Discours de Bruno Rodriguez Parrilla, ministre des Relations extérieures de la République de Cuba, à la présentation du projet de Résolution A/77/L.5, intitulé : « Nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier appliqué à Cuba par les États-Unis d’Amérique », à l’Assemblée générale des Nations unies, New York, le 3 novembre 2022Je tiens à exprimer la solidarité sincère de Cuba envers le Belize, cette nation sœur des Caraïbes, frappé aujourd’hui par un puissant cyclone.
Monsieur le Président ;Messieurs les représentants permanents ;Chers délégués,Plus de 80 % de la population cubaine est née sous le blocus.
Trente ans se sont écoulés depuis que cette Assemblée générale a commencé à demander, année après année, la cessation de cette politique, typifiée comme un acte de génocide, qui a l’effet d’ « une pandémie permanente, d’un cyclone constant », et qui est rejetée à l’échelle universelle.
Il s’agit d’une guerre économique délibérée, qui vise à empêcher notre pays d’obtenir des revenus financiers, à détruire la capacité du gouvernement à satisfaire aux besoins de la population, à faire s’écrouler l’économie et à créer un état d’ingouvernabilité. Qui cherche, comme le proposait le sous-secrétaire Mallory en 1960, « à provoquer la déception et le découragement… à réduire les salaires… à provoquer la faim, le désespoir et le renversement du gouvernement ».
L’administration étasunienne a, depuis 2019, resserré l’encerclement de notre pays au degré le plus extrême, le plus cruel et le plus inhumain, pour infliger délibérément le plus grand mal aux familles cubaines.
Dans les quatorze premiers mois de l’administration Biden, le blocus a causé des préjudices se chiffrant à 6 364 000 000 de dollars, soit plus de 15 millions par jour.
D’août 2021 à février 2022, soit à peine sept mois, le manque à gagner subi par Cuba s’est monté à un chiffre record : 3 806 000 000 de dollars ; sans le blocus, notre PIB aurait enregistré une croissance de 4,5 % durant cette période.
Les préjudices accumulés en plus de soixante ans se chiffrent à 154 217 000 000 de dollars, à prix courant, et, face à l’or, à 1 391 111 000 000 de dollars. Que serait Cuba aujourd’hui si elle avait pu compter sur ces ressources ? Combien aurions-nous pu faire de plus ? Comment serait aujourd’hui notre économie ?
Comment quantifier l’angoisse que causent les coupures de courant et l’instabilité du service électrique, les pénuries et les longues heures passées dans des queues en quête des produits de première nécessité, les obstacles à des projets de vie des familles et, surtout, des jeunes ?
Qui plus est, le blocus crée les conditions qui stimulent la migration irrégulière, désordonnée et incertaine, cause la séparation douloureuse de familles, coûte des vies de Cubaines et de Cubains, et contribue à la criminalité transnationale et à la traite d’êtres humains.
Monsieur le Président ;Tenant compte de la pandémie, l’administration étasunienne a levé à titre temporaire, pour des motifs humanitaires, les mesures coercitives unilatérales et d’autres sanctions qu’elle imposait à un groupe de pays.
Pourquoi a-t-elle exclu Cuba de cet allègement humanitaire temporaire ?
Pis encore, alors que la covid-19 fauchait des millions de vies sur la planète et semait la douleur dans mon pays, l’administration étasunienne a durci son blocus, provoquant des difficultés et des retards pour importer les intrants et les équipements indispensables pour la combattre, notamment pour industrialiser les vaccins cubains. Elle a même entravé nos achats d’oxygène médicinal dans des pays tiers.
Quand le blocus nous a interdit de disposer de ventilateurs pulmonaires, nous avons mis au point notre propre prototype.
Comment expliquer, sinon, qu’un petit pays comme le nôtre ait pu vaincre la Covid-19 grâce à ses ressources et à ses propres vaccins ?
Au pire moment de la pandémie, nous avons envoyé, malgré nos ressources limitées, un total de 58 brigades médicales dans 48 pays et territoires, qui se sont jointes aux plus de 28 000 coopérants sanitaires qui prêtaient déjà service dans 59 nations.
Le blocus continue d’entraver notre production d’antibiotiques, d’analgésiques, d’hypotenseurs, de traitements contre le cancer et les cardiopathies, et de plusieurs médicaments de première nécessité qui n’ont jamais manqué à ce point dans nos hôpitaux et nos pharmacies.
Nos enfants souffrant d’affections de la rétine et de glaucome ne peuvent bénéficier de leur traitement au laser de la société étasunienne Iridex Corporation. Les enfants évoluant vers des formes plus sévères risquent de devenir aveugles.
Nos enfants atteints de maladies cardiovasculaires ne peuvent pas non plus bénéficier de valves aortiques biologiques de fabrication étasunienne.
Des bébés de faible poids à la naissance doivent subir des opérations à cœur ouvert, parce que nous ne disposons pas de cathéters de faible diamètre vendus par des sociétés étasuniennes comme la Boston Scientific.
Sous quels prétextes l’administration étasunienne pourrait-elle justifier une politique qui prive les enfants cubains atteints de cancer du traitement chimiothérapique adéquat dont ils ont besoin ?
Seul un système de science et de santé robuste, foncièrement humaniste, de qualité élevée, accessible à tous, absolument gratuit, fruit de l’effort gouvernemental et collectif depuis des dizaines d’années, nous a permis de sauver et de préserver la vie dans des circonstances si difficiles.
Monsieur le Président,Le blocus a aussi aggravé nos limitations financières et notre accès à des crédits nécessaires pour garantir la maintenance et les réparations de nos centrales thermiques, et y faire des investissements, d’autant que les fournisseurs ont augmenté considérablement leurs prix, alléguant du risque et des conséquences qu’entraînent des opérations avec Cuba.
Après vingt-six ans de relations ininterrompues avec l’Union Cuba Petroleo (Cupet), le groupe allemand Continental Reifen Deutschland GmbH a décidé de les rompre.
De même, la société française cnim a renoncé à fournir des pièces de rechange à la centrale thermique Antonio Guiteras, parce que nous étions un pays soumis à des sanctions.
La traque de nos transactions financières et commerciales, et des investissements en rapport avec notre pays est devenue permanente et obsessionnelle.
Rien que de janvier 2021 à février 2022, notre système bancaire a fait l’objet de 642 actions directes de la part de banques étrangères.
Cette dernière année, de nombreuses banques de pays tiers ont refusé de faire des virements à des fournisseurs de l’entreprise cubaine d’importation d’aliments, Alimport.
Dans le cadre de restrictions légales, Cuba peut acheter une quantité limitée de produits agricoles aux États-Unis, mais elle est obligée de payer ces achats cash et à l’avance, sans accès à des crédits, ce qui lui est extrêmement difficile quand, en même temps, on bloque ses sources de revenus.
On peut imaginer, dans ces conditions de harcèlement financier, quels efforts doit consentir notre gouvernement pour garantir le panier de produits alimentaires subventionnés à chaque famille !
Les hommes d’affaires cubains se voient refuser très souvent l’accès à des plateformes de paiement et de commerce électroniques.
Sous bien des latitudes, les Cubains, parce que Cubains, ne peuvent ouvrir des comptes en banque.
Cette traque financière incessante s’est aggravée depuis que Cuba a été replacée sur la liste arbitraire et mensongère où le Département d’État inscrit unilatéralement les États qui sont censés parrainer le terrorisme, car la mise sur cette liste élève exponentiellement le risque-pays et nous oblige à payer toute marchandise parfois le double sur le marché international.
C’est là une décision inadmissible contre une nation elle-même victime du terrorisme, qui souffre encore de nos jours de l’incitation à la violence et à des actes terroristes émanant du territoire étasunien, qui rejette et poursuit fermement toute forme ou manifestation de terrorisme et qui n’a absolument rien à se reprocher sur ce plan.
Cette décision ignominieuse a été adoptée par Trump, seulement neuf jours avant son départ de la Maison-Blanche. Biden pourrait l’annuler d’un seul trait de plume. Ce serait la seule chose moralement correcte, la seule ajustée au droit international.
Monsieur le Président ;Les retombées extraterritoriales du blocus lèsent aussi la souveraineté des pays que vous représentez, violent leurs législations nationales, les soumettent aux décisions de tribunaux étasuniens, conformément au Titre iii de la Loi Helms-Burton, sanctionnent leurs entrepreneurs et interdit à des navires de pays tiers d’entrer dans des ports étasuniens s’ils ont accosté un port cubain.
Il interdit aux filiales d’entreprises étasuniennes dans des pays tiers de faire du commerce avec Cuba, d’exporter à Cuba des articles produits dans n’importe quel pays qui contiendraient 10 % de composants étasuniens, et exclut les produits fabriqués dans des pays tiers s’ils contiennent des matières premières cubaines.
Qui pourrait affirmer sans mentir que les États-Unis sont un partenaire commercial de Cuba !
Nous ne faisons pas retomber sur le blocus toutes les difficultés que rencontre aujourd’hui notre pays, mais ce serait manquer à la vérité que de nier ses gravissimes effets et ne pas reconnaitre qu’il constitue la cause essentielle des privations, des carences et des souffrances des familles cubaines.
Monsieur le Président,Les États-Unis contrôlent de manière hégémonique les médias et les plateformes technologiques numériques les plus puissantes, et s’en sert pour orchestrer contre Cuba une violente campagne communicationnelle de désinformation et de discrédit.
Ils recourent aux méthodes de guerre non conventionnelle les plus diverses et prennent nos enfants, nos jeunes et nos artistes pour cible de leur bombardement politique et médiatique.
L’administration étasunienne alloue des millions de dollars, des dizaines de millions de dollars du budget général et de fonds secrets et recrute des institutions gouvernementales et des entreprises privées pour financer des opérateurs politiques qui exécutent contre Cuba des campagnes de désinformation, de haine et de déstabilisation sur les réseaux sociaux.
Le 24 octobre dernier, les transnationales étasuniennes Twitter et Meta (Facebook), dont l’un des principaux cadres a été le chef de campagne d’un sénateur républicain viscéralement opposé à Cuba, ont mené simultanément des actions de censure contre des médias publics et des usagers cubains : elles ont étiqueté des publications afin de réduire leur portée sur les réseaux sociaux et ont éliminé des comptes critiques envers les opérations de déstabilisation orchestrées contre notre pays. Il s’est agi d’une action sélective, coordonnée, qui viole le droit à la libre expression des Cubains et qui traduit parfaitement à quel point ces sociétés sont subordonnées au libre arbitre des politiciens étasuniens.
Monsieur le Président,Le président Miguel Diaz-Canel Bermudez a affirmé le 22 juillet dernier à la clôture de la 9e Session ordinaire de l’Assemblée nationale du Pouvoir populaire (Onzième Législature) : « La façon dont Cuba développe ses relations extérieures prouve que la promotion de la paix, la coopération et la solidarité définissent sa projection internationale. Nous l’avons démontré dans notre région latino-américaine et caribéenne, et aussi sous d’autres latitudes. »
L’actuelle administration étasunienne n’a pas de politique à soi envers Cuba. Elle agit par inertie, et suit la politique inhumaine de « pression maximale » mise en place par Donald Trump.
Ces derniers mois, elle a fait quelques pas pour ajuster certaines des restrictions irrationnelles imposées aux vols étasuniens vers Cuba, aux envois de fonds familiaux et aux formalités consulaires.
Ce sont là des pas dans le bon sens, mais très limités dans leur portée et leur application, car ils ne modifient en rien cette politique, ni les mesures économiques, commerciales et financières.
Le blocus, durci à l’extrême par Trump, reste l’élément clef qui définit la politique des États-Unis envers Cuba.
Le gouvernement cubain est disposé à avancer vers une meilleure entente avec l’administration étasunienne et à développer des relations civilisées et de coopération, mais sur des bases de respect mutuel et sans mépris de notre souveraineté.
Je réitère l’appel lancé en 2017 par Raul Castro Ruz à l’administration étasunienne : qu’elle ôte « les obstacles qui empêchent ou restreignent les liens entre nos peuples, entre les familles et les citoyens des deux pays. Nous devons apprendre l’art de coexister de façon civilisée avec nos différences. »
Bien qu’en butte aux limitations inhumaines que lui impose le blocus, Cuba ne renoncera jamais à son système socialiste de justice sociale, confirmé en 2019 lors de l’adoption par référendum de la nouvelle Constitution.
Nous défendrons toujours le plein exercice de tous les droits humains pour tous nos citoyens.
Nous n’accepterons jamais les tentatives de nous imposer de prétendus modèles de démocratie ni d’autre culture étrangère à la cubaine.
De même que nous défendons énergiquement le droit inaliénable de chaque pays à décider de son système politique, économique et social, de même nous exigeons le respect du nôtre.
Nous ferons toujours nôtre l’idée que nous a léguée Fidel Castro Ruz : à Cuba, il y aura toujours un « gouvernement du peuple pour tout le peuple » et « une Révolution des humbles, avec les humbles et pour les humbles ».
Nous venons de donner un exemple irréfutable d’exercice de démocratie réelle, participative et inclusive : le peuple cubain a entériné en référendum populaire un nouveau Code des familles moderne et progressiste, l’un des plus avancés au monde, preuve irréfutable de la vocation de notre Révolution à écouter, sans discrimination, tous les Cubains et toutes les Cubaines.
Notre pays n’arrête pas de se renouveler, partant du principe qu’il faut « changer tout ce qui doit être changé », dans la construction d’une nation souveraine, indépendante, socialiste, démocratique, prospère et durable, dans le développement de notre « État socialiste de droit et de justice sociale, démocratique, indépendant et souverain ».
Nous prônons la participation croissante de nos jeunes et de tous les citoyens aux processus politiques, économiques, sociaux et culturels du pays.
Nous continuons de décentraliser l’économie et de renforcer l’entreprise étatique socialiste ; des milliers de petites et moyennes entreprises privées et étatiques ont vu le jour ; nous consolidons la science, la technologie et l’innovation, l’informatisation de la société et la communication sociale comme piliers de la gestion gouvernementale ; nous offrons de meilleures opportunités aux investissements étrangers dans le cadre de notre politique de développement.
Cuba se renouvelle tout le temps. Ce qui demeure inamovible, ancré dans le passé et isolé, c’est le blocus.
Nous apprécions à sa juste valeur l’appui de nombreux gouvernements, personnalités, mouvements de solidarité, organisations politiques, sociales et populaires du monde entier face à l’injustice qui se commet contre le peuple cubain.
Monsieur le Président,Nous apprécions profondément l’engagement et les expressions de Cubains et de descendants de Cubains sous toutes les latitudes, y compris aux États-Unis, dont les voix se sont élevées pour défendre les droits souverains de Cuba et rejeter le blocus.
Nous remercions aussi tous ceux qui ont manifesté leur appui à notre peuple devant les graves dégâts que le cyclone Ian a causés en septembre dernier dans l’Ouest du pays, frappant des centaines de milliers de nos compatriotes, endommageant 119 048 logements, détruisant de grandes étendues de cultures et touchant sévèrement l’infrastructure électrique et celle des communications, entre autres dommages.
Nous continuerons d’accepter avec gratitude l’aide d’urgence qui est offerte sans conditions à notre peuple.
Nous remercions de leurs nobles efforts humanitaires les organisations, les mouvements et les groupes d’Étasuniens, les législateurs et les personnalités, les mouvements de solidarité et les organisations de la société civile qui, devant l’ampleur des dégâts causés par ce cyclone, ont demandé au président Biden de lever temporairement les mesures coercitives unilatérales imposées à notre pays, de permettre aux banques étasuniennes de gérer les dons et d’autoriser l’achat de matériaux en vue du relèvement des zones touchées.
Monsieur le Président ;Messieurs les représentants permanents ;Chers délégués,Des millions de Cubains regardent en ce moment ce qu’il se passe dans cette salle. Ils ont écouté vos interventions et sont attentifs à votre vote.
Je saisis l’occasion pour remercier en leur nom les nombreux chefs d’État ou de gouvernement et d’autres autorités d’avoir rejeté le blocus durant leur intervention au débat général de cette session des Nations Unies, ainsi que les intervenants des séances d’hier et d’aujourd’hui.
En votant, vous ne déciderez pas seulement au sujet d’une question vitale pour Cuba et les Cubains.
Vous voterez aussi en faveur de la Charte des Nations Unies et du droit international. Vous vous prononcerez en appui à la raison et à la justice.
Laissez Cuba vivre en paix !
Cuba irait mieux sans blocus !
Chaque famille cubaine vivrait mieux sans blocus !
Les Étasuniens iraient mieux sans blocus à Cuba !
Les États-Unis seraient un meilleur pays sans blocus à Cuba !
Le monde irait mieux sans blocus !
Je vous demande respectueusement de voter le projet de résolution A/77/L.5, intitulé : « Nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier appliqué à Cuba par les États-Unis d’Amérique ». Je le fais au nom du peuple cubain, courageux, noble et digne, qui, malgré l’adversité, n’a pas été vaincu et ne le sera pas ; au nom de nos enfants et de nos jeunes qui s’opposent à la politique de la haine, mais en souffrent les terribles effets ; au nom des générations de Cubaines et de Cubains, qui sont nées et de celles qui vont naître sous le système de mesures coercitives le plus cruel et le plus prolongé jamais appliqué à aucun pays, et qui doit être aboli pour le bien de tous. Je vous remercie.
Source : Granma