Cuba traverse actuellement une période extrêmement difficile. Comment l’île parvient-elle à tenir bon malgré tout ? Quels sont les défis sur le terrain et comment sont-ils relevés ? Nous avons posé nos questions à Rogelio Polanco, chef du département d’idéologie du parti communiste cubain. Voici la seconde partie de cet entretien.
Durant la première partie de l’entretien, nous avons évoqué l’impact du blocus économique et de la pandémie et des défis majeurs qu’ils ont engendrés. Cette partie-ci est consacrée à la jeunesse, à la guerre médiatique et à l’actualisation de l’économie.
Les jeunes n’ont pas la vie facile à Cuba aujourd’hui. Que fait Cuba pour garder les jeunes sur la voie de la révolution ?
Notre objectif dans cette phase historique est de renforcer notre base idéologique. Cela implique de renforcer mais aussi de modifier en profondeur notre travail idéologique et politique.
Ces changements doivent être profonds. Nous devons préparer les nouvelles générations à ces défis mieux que nous ne l’avons fait jusqu’à présent. Le parti communiste joue un rôle clé dans ce domaine.
L’année dernière, nous avons tenu notre 8ème congrès. Nous avons décidé de donner la priorité à la lutte économique, à la lutte idéologique et à la lutte pour la paix comme missions fondamentales.
La constance idéologique doit être fondée sur la capacité à comprendre la réalité. Nous devons faire un meilleur travail de sensibilisation auprès de notre population. Certaines méthodes de travail de notre parti, de notre jeunesse communiste, de nos organisations de masse et sociales et de l’ensemble de notre système politique ne sont pas assez efficaces.
Il faut une transformation en adéquation avec la nouvelle réalité, où l’espace public numérique et l’influence des médias et de l’information en général deviennent des éléments essentiels dans la formation de nos jeunes et, plus largement, de toute la population.
C’est pourquoi le Parti a décidé de lancer un programme de transformation du travail idéologique et politique dans plusieurs domaines clés. Premièrement, nous devons mieux articuler les forces révolutionnaires. C’est le seul moyen de contrer les actions déstabilisatrices et subversives de l’impérialisme étasunien.
Nous devons donc développer une meilleure coordination et aligner nos structures politiques et sociales. Cela nous permettra d’agir de manière conjointe et mieux organisée, avec des méthodes mieux en adéquation avec notre réalité.
Les questions culturelles et éducatives sont cruciales. Nous devons renforcer l’ensemble de notre système éducatif, mais aussi consolider les valeurs des nouvelles générations. Nous devons affermir le rôle de l’enseignant et le rôle de l’école en tant que centre culturel fondamental de la société.
Renforcer le rôle de la culture dans son expression la plus large, la culture en tant que culture générale intégrale, comme l’a enseigné Fidel. Nous devons renforcer les institutions chargées de générer des idées et de créer notre identité nationale.
Nous pouvons être fiers de notre développement culturel dans de nombreux domaines malgré les tentatives impérialistes de nous détruire en tant que nation.
Il existe notamment un domaine qui requiert toute notre attention : celui de la communication et de la technologie. L’internet, les réseaux sociaux et l’espace public numérique permettent un nouveau paradigme de communication qui non seulement touche les masses à l’échelle mondiale, mais qui peut aussi influencer directement chaque individu.
La capacité des plateformes algorithmiques mondiales à influencer les goûts, les intérêts et les désirs de chacun à travers le monde grâce au big data est impressionnante.
Cuba est-elle capable de neutraliser la guerre des réseaux sociaux contre l’île ?
Nous devons renforcer notre capacité à contrer cette campagne de déstabilisation. Nous devons faire comme les combattants de notre guerre d’indépendance et comme l’armée rebelle de la Sierra Maestra : récupérer l’arme de l’ennemi, apprendre à s’en servir et l’utiliser à nos propres fins.
Nous devons apprendre à travailler avec les réseaux sociaux. Leur utilisation manipulée contre les intérêts de nos pays doit être dénoncée.
Cela demande une souveraineté technologique et une coopération internationale. Nous devons établir une législation internationale avec tous les pays subissant l’impact néfaste de ces technologies afin de limiter leur utilisation dans les guerres et les conflits internationaux.
Notre peuple fait aujourd’hui déjà beaucoup pour s’assurer que ces technologies de l’information et de la communication soient utilisées à des meilleures fins que celles pour lesquelles elles ont été conçues par l’impérialisme, qui s’en sert pour confirmer l’idéologie dominante des États-Unis et de l’Occident.
Devons-nous également passer à la vitesse supérieure sur le plan économique ? En effet, il est urgent de réformer notre économie, malgré le blocus. Pour générer la prospérité que notre peuple mérite, et dont il a si désespérément besoin. Pour ce faire, nous ne pouvons compter que sur l’ingéniosité et les capacités de notre peuple.
Nous aurons besoin d’innovation et de créativité. Aussi difficile que cela soit, nous devrons surmonter le blocus et générer nos propres capacités de production.
Nous utilisons la science, l’innovation et le talent que la Révolution nous a permis de développer pendant tant d’années pour accroître notre capacité économique.
Nous avons décidé d’actualiser le modèle de développement économique et social cubain. Un plan national de développement économique et social à l’horizon 2030 a été élaboré.
Nous allons opérer des changements majeurs dans plusieurs domaines de notre économie. Ils nous permettront de développer à la fois nos entreprises publiques socialistes et de nouveaux acteurs économiques. Cela inclut des formes privées de gestion, mais tout en maintenant une identité sociale socialiste.
Il ne s’agit pas de remettre en cause notre projet national, mais d’augmenter les possibilités d’emploi et la contribution économique d’autres formes de gestion. Parce que la production d’aliments et de médicaments doit augmenter et que l’innovation dans les domaines les plus divers de notre économie et de nos services est primordiale.
En outre, nous devons continuer à renforcer nos acquis sociaux fondamentaux : l’éducation, la santé, la sécurité sociale, la culture, le sport. Ce sont les bases de notre socialisme.
Nous faisons tout avec un haut degré de participation démocratique et de contrôle populaire. Le gouvernement travaille avec de nouvelles structures basées sur la nouvelle Constitution qui a été adoptée à la majorité à la suite d’un large débat populaire.
Nous intégrons de nouveaux droits et de nouvelles structures dans les lois afin de rendre la participation des citoyens plus efficace. Cuba veut briser l’asphyxie économique et le siège médiatique de l’impérialisme en exaltant la démocratie, la participation, le contrôle populaire et le socialisme.
C’est le seul moyen pour parvenir à relever les défis. Cela nécessitera l’unité nationale, un haut niveau de sensibilisation et des efforts importants de la part de chacun. Nous sommes convaincus que les dirigeants actuels auront le soutien de l’immense majorité de notre peuple.
Le défi avec les jeunes est majeur. De nombreux jeunes émigrent, cela ne signifie-t-il pas qu’ils ne voient plus de perspectives dans leur propre pays ? Le gouvernement étasunien a utilisé à plusieurs reprises la question de la migration pour déstabiliser Cuba et présenter le socialisme cubain comme un échec.14 000 enfants âgés de 3 à 17 ans ont été enlevés à Cuba sans leurs parents de novembre 1960 à octobre 1962. Pour stimuler la migration, l’île bénéficie de possibilités d’immigration exclusives qui ne sont accordées à aucun autre pays d’Amérique latine.
La loi d’ajustement cubain de 1966, par exemple, établit que tout Cubain arrivant aux États-Unis est autorisé à entrer dans le pays et ce, sans même avoir à présenter sa carte d’identité. Après un an, il ou elle peut rester dans le pays légalement. La question de la migration a été source de conflits à plusieurs reprises. Cuba, quant à elle, a décidé d’assouplir ses lois sur l’immigration. Tout citoyen cubain qui souhaite se rendre dans un autre pays, y séjourner pendant une certaine période ou même s’y installer, est en droit de le faire.
Notre socialisme n’est possible que sur la base de la participation volontaire de ceux qui veulent faire avancer notre société et vivre à Cuba, ou vivre à l’étranger tout en gardant des liens avec le pays.
Actuellement, des milliers de Cubains vivant en dehors de Cuba entretiennent une bonne relation avec l’île et y retournent régulièrement.
De nombreux Cubains à l’étranger participent même activement à des actions de solidarité avec leur pays d’origine. Nous nous dirigeons vers ce que les experts en sciences sociales et en démographie appellent la migration circulaire.
Cela signifie qu’il devient de plus en plus ordinaire pour les citoyens cubains de séjourner dans un autre pays pendant une certaine période avant de retourner dans leur pays d’origine. Mais cela est rendu compliqué par le gouvernement étasunien.
Récemment, les États-Unis ont fermé leur consulat à La Havane, obligeant les Cubains à se rendre dans un pays tiers pour obtenir un visa pour aller aux États-Unis.
Le gouvernement étasunien a également restreint l’octroi de visas. Ce faisant, ils compliquent les relations entre les Cubains vivant à Cuba et les Cubains vivant sur le sol étasunien. En parallèle, en facilitant l’entrée de tout Cubain arrivant illégalement sur le sol étasunien, ils encouragent la migration par des voies non légales, désordonnées et peu sûres.
Chaque incident qui se produit dans ce contexte est amplifié dans les médias. C’est très pervers. Cela ne peut être imputé qu’au fait qu’ils sont dominés par un groupe politique, notamment en Floride qui exerce une influence néfaste sur les décisions du gouvernement, en raison de ses prétendus intérêts électoraux ou politiques vis-à-vis de Cuba.
Ces enjeux politiques futiles affectent ainsi les relations entre les membres d’une même famille, et plus largement, la nation entière. La question de la migration entre Cuba et les États-Unis a été constamment manipulée par les États-Unis depuis la révolution.
Récemment, cette manipulation a atteint un nouveau niveau en raison de la fermeture du consulat et du fait que le nombre de visas convenu dans les accords de migration entre les deux pays est restreint depuis plusieurs années. (des visas sont à nouveau délivrés depuis début janvier 2023, ndlr).À cela se sont ajoutées deux années de pandémie, pendant lesquelles les vols internationaux et la migration vers des pays tiers ont également été restreints. Les États-Unis ont en outre réduit le nombre de vols depuis leur territoire, et ont imposé des exigences exceptionnelles aux compagnies aériennes et aux agences de voyage afin de susciter le mécontentement à Cuba.
Lester Mallory Il s’agit en fait de l’application méthodique de ce qu’on appelle le mémorandum de Lester Mallory, C’est un diplomate étasunien qui, en 1960, a écrit à ses supérieurs quelle politique le gouvernement devait adopter vis-à-vis de Cuba pour atteindre ses objectifs. Dans le mémorandum, il affirme qu’il n’y a aucune opposition politique à Cuba et que la majorité de la population soutient le gouvernement, a fait valoir Mallory. Il recommande de tout mettre en œuvre pour réduire le pouvoir d’achat des Cubains afin de créer du mécontentement, voire d’engendrer la faim et le désespoir, dans le but de renverser le gouvernement.
Cette approche fait aujourd’hui d’autant plus de dégâts que les États-Unis disposent du pouvoir des médias en plus de l’instrument économique du blocus.
Ce sont avant tout les jeunes qui veulent migrer, et c’est pourquoi les États-Unis en ont fait leur cible principale. Pour provoquer l’émigration, ils cherchent à amplifier les problèmes causés par le vieillissement de la population.
Parce que même si c’est un processus que nous avons vu précédemment dans les sociétés développées, il affecte aussi Cuba. Cela est dû à l’excellence de nos installations médicales et sociales. Le vieillissement de la population exige que l’on consacre davantage de ressources au secteur des soins de santé.
Un groupe restreint de personnes économiquement actives doit générer un pourcentage plus important du produit intérieur brut pour assurer le bien-être des personnes âgées qui ne sont plus économiquement actives. Si en parallèle, la migration des jeunes et des personnes hautement qualifiées est encouragée, l’économie du pays s’en trouve naturellement impactée.
Nous devons donc veiller à ce que les jeunes cherchent à s’épanouir personnellement et professionnellement à Cuba. Ils doivent pouvoir réaliser leur projet de vie personnelle autant que possible ici, dans leur pays d’origine. Sans toutefois compliquer toute possibilité de migration, car cela reste un droit.
L’objectif doit être de permettre aux jeunes de développer leurs capacités professionnelles et individuelles, pour contribuer à la société et servir l’intérêt collectif.
Récemment, le gouvernement révolutionnaire a activement encouragé le développement de politiques gouvernementales axées sur la jeunesse. Des groupes de travail gouvernementaux ont été créés pour présenter, avec la participation d’experts, des projets à court terme en matière d’emploi, de formation continue, de logement et d’autres services spécifiquement destinés aux jeunes.
Un groupe de jeunes de l’UJC, l’association de la jeunesse communiste de Cuba.
Les jeunes eux-mêmes jouent un rôle essentiel à cet égard, le but étant de les inclure davantage dans la prise de décision. Nous devons nous assurer qu’ils soient de plus en plus représentés dans tous les secteurs de la vie économique et sociale du pays.
Que leurs considérations, leurs avis et leurs propositions soient pris en compte. Que les postes de direction dans les entreprises publiques socialistes leur soit plus facilement accessibles. Qu’ils soient davantage représentés dans les principaux organes de décision du pays.
Nous devons passer à la vitesse supérieure en ce qui concerne nos jeunes et, en particulier, les personnes ayant une formation universitaire. Voilà les grands défis pour la jeunesse. Nous sommes conscients des améliorations qu’il va falloir réaliser. Ceci constitue la seconde partie de cette interview. La troisième partie abordera en profondeur la question des médias sociaux à Cuba. Katrien Demuynck est experte de Cuba et autrice.