité des formes de famille).
Impossible de passer à côté. À la radio et à la télévision (comme Hacemos Cuba), dans toutes les activités de la société civile ou du gouvernement, on parle de la nouvelle loi sur la famille. Au cours des mois de février, mars et avril 2022, le gouvernement organise une grande consultation populaire – « consulta popular ».
Les organisations de masse et les comités de quartier (Comités de Defensa de la Revolución – CDR) organisent des milliers de réunions publiques lors desquelles la nouvelle loi est discutée avec l’assistance de juristes.
Tous les commentaires sont notés et intégrés dans la version finale de la loi sur la famille, comme cela a été fait lors de la discussion de la Constitution en 2019. La population aura le dernier mot pour les approuver lors d’un référendum qui aura lieu plus tard dans l’année. « C’est ainsi que fonctionne notre démocratie », dit-on au gouvernement. uNE LARGE CONSULTATIONYamila González Ferrer, vice-présidente de l’Union nationale des juristes, est l’une des personnes impliquées dans ce projet dès son début. La loi actuelle date du milieu des années 1980 et n’est donc plus du tout adaptée à la réalité d’aujourd’hui.
Un juriste explique la loi sur la famille lors d’une réunion de quartier à Holguín. Photo : Wim LeysensEn juillet 2019, le gouvernement a mis en place un groupe de travail chargé de préparer le projet de loi. Yamila est fière de la proposition de nouvelle loi sur la famille. La pandémie de Covid a certes ralenti le groupe de travail, mais ne l’a jamais mis à l’arrêt.
En septembre-octobre 2021, les travaux préparatoires ont été soumis à consultation par province. Un très large groupe de spécialistes et 47 organisations ont apporté leur expertise. Cette approche multidisciplinaire a abouti à l’actuelle 23e version du texte de loi, que le Parlement a, en décembre 2021, déclarée prête à être soumise à la population. UN REFLET DE LA DIVERSITÉ DE LA SOCIÉTÉCette loi de la famille vise à refléter la société cubaine dans toute sa diversité. Le droit à l’égalité et à la non-discrimination, la dignité humaine et le respect des autres sont les éléments constitutifs d’une société dans laquelle tous les citoyens ont leur place.“Je soutiens la loi sur les familles”. Affiche de promotion gouvernementaleLes organisations avec lesquelles nous avons eu des contacts sont enthousiastes. La proposition de la nouvelle loi est fondée sur la grande diversité des formes de cohabitation dans la société cubaine moderne. « Ce código exprime l’amour pour chaque personne de la société, indépendamment de son sexe, de son âge ou de son origine », a déclaré Oneida, de la fédération de femmes Federación de Mujeres Cubanas (FMC). DÉFINITION OUVERTE DU MARIAGEDans sa communication, le gouvernement fait tout son possible pour présenter la nouvelle loi de la famille comme un vaste paquet, ce qu’il est effectivement. Dans tous les cas, le gouvernement veut éviter que la discussion ne se réduise au thème du mariage homosexuel, comme cela s’est produit en 2018.
Dans les mois qui ont précédé le référendum sur la nouvelle Constitution, un vif débat a éclaté sur les médias sociaux, attisé par les églises évangéliques conservatrices. La question a ensuite été retirée de la Constitution et reportée à cette nouvelle loi de la famille.
Les citoyens qui souhaitent fonder une famille ont le choix entre le mariage et un contrat de cohabitation. Tous deux sont décrits comme un « projet de vie entre deux personnes », point final.« C’est un grand rêve qui se réalise enfin », dit Teresa. Dans le cadre du Centro Nacional de Educación Sexual (Cenesex), Teresa accompagne tous les groupes de femmes lesbiennes et bisexuelles. L’article 81 de la nouvelle loi reconnaît toute forme de famille, quelle que soit sa composition. En d’autres termes, l’orientation sexuelle n’a plus d’importance.« La société cubaine est prête pour ce changement », estime Yamila Gonzalez. En 2019, la population a approuvé la nouvelle Constitution à une majorité de 86 %. Un principe de base de cette Constitution est l’égalité et la non-discrimination. Il n’y a donc plus aucune base juridique pour exclure des personnes de l’institution du mariage pour quelque raison que ce soit.
Qu’y a-t-il d’autre dans la nouvelle loi de la famille ?
Abolition du mariage des enfants. La législation actuelle fixe toujours l’âge du mariage à 16 ans pour les garçons et à 14 ans pour les filles. Le nouveau projet de loi fixe désormais l’âge minimum à 18 ans pour les deux.
Contrat de mariage. La loi actuelle ne reconnaît que le mariage sous le régime de la communauté des biens. Aujourd’hui, d’autres options sont ajoutées pour un couple, comme la séparation des biens ou une forme mixte.
Choix du nom. Un couple aura également le choix de donner à ses enfants le nom de famille du père ou celui de la mère. En cas de désaccord, la décision doit être prise par un juge.
Droits de l’enfant. La nouvelle loi reconnaît les droits de l’enfant tels qu’ils s’appliquent au niveau international. La loi reprend en même temps le concept de « parentalité responsable ».
Les droits des grands-parents ou des personnes ayant un lien affectif avec les enfants sont également mieux définis et garantis. La loi doit éviter les situations douloureuses où les grands-parents n’ont juridiquement aucun droit, comme c’est actuellement le cas. Lors d’un divorce pénible, il arrive que les grands-parents ne puissent plus voir leurs petits-enfants, alors qu’ils s’en sont souvent plus occupés que les parents eux-mêmes. Ou dans le cas où l’un des parents ou les deux vivent à l’étranger et que les grands-parents s’occupent des enfants.
L’adoption devient possible pour toute personne ou couple de plus de 25 ans et qui a la capacité morale et financière de garantir à un enfant une éducation assurant sécurité et confiance. Que le couple soit marié ou ait un contrat de cohabitation, qu’il soit de sexe différent ou de même sexe, ces éléments ne pourront plus jouer de rôle auprès du tribunal qui doit valider l’adoption.
Mères porteuses. Une femme peut porter un enfant pour une autre, mais à la stricte condition que la mère porteuse n’en tire aucun profit financier. On ne vend pas un enfant ! Toutefois, il est possible de faire reconnaître un lien affectif devant un notaire.
En cas de divorce, il est possible de recourir à la médiation afin d’éviter une difficile procédure devant un juge.
Auparavant, les personnes âgées démentes étaient placées sous la tutelle de l’État. Désormais, un membre de la famille de confiance peut aider une personne âgée à faire valoir ses droits.
La sanction de la violence domestique aura des conséquences dans différents domaines pour l’auteur de la violence. Non seulement l’auteur de la violence risque d’être emprisonné, mais il peut également être privé de l’autorité parentale.
CONSULTATION POPULAIRELa proposition de nouvelle loi de la famille suscite un vif débat parmi la population. Tout le monde a certes l’un ou l’autre commentaire, d’approbation ou de désapprobation, et cela explique la forte participation aux réunions de quartier.
Affiche de promotion gouvernementale présentant les différentes formes de la familleChaque réunion est organisée par le CDR local et dirigée par un expert juridique. Celui-ci explique les points principaux des différents sous-thèmes, après quoi les personnes présentes peuvent exprimer leur opinion. Il est pris note de chaque commentaire de chaque intervenant qui s’identifie par son nom.
La reconnaissance des droits de l’enfant est un sujet qui soulève de nombreuses discussions. Cette loi sape l’autorité des parents et inverse les rôles, entend-on comme critique. Les parents doivent désormais écouter leurs enfants. C’est pourquoi le concept de « parentalité responsable » a été inclus.
Les parents guident leurs enfants vers l’âge adulte, en leur portant un regard ouvert et une oreille attentive. L’éducation comprend également la fixation de limites, par exemple pour les protéger des influences néfastes, y compris sur Internet. Mais les jeunes ont le droit d’être entendus en ce qui concerne le choix de leur école, en cas de séparation de leurs parents, etc.
Le fait que les enfants puissent porter le nom de leur mère heurte également la tradition patriarcale. Maritza raconte : « Dans mon quartier, environ 50 personnes étaient présentes et la réunion a duré trois heures. Le pasteur de l’église évangélique a pris la parole pour dire : «
Je respecte tout le monde, et pour moi tout le monde est égal, mais Dieu a réservé le mariage à l’union entre un homme et une femme ». »
Des membres de Las Isabelas, une organisation de lesbiennes et bisexuelles, discutent la loi sur la famille à la ville de Santiago de Cuba. Photo : Wim LeysensMaritza s’est alors levée : « Si tout le monde est égal, alors nous, les femmes lesbiennes, avons aussi le droit de nous marier ! » Maritza appartient à l’organisation Las Isabelas, le groupe qui, avec Cenesex et cinq autres réseaux, œuvre pour l’égalité des sexes à Cuba.
Pour alimenter la discussion, ils ont proposé une action originale. Entre le 14 février (journée de l’amour et de l’amitié) et le 8 mars (journée internationale des droits des femmes), ils ont fait campagne avec le slogan « Ma famille est très originale ».
Tout le monde a été invité à poster une belle photo de sa famille sur Facebook. Ce à quoi ressemble cette famille n’est pas important – plus elle est diverse, mieux c’est. La campagne reprend le message des églises évangéliques conservatrices, qui font campagne sous le slogan « J’aime la famille originelle ».
Traduction de l’article publié sur DeWereldMorgen.